mardi 24 novembre 2015

Louis Malle (1/2) : du Monde du silence à Histoires Extraordinaires

Artistes : Vingt ans après sa disparition le 24 novembre 1995, force est de constater le faible écho que rencontre l’œuvre de Louis Malle dans le cinéma français. Pourtant, 26 films, une Palme d'Or, deux Lions d'Or, un Oscar, deux Louis Delluc, Belmondo, Ronet, Delon, Piccoli, Noiret, Lancaster, Irons, Moreau, Bardot, Massari, Sarandon, Binoche, entre autres... Le tableau de chasse de Louis Malle est éloquent. 


La raison est sans doute à chercher parmi son œuvre dense, qui touche à peu près tous les genres, tous les continents, véritablement inclassable, difficilement repérable dans la cartographie cinématographique. Surtout qu’il agissait pour le cinéaste de réaliser à chaque fois chacun de ses films contre le précédent. 



Né en 1932, dans le Nord de la France, issu d’une famille grand-bourgeoise propriétaire des sucreries Beghin, Louis Malle pâtit de ses origines sociales, contre lesquelles il va lutter idéologiquement. Mais sur lesquelles il s’appuiera pour œuvrer à son indépendance financière – et donc, artistique. 

Carrière hors normes et singulière, donc, sans équivalent dans le cinéma français, par sa diversité de genres, ses allers-retours constants entre documentaires et fictions, entre la France et TOUT le reste du monde. A laquelle s’ajoute une existence riche en rencontres, dépaysements, aventures sentimentales – Jeanne Moreau, Brigitte Bardot, Gila von Weitershausen, Alexandra Stewart, Susan Sarandon, Candice Bergen - intrigues, projets inaboutis. Et dont témoigne l’énorme biographie – 600 pages ! – que lui a consacrée en 2003 le critique Pierre Billard, Louis Malle, le rebelle solitaire, aux éditions Plon. A l’occasion du 20e anniversaire de sa disparition – célébré par Gaumont avec la réédition de sept titres – retour sur sa carrière. Première partie.

Le Monde du silence (1956) 
Sur le point de sortir diplômé de l’Idhec, ancêtre de la Femis, Louis Malle est embauché par l’équipe du commandant Cousteau deux mois, puis trois ans pour filmer leurs expéditions. Une expérience capitale pour ce jeune homme aisé, qui lui permet d’ouvrir les yeux sur le monde. Résultat : une Palme d’Or décrochée en 1956, et Louis Malle au firmament des réalisateurs qui comptent. A 24 ans ! (lire également la critique "poil à gratter" d'Anderton)


Ascenseur pour l'échafaud (1957) 
A défaut de son meilleur film, le plus mythique et le plus cité de son auteur : Jeanne Moreau errant dans un Paris froid et métallique, Maurice Ronet terré dans son ascenseur, la musique de Miles Davis, l’errance nocturne sous influence d’Antonioni, ce motel – normand ! - qu’on dirait sorti de Californie, les dialogues désabusés de Roger Nimier... Première incursion dans la fiction, tournée en extérieurs, d’après un roman de Noël Calef, ce film possède un avant-goût de démythification du consumérisme, dix ans avant mai 68. Et de parfum de Nouvelle Vague avant l'heure.  Mouvement dont la critique le rapprochera, mais dont il ne sera qu'un satellite, à l'instar d'Alain Cavalier, d'Alain Resnais ou de Philippe de Broca. Prix Louis Delluc. A 25 ans. Pfff...


Les Amants (1958) 
En adaptant la nouvelle du libertin Dominique Vivant Denon, annonciatrice des Liaisons dangereuses, Louis Malle s’adjoint les services de Louise de Vilmorin, de plus de 40 ans son aînée. Rythme d’enfer pour l’écriture du scénario d’un film jugé à l’époque scandaleux. Finalement très personnel et très éloigné du roman original, qui magnifie son actrice principale, Jeanne Moreau. En septembre, il décroche le Lion d’Argent à la Mostra de Venise, sept mois après Ascenseur pour l’échafaud. Le troisième plus gros succès commercial de Louis Malle.


Zazie dans le métro (1960) 
Adaptation de l'ouvrage culte de Raymond Queneau, Zazie s'apparente à un exercice de style burlesque, inventif, et loufoque. En jouant sur les mots, le montage, les raccords, Malle s'amuse avec Paris qu'il filme sans queue ni tête. Et le cinéma. Pour trouver un équivalent cinématographique du jeu oulipien avec le langage. Très british dans la forme, il n'est pas si éloigné de l'esprit des Monthy Python. Un film salué en son temps par Charlie Chaplin himself. Et co-scénarisé par son ami Jean-Paul Rappeneau.



Vie privée (1961) 
La seule commande qu’ait réalisée Louis Malle. Initialement adaptation d’une pièce de Noël Coward, le scénario se transforme en peinture du star system et de ses méfaits. Puis en biopic – romancé - de son actrice principale, Brigitte Bardot ! Conception chaotique, relations tendues avec Rappeneau et Mastroianni, Louis Malle sort artistiquement lessivé de cette expérience. En reste quelques beaux moments, notamment tout le début à Genève, avec ses accents de paradis perdu.


Le Feu follet (1963)
Ultime errance parisienne de Maurice Ronet, avant un fatidique 23 juillet, sur des notes de Satie. En adaptant Drieu la Rochelle, qui s’inspirait des derniers jours du poète surréaliste Jacques Rigaut, Louis Malle rend compte du mal de vivre d'une génération – celle de l'Algérie, l'action ayant été transposée des années 20 aux années 60 – mais aussi d'un existentialisme mis à mal par les conventions sociales, mondaines, bourgeoises. Un manifeste pro-liberté. Un cri de révolte existentielle. Qui témoigne du goût du cinéaste pour l’existentialisme, son attrait pour le nihilisme. Et de sa méthode : parler de soi, à travers les autres. Impliqué personnellement, au point de fournir à Maurice Ronet sa propre garde-robe, Louis Malle livre là un autoportrait de l’artiste en jeune homme, en déshérence après la mort accidentelle de son ami Roger Nimier. Et dire que ce film a failli être tourné en couleurs !


Viva Maria (1965)
Ecrit volontairement pour rompre avec le noirceur du Feu Follet, Viva Maria naît du désir de Louis Malle de faire un film musical, sur deux chanteuses, dans un pays lointain, et à une époque lointaine ! Pari finalement tenu, avec la complicité de Jean-Claude Carrière au scénario. Quatre mois de tournage au Mexique pour une super-production envahie par les paparazzi en mal d’infos sur le duo Jeanne-Moreau-Brigitte Bardot, Viva Maria est à Louis Malle ce que L’Homme de Rio sera à Philippe de Broca : un grand rêve d’enfant devenu réalité, nourri de ses lectures adolescentes – notamment Jules Verne ! Etrangement, peu visible, bien ce que ce soit, après Au revoir les enfants, le plus gros succès de Louis Malle au BO.


Le Voleur (1967) 
Adaptation du roman de l'anarchiste du début du siècle Georges Darien, Le Voleur se veut une charge du cinéaste à l'encontre de la bourgeoisie et de ses codes. De l’aveu même du cinéaste, il s'est pleinement identifié au personnage principal incarné par Jean-Paul Belmondo. Au point d’ajouter qu’il s’agit alors de son film le plus autobiographique. C’est surtout pour Louis Malle l’occasion d’offrir à Jean-Paul Belmondo un rôle d’envergure, après avoir regretté de ne pas lui avoir attribué le rôle principal d’Ascenseur pour l’échafaud. C'est également une splendide déclaration d'amour aux femmes, de Marie Dubois à Geneviève Bujold en passant par Françoise Fabian et Marlène Jobert. Pour beaucoup, le meilleur film du réalisateur. En tout cas, un film-charnière.


Histoires Extraordinaires - William Wilson (1967) 
Segment d’un film à sketches signés Fellini et Vadim, cette adaptation d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe connaît un tournage mouvementé : relations tendues entre le réalisateur et son acteur principal Alain Delon ; tensions sur le scénario ; problèmes liés aux lieux de tournage. Reste le meilleur sketch du lot, où éclate son goût pour l’ambiguité et les personnages multi-dimensionnels.


Parmi les 7 rééditions que consacre Gaumont à Louis Malle à l'occasion du 20e anniversaire de sa disparition, celle d'Ascenseur pour l'échafaud et du Feu Follet retiennent particulièrement l'attention. Outre la qualité des copies qui redonnent justice au travail sur le noir et blanc, les ambiances nocturnes et les errances parisiennes auxquels s'était livré le cinéaste, ces éditions permettent à travers de très riches bonus de remettre au premier plan ces deux oeuvres.

Bien sûr, ce qui retient l'attention dans les bonus du premier film de fiction de Louis Malle, c'est tout ce qui touche aux conditions de composition et d'enregistrement - miraculeuses ! - de la musique par Miles Davis. Jean-Paul Rappeneau, ami du cinéaste, insiste sur le contexte de production d'Ascenseur pour l'échafaud, pour lui donner une place entre les films de la Nouvelle Vague et ceux d'Antonioni. Autre témoignage marquant : celui de Philippe Collin, scénariste et ami du réalisateur, qui explique en quoi les expérimentations techniques des cameramen couvrant la guerre d'Indochine ont permis à son chef op Henri Decae d'utiliser une nouvelle caméra pour tourner en extérieurs en pleine obscurité, sans utilisation de projecteur. Et ce, juste avant la Nouvelle Vague.

Quant à ceux de Feu Follet, dominés par les interventions de Philippe Collin, quasi-coauteur du film avec Louis Malle, ils permettent de réaliser combien ce film tenait au réalisateur du Voleur.  La garde-robe du cinéaste, quelques objets personnels, sa curiosité pour les personnages désoeuvrés et suicidaires, tout concourt, selon Philippe Collin, à lire ce film comme une sorte d'auto-portrait déguisé de Louis Malle. Autre témoignage à signaler : celui de la trop rare Alexandra Stewart, qui apparaît dans un second rôle, avant de devenir quelques années plus tard la compagne du cinéaste.

Travis Bickle

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