En salle : Après le triomphe public et critique d’Alabama Monroe, le Flamand Felix Van Groeningen confirme son statut de cinéaste qui compte, en décrochant le prix de la meilleure réalisation au dernier Festival de Sundance, avec son dernier opus, Belgica. Alors, faut-il franchir le seuil de ce bar tourbillonnant, qui catalyse la destinée de deux frangins flamands, pris dans les tourments professionnels, familiaux et existentiels ? Réponse en quelques pintes !
Odyssée d’un pub aux effluves de houblon
Pas question pour le réalisateur de La Merditude des choses de conter l’odyssée de ce pub – inspirée de celle que tenait son propre père – sur un mode classique ou un mode théâtral. Véritable catalyseur de tous les enjeux du film, le Belgica est le reflet de la décadence dans laquelle sombrent les deux frangins, qui ont acquis ce bar. A la fois utopie alcoolisée, lieu de rédemption, "arche de Noé" existentielle, ou tout simplement lieu de fêtes et de libations, le Belgica s’apparente à un véritable refuge pour tous les reclus. Parce que son propriétaire, Jo, a souffert d’exclusion et de moqueries en raison de son handicap physique (il est borgne), il construit avec le Belgica un univers de mixité où l’on célèbre les différences à coups de pintes. Belle utopie concrète qui va progressivement se dissoudre dans le tréfonds des nuits belges, de l’alcool, de l’idéologie sécuritaire et de l’exclusion. Telle une Europe en miniature.
La musique, un acteur majeur
Qui dit pub dit musique. Et à l’instar d’Alabama Monroe, qui baignait dans le blue grass, Felix Van Groeningen plonge son Belgica dans des nappes musicales frénétiques. Rock, électro, "J’aime regarder les filles", tout y passe, comme un grand huit musical, comme un tourbillon sans fin. Et ça, on le doit à Soulwax, groupe électro-rock qui imprime de son rythme tout le film. Partie intégrante de la narration, la musique catalyse et reflète les états émotionnels des personnages. Tout comme elle accompagne les mouvements virevoltants de la caméra, qui, sans jamais se faire complètement oublier, s’insère dans l’ambiance houblonnée et envapée du pub.
Histoire de fratries
Si la naissance d’un pub réputé permet à Felix Van Groeningen d’aborder ses thèmes de prédilection – l’addiction aux drogues et à l’alcool, la puissance du rock, les valeurs de l’amitié, la paternité, le sens de la famille –, il se concentre sur la relation très forte qui unit ces deux frères, Jo, le cadet, un peu paumé, et Frank, l’aîné, père de famille, les pieds apparemment bien sur terre. Et le film gagne en intensité dans sa dernière partie, quand les rôles s’inversent entre Jo et Frank. Pour s’achever en un ultime plan – no spoiler, promis ! – de manière étrangement et ironiquement apaisée. Résignée ?
All the pub is a world, all the world is a pub
Enfin, et surtout, Belgica est un tour de force. Narratif et visuel. Visuellement, car on jamais on ne ressent l’oppression d’un huis clos. Et Van Groeningen n’a pas son pareil pour américaniser le moindre paysage, aussi flamand fût-il : on n’est pas près d’oublier ce parking nocturne, ces arrières-cours ou ces entrées vertigineuses dans l’antre, qui rappellent Scorsese, bien sûr, mais sans esbrouffe. Narrativement, ensuite, car tout en se concentrant sur ses deux personnages principaux, Van Groeningen est parvenu à faire de ce lieu un symbole. Sans aucune lourdeur, on peut y voir tour à tour un lieu de débauches, un lieu de rédemption, une métaphore de l’Europe, l’objet d’un pacte faustien. Ou tout simplement, une piste de danse, un pub. C’est là peut-être la grande réussite du film : parvenir, après de nombreuses répétitions, (45 jours de tournage, 7 mois de montage !), avec la complicité de ses deux acteurs principaux, Stef Aerts et Tom Vermeir, et celle de Soulwax, à immerger le spectateur dans l’ambiance prosaïque et chaleureuse d’un bar, tout en lui conférant une dimension existentielle. Santé !
Travis Bickle
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