A lire : Ne restez pas au seuil de cette porte-là ! Composé de textes écrits par Michael Henry Wilson, historien, critique, féru de cinéma américain, auteur de livres d'entretiens avec Clint Eastwood et Martin Scorsese, avec lequel il avait coréalisé une magistrale histoire du cinéma américain en 1995, voici un monument de plus de 600 pages, qui s'apparente à une somme, l'ouvrage récapitulatif d'une vie de critique. Cruelle ironie du destin : au moment même où paraissait cet ouvrage, son auteur disparaissait prématurément à l'âge de 67 ans, le 26 juin 2014.
Alors, certes, entre le dictionnaire subjectif de Coursodon et Tavernier, 50 ans de cinéma américain, la somme d'entretiens réalisés toujours par Bertrand Tavernier, Amis américains, la radiographie de Pierre Berthomieu consacrée à Hollywood, le Thoret-Benoliel sur le road movie, ou les différents ouvrages de Michel Ciment – Une renaissance américaine, notamment – il y a de quoi lire ces temps-ci sur le cinéma américain. Alors, en quoi A la porte du paradis apporte-t-il sa pierre à un édifice déjà bien charpenté ?
A la recherche de la prairie perdue
Tout d'abord, il réside dans sa volonté de tracer un fil rouge fondé sur une approche chronologique et auteuriste. Ce fil rouge permet d'aborder le fond et la forme, les thèmes des cinéastes avec leurs conditions de production, les scénarios et la réalisation. Bref, une approche globale et lumineuse qui réinscrit le cinéma américain dans une perspective beaucoup plus vaste, celle de la culture américaine fondée sur un mythe : celui de la "prairie perdue" et ses avatars : la conquête de l'Ouest, la pastorale, le paradis perdu, retrouvé, ensanglanté, pillé, soudoyé, quand il n'est pas purement fantasmé.
58 cinéastes en 7 chapitres paradisiaques
Rassemblés chronologiquement en sept chapitres qui sont autant d'étapes de la conquête de la prairie perdue – Le matin des magiciens, les chantres de l'aventure, Maestros et virtuoses, Les contrebandiers, les désillusionnés, les iconoclastes, les arpenteurs de l'imaginaire – les textes de MHW nous permettent de parcourir (à nouveau) en quelques pages l'oeuvre des cinéstes les plus connus – DW. Griffith, Buster Keaton, Howard Hawks, Raoul Walsh, Henry Hataway, Richard Fleischer, JL. Mankiewicz, Elia Kazan, Clint Eastwood, Samuel Fuller, Nicholas Ray, Martin Scorsese, Francis Coppola, Michael Cimino, Stanley Kubrick, Terrence Malick, David Lynch, par exemple – aux plus inattendus ou moins étudiés – Paul Fejos, William Wellman, Gregory La Cava, Albert Lewin, Ida Lupino, Cy Endfield, Bob Fosse, Alan Rudolph, James B. Harris. Rien qu'à cela, une précieuse bible, qui ne prétend certes pas à l'exhaustivité, richement illustrée, ce qui ne gâte rien. Et qui nous permet de voir comment chacun de ces cinéastes, à sa façon, à travers son œuvre, s'inscrit dans l'édification de ce vaste jardin des grands espaces qu'est celui de l'Americana.
Dans le détail ou vision panoramique
A la différence des bibles ou dictionnaires rarement lisibles dans leur intégralité, l'ouvrage de Michael Henry Wilson a pris le parti de ne consacrer que quelques pages à chacun des réalisateurs, soit pour dresser un panorama de l'ensemble de son œuvre, soit pour se focaliser sur 2 films révélateurs du cinéaste et de son imaginaire. Ce qui a pour vertu de renouveler le regard que l'on porte sur eux, ou d'éviter toute redondance avec des monographies publiées par ailleurs. Ainsi, Michael Curtiz fait l'objet d'une analyse panoramique, tandis qu'un Bob Fosse voit se concentrer le regard de MHW sur Lenny et All that jazz, ou un Altman ausculté à travers le double prisme du Privé et de Un mariage.
En perpétuelle effervescence
Bref, une véritable odyssée et une invitation à redécouvrir tout le cinéma américain sous un regard renouvelé. Car comme l'écrit Michael Henry Wilson en véritable amoureux et passionné du cinéma américain en conclusion : "Telle est la beauté du cinéma : cet art est en perpétuelle effervescence, il est toujours à recommencer. Son histoire est aussi transitoire que les cartes du Nouveau Monde à l'époque des grands explorateurs. Il nous appartient non seulement de la repenser et de la réécrire, mais de la revivre en permanence. Avec un cœur grand ouvert et un regard qui ne demande qu'à être
émerveillé". Belle entrée au Paradis, Michael !
A la porte du paradis – 100 ans de cinéma américain, par Michael Henry Wilson, éditions Armand Colin.
Travis Bickle
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