En salles : Table rase. C’est le sentiment qui prédomine à la vision de Jimmy P, le dernier film d’Arnaud Desplechin. Oubliez les clichés qui courent sur son œuvre : romanesque, germanopratin, intellectuel, torturé, Bergman, tout ça. Tout se passe comme s’il remettait en jeu son cinéma, ses obsessions, son art. Pour livrer une magnifique histoire d’amitié entre deux hommes, apaisée, et lumineuse. La preuve en 4 points.
Duo magnifique
Fini, le film de troupe. Là où Comment je me suis disputé, Rois et reines et Un conte de Noël, s’attachaient à rassembler des familles d’acteurs – Emmanuel Salinger, Marianne Denicourt, Jeanne Balibar, Maurice Garrel, Catherine Deneuve, Emmanuelle Devos, entre autres…- ici, le cinéaste se concentre sur deux comédiens. Certes, l’un d’entre eux – Mathieu Amalric – fait partie de la troupe depuis 1995 et Comment je me suis disputé… On ne bazarde pas sa famille comme ça ! L’autre, Américain, physique, massif – Benicio del Toro, donc – déboule dans son univers comme pour y être ausculté, disséqué. A l’instar du crâne trimballé tout au long de La Sentinelle (1992). Est-il utile de dire qu’ils sont tous deux au sommet de leur art - même si on peut regretter le jeu parfois un peu surfait du Français, notamment au début du film ?
Donner chair aux dialogues
Si les dialogues riches, denses, complexes, demeurent, là c’est pour se concentrer sur un affrontement, une cure, une psychanalyse au long cours : celle suivie par un Indien Blackfoot, traumatisé par la Seconde guerre mondiale, auprès d’un ethnopsychiatre français d’origine hongroise, Georges Devereux. Mais plutôt que de se contenter de classiques champs-contre-champs, Desplechin vient leur donner corps, résonnance, en suivant le quotidien de ces deux hommes. Souvenirs d’enfance, histoires d’amour – merveilleux personnage féminin que celui incarné par Gina McKee, la maîtresse du psychiatre français –, descriptions du milieu d’origine viennent ainsi donner chair à leur propos, les enrichir, voire parfois les contredire. Pour une sorte de thriller psychanalytique, qui n’a rien à voir avec la résolution d’un mystère à la Docteur Edwards ou Shutter Island. Mais ressortit plutôt à la quête de sérénité, de guérison et d’apaisement de l’âme. Et si l’on pense parfois à A Dangerous Method de David Cronenberg, également construit sur des joutes verbales entre Jung et Freud, c’est avec beaucoup plus d’empathie que le cinéaste français aborde ses personnages que ne le fait le Canadien.
Se coltiner les grands espaces du Montana
Fini, Roubaix, Saint-Germain des Prés ou la Sorbonne. Ici, en raison du sujet, Desplechin doit se coltiner l’Amérique, les grands espaces, ceux du Montana, ceux qui l’ont fait rêver. Il en faut du courage, du culot pour affronter une telle mythologie ! Et ce qui plus est, en l’absence de son chef op habituel, Eric Gautier ! D’ailleurs, les quelques panoramas sur les grands espaces nous font regretter que Desplechin n’ait pas eu davantage de temps ou de moyens pour les multiplier, tellement sa science du cadre, de la lumière parviennent à transfigurer l’imagerie traditionnelle de l’Americana d’un John Ford. Auquel le cinéaste rend explicitement hommage à travers un extrait de Young Mr. Lincoln.
Eloge de l’entre-deux
Enfin, à travers le rapprochement progressif de ces deux consciences, Desplechin filme en action son rapport à l’Amérique, qu’il approche progressivement, avec ses méthodes d’Européen, dont il se défait peu à peu, à mesure que progresse la cure de son héros, Jimmy Picard, à la double consonance franco-américaine, à la double appartenance indienne et américaine, comme l’est son interlocuteur, à la fois juif, Hongrois, français et New-Yorkais. Et le cinéaste de livrer une œuvre à la saveur inédite, fruit acidulé, tendre et amer d’un entre-deux culturel, psychanalytique et cinématographique. Mature, belle et apaisée.
Travis Bickle
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