samedi 3 novembre 2012

Louis Malle : de l'art et la manière de faire un nouveau film contre le précédent


Artistes : Une Palme d'Or, deux Lions d'Or, un Oscar, deux Louis Delluc, Belmondo, Ronet, Delon, Piccoli, Lancaster, Irons, Moreau, Bardot, Massari, Sarandon, Binoche, entre autres... Le tableau de chasse de Louis Malle est éloquent. Et pourtant, alors qu'il aurait eu 80 ans ces jours-ci (30 octobre), il demeure inclassable, difficilement repérable dans la cartographie cinématographique. En raison d'une oeuvre dense, qui touche à peu près tous les genres, tous les continents, il reste méconnu. Retour parfaitement subjectif en 10 films sur la carrière d'un cinéaste qui entre autres ambitions n'avait de cesse de réaliser un nouveau film contre le précédent. Signe d'une indépendance et d'une ouverture d'esprit peu commune dans le cinéma français

Ascenseur pour l'échafaud (1957) : à défaut de son meilleur film, le plus mythique et le plus cité de son auteur : Jeanne Moreau errant dans un Paris froid et métallique, Maurice Ronet terré dans son ascenseur, la musique de Miles Davis... Première incursion dans la fiction après le coup d'éclat du Monde du silence – Palme d'Or en 1955 – tourné en extérieurs, ce film possède un avant-goût de Nouvelle vague avant l'heure. Mouvement dont la critique le rapprochera, mais dont il ne sera qu'un satellite, à l'instar d'Alain Cavalier, d'Alain Resnais ou de Philippe de Broca.

Zazie dans le métro (1960) : adaptation de l'ouvrage culte de Raymond Queneau, Zazie s'apparente à un exercice de style burlesque, inventif, et loufoque. En jouant sur les mots, le montage, les raccords, Malle s'amuse avec Paris qu'il filme sans queue ni tête. Et le cinéma. Très british dans la forme, il n'est pas si éloigné de l'esprit des Monthy Python. Un film salué en son temps par Charlie Chaplin himself.


Le Feu follet (1963) : ultime errance parisienne de Maurice Ronet, avant un fatidique 23 juillet, sur des notes de Satie. En adaptant Drieu la Rochelle, Louis Malle rend compte du mal de vivre d'une génération – celle de l'Algérie, l'action ayant été transposée des années 20 aux années 60 – mais aussi d'un existentialisme mis à mal par les conventions sociales, mondaines, bourgeoises. Un manifeste pro-liberté. Un cri de révolte existentielle.

Le Voleur (1967) : adaptation du roman de l'anarchiste du début du siècle Georges Darien, Le Voleur se veut une charge du cinéaste à l'encontre de la bourgeoisie et de ses codes. De son propre aveu même du cinéaste, il s'est pleinement identifié au personnage principal incarné par Jean-Paul Belmondo. C'est également une splendide déclaration d'amour aux femmes, de Marie Dubois à Geneviève Bujold en passant par Françoise Fabian et Marlène Jobert.

Le Souffle au coeur (1974) :
méconnu en raison de la réputation sulfureuse qui l'entoure, Le Souffle au coeur est la chronique d'une adolescence dans la France dijonnaise sous la IVème République. Premiers émois sexuels, premières surprises-parties, premiers affres de l'adolescence. Un très beau film, tendre et malin, centré sur la force et la tendresse d'une relation mère-fils, qui n'a rien d'incestueuse, contrairement à sa fausse réputation.

Lacombe Lucien (1974) : nouvelle polémique... A partir d'un scénario écrit en collaboration avec l'écrivain Patrick Modiano, Louis Malle brosse le portrait d'un paysan figeacois devenu collabo par hasard... Contexte oblige – Le Chagrin et la pitié venait tout juste de sortir, il en avait lui-même assuré la distribution dans deux salles parisiennes – le film déclenche une polémique à la française, droite et gauche s'entre-déchirant l'héritage de la fiction d'une France résistante dès 1940. Or Lacombe Lucien ne s'y révèle qu'humain, tragiquement humain, contradictoirement humain. Un grand film sur les zones d'ombre de l'âme humaine.

Black Moon (1975) :
alors à la mode, le fantastique attire des cinéastes qui n'y étaient pas destinés – Chabrol avec Alice ou la dernière fugue, Mocky avec Titan. Pour Louis Malle, c'est le moyen de mettre à nu son inconscient, dans un film ouvertement surréaliste, et qui emprunte aussi bien à l'univers de Lewis Carrol que celui de Bergman. Résultat : passé les 20 premières minutes muettes et intrigantes, le cinéaste, faute d'enjeux narratifs, ne parvient pas à captiver l'attention. Même si raté, il demeure exemplaire de la démarche créative du cinéaste, qui allie ouverture, expérimentation et remise en cause.

Atlantic City : Lion d'Or à Venise en 1980, Burt Lancaster et Susan Sarandon s'offrent une dernière/première chance dans une ville désincarnée et peuplée de fantômes. Une splendeur mélancolique, dans la lignée du Nouvel Hollywood. Scénario signé John Guare (Six degrés de séparation). Avec Alamo Bay, la plus grande réussie de Louis Malle aux Etats-Unis.

Au revoir, les enfants : 2e Lion d'Or en 1988, 7 Césars, prix Louis Delluc. Son film le plus autobiographique, le plus touchant, le plus populaire. Et le plus secret, aussi. On n'est pas près d'oublier le final. "Pendant longtemps, j'ai purement et simplement refusé de m'y attaquer, parce que cet événement m'avait traumatisé et qu'il a eu une énorme influence sur ma vie", dira-t-il.

Vanya, 42ème rue (1994) : son ultime film, une déclaration d'amour aux acteurs, à Tchekov, à New-York. Le plus délicat de ses films. Celui qui révèle et impose Julianne Moore.

Pour rendre compte de la richesse de la carrière trop prematurément interrompue de Louis Malle, il me faudrait également évoquer tous ses documentaires, notamment en Inde et aux Etats-Unis ; ses gros ratages – notamment aux Etats-Unis, à l'instar d'un remake du Pigeon de Monicelli, avec Sean Penn, resté inédit en salles en France ; ses incontestables réussites américaines – Alamo Bay ou La Petite ; ses troublantes peintures du désir féminin, qui créeront scandale du débat à la fin de sa carrière, des Amants à Fatale ; son talent pour filmer les enfants, à l'instar d'un Truffaut ; enfin, ses engagements en tant que citoyen du monde, que ce soit auprès des manifestants de mai 68 (il sera très actif pour faire interrompre le Festval de Cannes, en compagnie de Lelouch ou Polanski), ou de ses documentaires, sur Calcutta ou la crise agricole des années 80 aux Etats-Unis.

Travis Bickle

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