mardi 1 décembre 2015

Le Pont des espions : la réponse de Spielberg l'humaniste à Eastwood

En salle : Guerre de Sécession, Première guerre mondiale, Débarquement, Guerre du Pacifique, Holocauste, mine de rien, Steven Spielberg est en train de brosser une œuvre globale qui embrasse l’histoire de l’Europe et des Etats-Unis. Comme une sorte de Victor Hugo américain contemporain. Avec Le Pont des espions, il s’attaque à la Guerre froide, curieusement absente jusque-là de sa filmographie, à travers le portrait d’un avocat lambda métamorphosé en négociateur secret du gouvernement fédéral. Manière d’offrir à l’Amérique un nouveau miroir de ses contradictions. Et un curieux autoportrait du héros américain en proie aux doutes et à l’angoisse. 


D’une densité et d’un classicisme souverains, Le Pont des espions figurera dans le top de la filmographie du cinéaste – qui commence à en compter beaucoup ! 

Souveraineté de la réalisation 

Si une grande partie de l’action se joue dans les prétoires, dans les bureaux ou dans ces no man’s land intermédiaires (appartements berlinois, chambre d’hôtels, prisons, maisons familiales, etc.), Steven Spielberg se rappelle à notre bon souvenir. Outre une brillante scène d’ouverture de filature dans New York en 1957, quasiment muette, d’une dizaine de minutes, d’inspiration hitchcockienne, on compte une scène d’action à couper le souffle en plein milieu du film, sans compter son talent visuel pour reconstituer le Berlin juste au moment de l’édification du Mur, ou pour dresser des parallèles visuels entre la géographie berlinoise vue d’un train avec une vue similaire aux Etats-Unis, pour en souligner les différences mais aussi ce qui les rend semblables... 

Au service de son intrigue, la réalisation reste constamment inventive, sous ses dehors d’apparent classicisme. A l’instar de l’énigmatique plan d’ouverture, véritable triptyque visuel qui confronte le visage d’un homme à son reflet dans un miroir et à l’autoportrait qu’il est en train de peindre.

Scénario des frères Coen

L’intrigue, justement. 1957. Au plus fort de la Guerre froide, un espion russe est arrêté aux Etats-Unis. Parallèlement, un avion espion américain est attaqué par les Soviétiques. Au cœur de cette double intrigue, James Donovan, un avocat d’assurances, rompu aux affaires internationales - il a participé au procès de Nuremberg – est mis à l’épreuve. Pour récupérer le pilote de l’avion de chasse en échange de la restitution de l’espion aux autorités soviétiques. 

Le film se divise en deux blocs a priori indépendants. Or tout l’enjeu de Spielberg est d’établir des ponts, voire des parallèles, entre ces deux blocs. Dans le premier, dominé par la préparation du procès aux Etats-Unis, c’est la relation entre l’avocat et l’espion russe qui est centrale. Manière pour lui de ramener l’Amérique face à ses idéaux et ses principes, contrecarrés à la fin des années 1950, à la suite du mccarthysme et de la Guerre froide. Et qui évoque en filigrane l’Amérique contemporaine et Guantanamo. 

Quant à la partie berlinoise plus légère, plus absurde, plus stressante, s’y détecte plus facilement la patte des frères Coen, co-auteurs du scénario. Notamment dans la scène de "retrouvailles" avec la "famille" de l’espion, donne lieu à une scène de quasi-bouffonerie. Ou à des répliques en forme de running gags entre l’espion soviétique et son avocat américain, qui attestent de la complicité qui s’est établie entre l’Américain et son ennemi supposé. Bien évidemment, avec la complicité de son chef op Janusz Kaminski, Spielberg travaille la lumière comme un véritable peintre, en accentuant le contraste entre les dominantes sombres et crépusculaires pour Berlin, solaires et lumineuses pour l’Amérique, tout en insérant dans cette la partie US des scènes sombres et nocturnes, parfois à contre-jour, reflets de l’ambiance angoissante de l’Amérique des 50's.

Retrouvailles avec Tom Hanks

Après Il faut sauver le soldat Ryan, Le Terminal et Arrête-moi si tu peux, c’est la quatrième collaboration de l’acteur avec le réalisateur des Dents de la mer. Dans un rôle qui aurait pu jadis été interprété par James Stewart ou Gary Cooper, Tom Hanks est James Donovan, l’American guy, pétri des valeurs morales humanistes, héros d’un autre temps. En ce sens, nul autre que lui pouvait mieux être son porte-parole. Car en fin de compte, Le Pont des espions constitue la réponse optimiste et lyrique de Spielberg à la vision amère et désabusée que Clint Eastwood livra de l’héroïsme américain dans American Sniper.  

Indécrottable humaniste

Tirée d’une histoire vraie, en dépeignant cet avocat convaincu de devoir traiter son pire ennemi avec autant d’égard et de justice que son voisin, Spielberg brosse en sourdine un portrait en creux d’une Amérique qui a renié ses principes avec Guantanamo. Car ce qui intéresse Spielberg, c’est bien davantage de dresser des ponts – entre les pays, entre les hommes, entre présent et passé – que de dépeindre des espions – d’autant plus que cela a déjà été traité, du Troisième Homme au Tailleur de Panama, en passant par L’Espion qui venait du froid. Eloge du verbe, de la puissance de la parole - comme dans Lincoln Le Pont des espions se veut le portrait d’une Amérique qui doit être d’abord un refuge, y compris pour ses ennemis, qui doit ériger des ponts, et non des murs. 

Et vous savez quoi ? Par les temps qui courent, notamment en France, voilà un discours, un cinéaste, un film, qui font du bien au moral, au cinéma et à l’humanité !

Travis Bickle



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