Lors du Festival de la Cinémathèque qui a eu lieu du 13 au 17 mars 2024, hommage fut rendu à Jacques Deray (1929-2003), en présence de sa compagne Agnès Deray, sa fille Laurence et du producteur Nicolas Seydoux, à travers la projection de quatre films restaurés devenus rares, moins connus que Borsalino, La Piscine ou Flic Story, et qui démontrent l’étendue du talent d’un cinéaste populaire dont Bertrand Tavernier – attaché de presse de ses premiers films - disait : "Quand je pense à toi, le premier mot qui me vient à l’esprit est celui – magnifique – de compagnon.
Rififi à Tokyo (1963)
Sur un sujet original d’Auguste Le Breton, scénarisé par José Giovanni, Rififi à Tokyo constitue le premier jalon noir dans l’œuvre de Jacques Deray. A partir d’une trame classique – la préparation d’un casse par des gangsters français au Japon, à la veille des J.O. de 1964 –, le réalisateur livre un film d’ambiance à la John Huston ou à la Jules Dassin. Il se livre surtout à un exercice de mise en scène qui constituera sa marque de fabrique : l’insertion de l’action dans une ville propice aux déambulations, sans fin ni but ; le mélange de fiction et de documentaire ; une esthétique du dépouillement et de l’ellipse.
Tragique et désenchantée, cette préparation de casse a plus d’un point commun avec le cinéma de Jean-Pierre Melville, le hiératisme en moins. Portée par un casting étonnant – Charles Vanel, Michel Vitold, Karlheinz Böhm – ce requiem pour mauvais garçons montre combien, dès son deuxième film, Jacques Deray s’impose comme un cinéaste de premier plan. En témoignent l’importance qu’il accorde à la lumière et à la musique signée Georges Delerue.
Symphonie pour un massacre (1963)
Adaptée par José Giovanni et Claude Sautet, cette série noire signée Alain Reynaud-Fourton permet à Jacques Deray de réaliser un chef-d’oeuvre du film noir, pas moins. Là encore, Deray y parfait son style : dialogues épurés ; art consommé de l’ellipse et du temps étiré ; attention portée à la musique – Michel Magne – et à la lumière – Claude Renoir.
Pour narrer ce récit de vengeance glaçante et glacée, Deray a eu la brillante idée de proposer à Jean Rochefort d’incarner le rôle principal de ce traître pas comme les autres, insaisissable et déroutant, au visage étrangement lisse et dont le sourire d’ange cache une volonté démoniaque.
Par un beau matin d’été (1965)
Tiré d’un roman de James Hadley Chase, avec des dialogues signés Michel Audiard, et Jean-Paul Belmondo pour vedette, le quatrième film du cinéaste reste une curiosité dans la carrière de Jacques Deray, à défaut d’être une franche réussite. Hésitant entre le polar noir et la comédie dramatique, le cinéaste ne parvient pas toujours à trouver le juste équilibre entre ces différentes facettes, notamment en raison de mots d’auteur qui viennent envahir et alléger l’ambiance glauque propre à l’univers de l’écrivain américain.
Reste un splendide cinémascope et son talent de directeur d’acteurs – en l’occurrence, d’actrices, Sophie Daumier et Géraldine Chaplin. Ce film marque un jalon dans sa carrière : sa rencontre avec Jean-Paul Belmondo, qu’il retrouvera à trois autres reprises – Borsalino, Le Marginal et Le Solitaire – et avec Michel Audiard, pour lequel il signera un chef-d’œuvre du cinéma noir français, On ne meurt que deux fois (1985), avec Michel Serrault et Charlotte Rampling.
Un papillon sur l’épaule (1978)
Après Tokyo et Los Angeles (Un homme est mort), Jacques Deray pose sa caméra à Barcelone, après avoir envisagé Anvers, pour le cadre de son adaptation d’une nouvelle série noire, Un puits de velours, de John Gearon. Avec la complicité du scénariste d’Antonioni et d’Angelopoulos, Tonino Guerra, et celui de Luis Buñuel, Jean-Claude Carrière, il livre là le film le plus mystérieux et onirique de sa carrière. A partir d’un canevas simplissime – un homme ouvre la porte d’une chambre d’hôtel qu’il n’aurait pas dû ouvrir… - Jacques Deray embarque Lino Ventura dans une série de péripéties kafkaïennes à la lisière du fantastique.
Sans se départir de son goût pour les ambiances citadines, les ellipses, son refus du psychologisme, il filme l’enfermement et la paranoïa à ciel ouvert. Et s’inscrit dans le droit fil du cinéma paranoïaque américain des années 70 – A cause d’un assassinat, Conversation secrète notamment. Et son final, tourné en prises réelles, glaçant d’indifférence, digne de Francesco Rosi, démontre une fois de plus le talent d’un cinéaste hélas trop souvent relégué au rang de très bon artisan.
Travis Bickle
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