En salles : Vous aussi, vous aviez lâché l’affaire, avec Steven Soderbergh ? Face à une fringale de tournages qui donne le tournis – 4 films sortis en moins de 12 mois en France – vous aviez perdu le fil ? Vous en aviez marre de ses filtres de couleurs, marque de fabrique qui confinait aux tics ? Avec son 25e film en 25 ans, le plus jeune titulaire d’une Palme d’Or – 26 ans, pour Sexe, mensonges et vidéo en 1989 – déclare boucler la boucle. Et croyez-moi, il serait vraiment dommage de passer à côté de Ma Vie avec Liberace, son auto-proclamé dernier film, consacré à une véritable légende hollywoodienne, le pianiste show-man Liberace, mort du sida en 1987. La preuve par 5.
1) Parce qu’il n’a pas son pareil pour mélanger les genres. A la fois biopic, mélodrame, chronique amoureuse et fresque sur le show biz, Ma vie avec Liberace (Behind the candelabra) embrasse tous ces genres, et les déjoue, un à un. Car c’est avant tout une formidable reconstitution des années 70, et une déclaration d’amour à l’entertainment. Tout ce qu’on aime dans un cinéma américain non formaté, qui donne la primeur à ses personnages plutôt qu’à l’action. Signé Richard LaGravenese, le scénario est aussi riche, dense, touffu, fin que l’était celui qu’il avait écrit pour Terry Gilliam, le mal aimé Fisher King.
2) Parce qu’il parvient à équilibrer son film comme peu l’ont fait – Minnelli ? -, entre scènes intimistes et scènes de showbiz. A l’instar de sa scène introductive centrée sur Scott Thorson entrant dans un bar gay, Soderbergh se concentre sur son sujet : l’intimité du couple, leurs phases classiques, - rencontre, passion, domination, possession, jalousie, dépit, infidélités – saisies à la Proust. Bref, couple gay, couple hétéro, même combat ! 10 ans de la vie d’un couple auscultés du point de vue non de la star Liberace, mais de son amant. 10 ans de showbiz, prétexte à une description sans fards de ce monde de paillettes et de strass : les coulisses, le public idolâtre, les gossips, les numéros au piano avec candélabres… Pour s’achever par un final à la All that jazz : onirique, dans la grande tradition du music hall des années 70-80, dans lequel réapparaît le pianiste dans un ultime concert. Beau et décalé. Emouvant et ridicule.
3) Parce qu’il parvient à trouver le ton juste. Juste ce qu’il faut d’humour pour montrer le ridicule de Liberace sans tomber dans la caricature, et ce sans jamais cesser de le prendre au sérieux. Pas évident car à la base de ce couple, se mêlent certes du désir et une attirance sexuelle, mais aussi une relation amicale, une relation fraternelle. Et même une relation père-fils ! Thorson voyant en Liberace une figure de père de substitution. Et Liberace en Thorson le fils qu’il ne pourrait jamais avoir - et plus encore, son reflet de jeunesse, son Dorian Gray. Point culminant de cette relation où la folie le dispute au grotesque : quand Liberace demande à son amant de subir une opération de chirurgie esthétique pour qu’il puisse lui ressembler. Opération que Thorson accepte. Là où le film aurait pu tomber dans une hystérie et un délire propre au cinéma d’Aldrich, par exemple, il reste constamment digne et émouvant, à égale distance de l’empathie et de l’ironie. Du grand art.
4) Parce qu’il met en valeur des décors comme personne. Tourné en partie dans les lieux fréquentés par Liberace – son appartement donnant sur Berverly Hills, la scène du Hilton à Las Vegas – le film tire parti d’un décor kitsch et flamboyant. Qui agit là encore comme une sorte de miroir de la personnalité complexe de Liberace : séducteur, narcissique, généreux, égoïste. Sorte de Louis II de Bavière, explicitement cité comme son modèle. Une très belle réussite de ce point de vue.
5) Parce qu’il reste un exceptionnel directeur d’acteurs. Qui pût imaginer Michael Douglas, le proptotype du mâle américain, dans le rôle-titre, sorte d’Elton John avant l’heure, homosexuel avéré qui se cachait aux yeux de l’opinion publique. Moumoute, voix nasillarde, tunique satinée, bagouses en or, il est méconnaissable, et livre une interprétation féline du personnage, vieille folle adulée et flamboyante. Et restitue toutes les nuances vocales et sensuelles du personnage, de la tendresse à la vacherie, en passant par la passion, la générosité et le nombrilisme. Face à lui, Matt Damon, mutique, dans un corps massif en ado mal dégrossi, tout à sa quête paternelle, s’avère très émouvant. Duo exceptionnel qui n’a pas hésité à se mettre à nu, dans les scènes plus hot comme les moins hot. Un double prix d’interprétation eût été amplement mérité à Cannes cette année. A leurs côtés, on note une pléthore de comédiens, dont la revenante Debbie Reynolds – la mère de Carrie Fisher, interprète de Chantons sous la pluie – dans le rôle de la mère de Liberace ; ou bien un autre revenant, Rob Lowe, méconnaissable et irrésistible dans le rôle de Jack Startz, chirurgien des stars.
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