mardi 3 novembre 2015

Le Fils de Saul : magistral !

En salles : Autant le dire tout de suite : vous ne sortirez pas indifférent du Fils de Saul. Au-delà de la puissance de son sujet, le film renouvelle complètement tout ce qu’on avait pu voir jusqu’ici en matière de fictions à propos de la Shoah. Novateur, audacieux, et totalement respectueux. 


Pari gonflé et gagné haut la main par Laszlo Nemes, dont il s’agit là du premier film, couronné par le Grand Prix du jury lors du Festival de Cannes 2015.


Un sujet casse-gueule au possible

L’histoire ? Celle de Saul, Juif hongrois, membre des Sonderkommando, forcés d’assister les nazis dans leurs tâches d’extermination. Alors que se prépare une révolte fomentée par le Sonderkommando, Saul découvre un cadavre dans lequel il croit reconnaître celui de son fils. Commence alors une incroyable odyssée, celle de Saul et de ce cadavre, qu’il vaut sauver de l’enfer des flammes d’Auschwitz, au péril de sa vie. Sujet on ne peut plus casse-gueule, pour un traitement qui sur le papier pouvait faire redouter le pire. Mis à part Claude Lanzmann, aucun réalisateur n’était allé aussi loin pour dépeindre Auschwitz avec autant de précision, et à cette époque clé, fin 1944. Sans sentimentalisme, sans effets. Comment ?

Focalisation extrême

Un double parti pris de mise en scène prend à la gorge le spectateur pour ne plus jamais le lâcher : l’immersion et la focalisation. Dès les premières images, la caméra ne lâche pas d’une semelle Saul. Elle le traque dans tous ses mouvements, dans toutes ses actions quotidiennes et ordinaires, si je puis dire, de la plus triviale à la plus déshumanisante. Et ce, en s’arrêtant toujours aux portes de l’immontrable. Un tour de force, qui privilégie le regard du personnage central, au détriment d’une vision historique et omnisciente des événements. Le spectateur est ainsi dans le même état que Saul : sans recul,  sans compréhension des événements. Un procédé qui rappelle Stendhal et son Fabrice del Dongo à Waterloo, l’optimisme et la naïveté en moins.

Immersion organique

Conséquence : en s’appuyant sur le seul regard de Saul, la caméra nous plonge dans une atmosphère sensorielle, organique, viscérale, qui capte les bruits, les images, dans une sorte d’aveuglement total. Cris et chuchotements en 8 langues succèdent aux vociférations et brouhaha des foules ; les claquements secs des mitrailleuses succèdent au crépitement macabre des flammes du crématorium ; la fumée vient se mêler au brouillard qui succède à la nuit... Travail exceptionnel sur le son et l’image, mais qui refuse tout esthétisme. Ce qui le rend encore plus fort et parfois, avouons-le, insoutenable.  Immersion totale, renforcée par l’usage de l’argentique et du 35 mm.

En quête de salut

Enfin, et surtout, Le Fils de Saul, c’est aussi un récit, une histoire, une fable, au sens primitif et biblique du terme. Celle d’un homme qui va – croire ? – reconnaître son fils parmi les victimes. Et n’aura qu’un seul but : lui donner une sépulture. Le film décrit alors minutieusement les techniques qu’il emploie pour conserver le corps, le dissimuler, le transporter. Tel un poids, une croix. Une obsession absurde, dérisoire, qui se transforme peu à peu en un combat d’un homme pour sa survie en tant qu’être humain, pour la sauvegarde de ce qui reste en lui d’humanité. Pour son salut. Comme s’il y avait besoin de se raconter des histoires pour résister, survivre, et atteindre l’universel. Magistral.

Travis Bickle


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