En DVD et Blu-ray : Imaginez All that jazz, le fascinant musical de Bob Fosse, Palme d’Or, sans chanson ni chorégraphie ni couleurs. Eh bien, ce film existe, c’est Lenny, et il est signé... Bob Fosse ! Dispositif formel audacieux, splendide noir & blanc, interprétation au top font du troisième film de son réalisateur un mixte hallucinant et addictif entre Citizen Kane et Portrait d’une enfant déchue. Auquel l’édition Blu-ray de Wild Side redonne tout son éclat. Voici six bonnes raisons de se précipiter sur ce coffret.
Pour (re)découvrir Bob Fosse
Bob Fosse est peut-être le cinéaste le plus oublié de ce qu’on appelle désormais le Nouvel Hollywood. Cinq p'tits films et puis s’en va (en 1987, à l’âge de 60 ans) – mais quels films ! Bob Fosse, génial chorégraphe de Broadway, collaborateur de Stanley Donen et Jerome Robbins, franchit le pas en 1969 avec Sweet Charity, une comédie musicale inspirée des Nuits de Cabiria de Fellini. Suivront quatre films : le multi-primé Cabaret (1971) ; la Palme d’Or de 1980 All That jazz, autoportrait de l’artiste sous influence... Fellini ; Star 80 (1983), biopic consacré à une playmate star de cinéma des années 80, Dorothy Stratten, fauchée en plein vol et assassinée par son boyfriend. Au milieu de cette très exceptionnelle filmo, on trouve donc Lenny (1975), biopic consacré à Lenny Bruce, comique des standup des années 50-60, mort prématurément à 41 ans d’une overdose en 1966. Une œuvre a priori incongrue, sans chorégraphie, ni chanson, ni couleurs. D’une audace formelle hallucinante. Le troisième chef d’œuvre de son réalisateur, avec All That jazz et Cabaret, en cinq films. Pas mal !
Pour son dispositif addictif
Lenny Bruce, mauvaise conscience de l’Amérique puritaine des fifties, n’est pas le sujet d’une hagiographie en héros romantique. Il a droit ici à un portrait sans concession, éclaté, fragmentaire, multidimensionnel, polyphonique. Construit sur une alternance entre des scènes de sa vie professionnelle et privée et de souvenirs évoqués par son entourage direct – sa compagne, sa mère, son agent – interviewés par un journaliste dont on n’entendra que la voix (celle de Bob Fosse lui-même), Lenny propose un dispositif extrêmement addictif et cinématographique, à l’opposé de son matériau d’origine – une pièce de théâtre, adaptée ici par son propre auteur, Julian Barry, et interprétée par Cliff Gorman, que Fosse voulait pour ce film et qu’il fera tourner dans All that jazz dans le rôle de… Lenny Bruce. Et qui rappelle par bien des aspects Citizen Kane, d’Orson Welles, que vénérait Bob Fosse. Et un autre film-phare des années 70, Portrait d’une enfant déchue, de Jerry Schatzberg.
Pour Lenny Bruce
Lenny Bruce, génial comique de cabaret, adepte du standup, eut maille à partir avec la censure et le puritanisme de l’Amérique des fifties. Sexe, racisme, sodomie, mariage, tout y passe. Personnage fascinant, qui usa du langage comme une arme, au point d’y laisser sa peau. D’où le parti pris de Bob Fosse de concentrer sa mise en scène sur les gros plans, manière pour lui de zoomer sur la parole. A l’instar de ce gros plan inaugural, inoubliable, sur les lèvres de Valérie Perrine.
Pour restituer la singularité du standupper, Fosse reconstitue ses sketches sur scène de manière éclatée, mais de telle manière qu’ils résonnent avec sa propre vie. Pour mieux marquer l’écart entre la sincérité et la mauvaise foi qui existe entre l’individu et le showman. Un showman qui n’aura de cesse défendre le Premier amendement de la Constitution américaine, face aux juges qui le harcelaient. Hasard de l’alphabet ? Fosse suit Forman dans la somme de Tavernier et Coursodon, 50 ans de cinéma américain. Or s’il y a bien une descendance à Lenny, elle est bien à chercher du côté de Milos Forman, de son biopic consacré à un autre comique américain adepte du standup, Andy Kauffman dans Man on the moon ; ou à celui qu’il a consacré au fondateur du magazine Hustler, Larry Flint, grand défenseur du Premier amendement de la Constitution américaine.
Pour sa photographie à tomber
All that jazz sans musique ni chansons ni couleurs, Lenny demeure profondément inspiré par les thématiques de Bob Fosse : son goût pour le spectacle, sa fascination morbide pour les destins suicidaires, Mais avec style, et quel style ! Outre son montage et son dispositif addictifs et hallucinatoires, Fosse a une idée de génie en réalisant son film en noir et blanc. Non par coquetterie, mais pour lui donner une véracité propre aux années 50 et aux techniques documentaires dont il emprunte les codes (interviews, témoignages, etc…). Ensuite, en filmant au plus près ses personnages, au présent comme au passé, comme pour les cerner au plus près de leur âme et de leur voix, leur arme principale. On n’est pas près d’oublier le gros plan inaugural sur la bouche de Valérie Perrine. Ou le plan final sur le corps lessivé de Dustin Hoffman, qui rappelle le dernier plan d’All that jazz. Enfin, en confiant la lumière à Bruce Surtees, habituel chef opérateur de Clint Eastwood (Josey Wales, Pale Rider, La Corde raide, notamment), il fait ici un travail éblouissant de sculpture de lumière, notamment dans les scènes de cabaret : jeux d’ombre, volutes de fumées dans les projecteurs, Lenny Bruce filmé à contre jour. Et qui alternent avec les tonalités grises, cantonnées au présent de narration, propres aux images de TV et d’interviews. Plastiquement superbe, Lenny témoigne de l’exceptionnel talent d’homme de spectacle qu’était Bob Fosse, génial touche à tout de Broadway et d’Hollywood.
Pour Dustin Hoffman et Valerie Perrine
Enfin, Lenny, c’est avant tout l’une des plus belles performances de Dustin Hoffman. Mieux qu’une performance : une incarnation. Même si la collaboration avec Bob Fosse n’a pas été de tout repos, comme le raconte avec beaucoup de détails le livret de Samuel Blumenfeld, qui accompagne cette édition. Un Dustin Hoffman, dont la médiocre qualité des prestations de ces dernières années a fait oublier qu’il pouvait être grand, trouve ici le meilleur rôle de sa carrière, déjà impressionnante en rôles marquants. A ses côtés, il faut citer Valerie Perrine, au visage qui rappelle à la fois Lee Remick et Gena Rowlands, dans le rôle de Honey, sa compagne et duettiste, pulpeuses ex-stripteaseuse, accrocs à son homme et à l’héroïne. Prix d’interprétation à Cannes en 1975, elle ne retrouvera plus de rôle à la mesure de son talent.
Pour la qualité de l’édition WildSide
Outre la qualité du master qui redonne un éclat somptueux au noir et blanc de Lenny, cette édition est accompagnée d’un bonus un peu vite intitulé Bruce Surtees, Prince of Darkness. S’il y est peu question en général du chef op de Clint Eastwood, il est passionnant dans ce qu’il révèle du travail d’un autre grand chef op, le Français Darius Khondi (Seven, Magic in the moonlight, Delicatessen), interviewé ici sur en tant que fan absolu du film, du travail de Bruce Surtees, une véritable source d’inspiration pour le directeur de la photographie. Enfin, le livret signé Samuel Blumenfeld, superbement illustré, contient énormément d’informations sur Lenny Bruce, Bob Fosse, le tournage du film, sa réception. Un must have.
Travis Bickle
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