Artistes : "Miracles are possible", comme il l’a dit mardi soir à Paris. Car Michael Cimino est en France, à Paris (sur la photo, avec Isabelle Huppert) et à Lyon notamment. C'est en soi un événement. Pour un nouveau film ? Quasiment : la miraculeuse réédition supervisées par ses soins de son monument, Heaven's Gate, dont nous reparlerons ici dans quelques jours. Cela fait désormais 17 ans qu'il n'a pas tourné le moindre film ! Même les plus ermites des réalisateurs – Terrence Malick ou Stanley Kubrick – n'avaient pas autant espacé leurs productions. Michael Cimino, si. Wonderboy du cinéma américains des seventies, en deux films, il passe du paradis à l'enfer, en prolongeant son Voyage au bout de l'enfer (1978, 5 oscars) jusqu'au seuil de La Porte du Paradis (1981, qui provoqua la faillite du mythique studio United Artists)
Et depuis ? Plus grand chose ou presque. Comme si le réalisateur s'était totalement identifié au héros de sa Porte du Paradis, Jim Averill, contemplant le désastre de sa vie reclus sur le ponton d'un yacht, sur une mer d’huile, languide et mélancolique.
Et depuis ? Plus grand chose ou presque. Comme si le réalisateur s'était totalement identifié au héros de sa Porte du Paradis, Jim Averill, contemplant le désastre de sa vie reclus sur le ponton d'un yacht, sur une mer d’huile, languide et mélancolique.
L’ambivalence au coeur
C'est quoi, le mystère Cimino ? Comment devient-on en un rien de temps adulé et détesté, mythifié et abhorré, lumineux et crépusculaire ? Car ce qui caractérise fondamentalement Cimino, c'est l'ambivalence. L'ambivalence de l'artiste, tiraillé entre ses pulsions dionysiaques et apolliniennes. L'ambivalence d'un homme, tenaillé entre ses origines européennes et sa fascination pour l'Amérique. L'ambivalence d'un style qui se situe entre épopée et élégie, flamboyance et mélancolie, romanesque et intimisme, humilité et mégalomanie. L'ambivalence de ses scénarios, qui voient leur auteur taxé de racisme par les uns, de chantre du melting pot par les autres, de sociologue/anthropologue par les uns, de révisionniste par les autres. L'ambivalence d'une trajectoire, qui, d'architecture à laquelle se il se prédestinait, le pousse tour à tour dans la mise en scène de pub, l'écriture de scénarios pour Eastwood, qui l'engage comme réalisateur, le transforme en figure tutélaire du cinéma d'auteur américain, puis écrivain à la gloire évanescente. L'ambivalence enfin d'un être humain, désormais reclus derrière ses lunettes noires, au visage androgyne – comme si John Ford s'était transformé en Dorian Gray....
7 films, deux chefs-d’œuvre, et puis s’en va…
Une oeuvre composée de 7 films, dont 2 chefs-d'oeuvre, 2 piliers dédiés à l'édification de la mythologie américaine, quelques polars flamboyants, ayant pour cadre et pour sujet principal l'Americana éternelle des espaces et la jungle grouillante des mégalopoles, une tentative ratée de retour aux sources siciliennes, et une bluette larmoyante – et puis c'est tout... Comme si Cimino avait tout donné entre Voyage au bout de l'enfer et La Porte du paradis, puis s'était affalé, reclus sur son Aventin du Montana, pour contempler éternellement les films qu'il ne fera jamais... Bref, un cinéaste hanté par ses images et ses rêves de grandeur, un poète de l'Amérique, un artiste bigger than life. Car à la différence de ses contemporains Scorsese, Coppola ou De Palma, son intransigeance, son exigence et son orgueil l'ont définitivement obligé à exclure tout compromis avec les majors, ou les producteurs. D'où ce statut actuel, qu'il semble cultiver à loisir, d'artiste maudit, en dehors du temps.
Allez, flash back sur 7 films :
Le Canardeur (1973) : on vous en a déjà parlé ici, sur Cineblogywood. Eastwood, Bridges, pour un road movie picaresque dans l'Americana de Rockwell. Sur fond de braquages et d'amitié virile. Cimino prend un malin plaisir à tordre le cou à certains clichés, à déboulonner la statue Eastwood, tout en payant son tribut au cinéma de genre. Un cinéaste est né. Signe de son intransigeance : il refuse le pont en or que lui propose Clint pour devenir son yes-man.
Voyage au bout de l'enfer (1978) : son film le plus célèbre, et peut-être le plus mal connu. Souvent à tort considéré comme un film sur le Vietnam (20 mn seulement pour près de 3 heures de film), c'est avant un tout une fresque chorale organique, sur une communauté recluse dans les faubourgs de Pittsburgh, à la lisière des bois et des jungles urbaines. Plutôt qu'à la flamboyance pyrotechnique et philosophique d'Apocalypse Now, c'est à Husbands que fait penser ce film dans sa 1ère partie : même approche des êtres, du temps et de la solitude. Son chef-d'oeuvre ? 5 Oscars, triomphe au box office, Cimino au firmament. Réédition Carlotta prévue au 2d semestre 2013 – enfin !
Heaven's Gate (1980) : on vous en reparle sur Cineblogywood plus longuement dans quelques jours. Désastre commercial absolu à sa sortie, ce néo-western fait partie des chefs d'oeuvre maudits qui peuplent l'histoire du cinéma. Pas exempts de défauts, mineurs à l'échelle grandiloquente de la geste que conçoit Cimino pour rendre hommage à l'histoire de son pays.
L'Année du dragon (1985) : peut-être le polar archétypal des années 80 ? Enorme bloc de noirceur et de violence dans le chaos urbain de Chinatown, "film de guerre en temps de paix" comme le décrit Cimino himself, co-scénarisé avec Oliver Stone, cette quête rédemptrice est habitée par un Mickey Rourke au sommet de son art – et un Cimino qui semble retrouver un second souffle après le traumatisme Heaven's gate. Injustement taxé de racisme, le film est un hit au BO européen, insuffisant pour lui donner toute la latitude qu'il souhaite.
Le Sicilien (1987) : sur le papier, Michael Cimino était l'homme de la situation pour évoquer la figure de Salvatore Giuliano, bandit au grand chemin de l’après-guerre, porté par son rêve de redonner la terre de leurs ancêtres aux paysans siciliens et de rattacher la Sicile aux Etats-Unis comme 52ème Etat. On aurait pu y voir une sorte d'autoportrait viscontien, mix du Parrain et du Guépard. Las ! En raison notamment d'un casting malheureux, écrasé par l'ombre écrasante du Parrain auquel il se voulait un hommage, d'un scénario 1000 fois revu et corrigé par Gore Vidal, le film n'est que l'ombre de son projet. Mieux aurait valu pour Cimino rêver ce film que le réaliser.
Desperate hours (1991) : remake de La Maison des otages de W. Wyler (1957), ce huis clos pâtit d'une mauvaise réputation. Car une fois libéré du carcan du huis-clos, la caméra de Cimino se libère pour insuffler une dimension épique à une intrigue de série B. A l'instar de la fuite du personnage joué par David Morse à travers les vastes espaces montagneux de l'Utah et abattu par le FBI. Tel un daim par ses chasseurs.
The Sunchaser (1996) : dernier film en date du cinéaste, il boucle la boucle avec Le Canardeur : buddy movie, road movie, conflit de générations. Mais là, tout se passe sous le soleil exactement. Sous le soleil du Colorado, au sein d'une réserve Navajo, où résiderait un lac aux vertus curatives. Trop attendu, et du coup, mal reçu. A réévaluer ? Malgré sa présentation à Cannes, nouveau bide.
Et depuis, que deviens-tu, Michael ? Entre Paris et les montages du Montana, tu erres, à la recherche d'une gloire perdue. Mais peu importe que tu reviennes à la faveur d'un livre, au demeurant pas terrible, ou d'un nouveau projet 100 fois remisé – La condition humaine, comme si tu ne l'avais pas déjà adaptée tout au long de ton oeuvre ! - ton nom est inscrit au frontispice du cinéma. Aux côtés de ceux de tes glorieux ancêtres Ford, Griffith, Vidor ou Mann, tu as écrit via le cinéma une page d'histoire. So long...
Travis Bickle
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