mardi 20 novembre 2012

Thérèse Desqueyroux : portrait de femme à la Bergman


En salles : Compliqué de parler d’un film posthume. Surtout quand il est signé d’un cinéaste qu’on admire pour sa constance jamais démentie dans ses thématiques, son ambition et son exigence formelle et son constant souci du public. Et finalement, on en sort rassuré. Car Thérèse Desqueyroux clôt en beauté l’œuvre de Claude Miller. Sur une note qui n’a rien de testamentaire.


Sujet casse-gueule

A priori sujet casse-gueule – adapter Mauriac au XXIe siècle, qui l’eût fait ? Peut-être Chabrol, quoique…- Thérèse Desqueyroux s’avère un formidable écrin pour les thématiques et obsessions formelles du cinéaste. S’en dégagent les 3 lignes de force caractéristiques de son œuvre : l’enfance, vue sous son aspect le plus sombre et le plus traumatique ; la relation vampirique, et ses différents avatars (admiration, amour, haine) ; enfin, son goût pour les acteurs.

A travers le destin de cette femme cultivée mais mal mariée, qui s’étiole à l’âge adulte entre son mari, sa fille, sa famille et ses conventions, dans le cadre oppressant des Landes de l’entre deux guerres, qui cherche par tous les moyens à s’échapper, Claude Miller livre une vraie plongée en eaux troubles. Pas celles de l’enfance, qu’il affectionne. Mais celles de la condition humaine : les premiers émois sexuels et affectifs, la difficulté de se trouver, le poids de la famille et des conventions, le mystère de l’intimité.

Qu’aurait fait Chabrol ?

On pense souvent à ce que Chabrol aurait fait d’un tel matériau, avec Isabelle Huppert dans le rôle titre. Et finalement, non : Claude Miller est un bien meilleur homme de situation. Par sa capacité à filmer les visages pour y scruter le moindre vacillement ; par sa faculté à inscrire ces destins dans des paysages tour à tour oppressants ou apaisants ; par le soin qu’il apporte au son et à la lumière ; par les trouées oniriques et fantasmées qu’il introduit dans le récit, il évite la caricature facile de la bourgeoisie bordelaise, pour enserrer chacun de ses personnages d’une nimbe de mystère. Et de liberté.

Le classicisme à la française à sa perfection

Enfin, encore une fois, pour la dernière, sa direction d’acteurs est impeccable. Sur le papier, autant l’avouer, le couple Tautou-Lellouche me faisait très peur. Eh bien, chapeau, Monsieur Miller. Avec Audrey Tautou, il a trouvé l’incarnation idéale du personnage : tour à tour Charlotte ou petite Lili, elle fait passer toutes les notes d’un bouillonnement intérieur réprimé sous le poids des conventions. Le feu sous la glace. Dont l’ultime regard-caméra restera dans les annales. Quant à Gilles Lellouche dans le rôle de son mari patelin, bonhomme rustre et antisémite, il est exceptionnel. Car derrière son apparente prévisibilité, il confère à son personnage une dose de mystère, de générosité et d’amour refoulé inexprimé. Du grand art qu’on ne lui connaissait pas jusque-là.

Bref, le classicisme à la française porté à sa perfection, qui permet à Claude Miller une ultime fois de fusionner ses obsessions et thématiques dans le cadre d’un cinéma populaire de qualité. Et de livrer un troublant portrait de femme, qui n’a rien à envier à ceux de Bergman.

Travis Bickle

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