En salles : Macbeth de Roman Polanski était devenu invisible depuis sa sortie en 1971. C’est pourtant l’un des tout meilleurs de sa filmographie qui en compte beaucoup. Et peut-être la meilleure adaptation du classique de Shakespeare au cinéma, devant celle de Welles et de Kurosawa – excusez du peu ! Spectaculaire et claustrophobique, fidèle à Shakespeare et truffé d’étranges résonnances biographiques, visuellement splendide et brillamment adapté, Macbeth doit être (re)découvert dans le cadre du cycle Polanski au cinéma parisien Les Fauvettes. Pourquoi ? On vous explique !
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’intérêt de Roman Polanski pour Shakespeare remonte à très loin, à sa jeunesse à Lodz au cours de laquelle il affirme avoir vu une vingtaine de fois Hamlet de Laurence Olivier. C’est donc un désir très profond qu’il met à exécution en 1971, après avoir échoué à monter Papillon avec Warren Beatty, qui sera finalement réalisé par Franklin J. Schaffner avec Steve McQueen.
Lorsqu’il attaque l’adaptation de Shakespeare, Polanski se remet tout juste de l’assassinat de son épouse Sharon Tate par la "famille Manson" le 9 août 1969. Et le film est véritablement hanté par ce drame personnel. Comme en témoignent le massacre de la famille de McDuff ou les scènes de sabbat avec les sorcières, qui possèdent un relief et une force saisissants. Impossible de ne pas y voir une véritable catharsis du réalisateur par rapport au drame qu’il venait de subir. Même si dans son autobiographie, le cinéaste affirme que la plupart de ses scènes lui ont été inspirées d’épisodes de son enfance en Pologne face aux SS nazis.
Ironie de l’histoire : certaines images de films de Polanski ont souvent précédé ce qu’il a réellement vécu par la suite – Rosemary’s baby, Ghost writer – agissant comme des prémonitions, comme celles des sorcières de Macbeth...
Parce qu’il s’agit d’une adaptation exemplaire
Un seul mot d’ordre pour Polanski : transformer le matériau théâtral d’origine en véritable objet filmique à part entière. Et pour ce faire, il s’appuie sur le savoir-faire du gardien du temple : Kenneth Tynan, le directeur du National Theatre de Londres, totalement en osmose avec les partis pris du réalisateur de La Vénus à la fourrure. Ainsi, le couple Macbeth-Lady Macbeth est ici jeune et beau, à l’opposé des représentations conventionnelles. Ce qui crédibilise davantage leur vaillance physique, la passion qui les unit. Et surtout le poids des meurtres qu’ils commettent et le remords qui les pousse dans la folie et l’hallucination. Interprété par Jon Finch (28 ans) et Francesca Annis (24 ans), le couple renouvelle l’image classique que l’on pouvait avoir de ces deux archétypes de la littérature.
Autre point fort de son adaptation : le traitement des monologues, intégrés dans le film comme de véritables soliloques, énoncés en voix off, comme la voix hallucinée de leur conscience. Ce qui contribue à accentuer la paranoïa des personnages – autre thème ô combien cher à Polanski. On pourrait multiplier les exemples qui tordent le cou aux conventions théâtrales – Lady Macbeth apparaît nue pendant son épisode de somnambulisme, la crudité des scènes de combats et de meurtres, par exemple. Son, montage, lumière, toute la grammaire cinématographique de Polanski est mise à contribution pour restituer d’un point de vue cinématographique toute la force visuelle et onirique de la pièce de Shakespeare. Peut-être avec Chinatown le point d’orgue de la carrière de Polanski.
Pour son aspect spectaculaire
Loin du spectacle hollywoodien de l’adaptation de Welles ou du théâtre nô de Kurosawa, le Macbeth de Polanski joue la carte de la véracité. Tourné en décors réels, non sur les lieux mêmes de l’action, en Ecosse, mais au Pays de Galles, le film est profondément inscrit dans son environnement : pluies, orages, boue, brouillard, brume. Conçu comme un spectacle visuel, le film s‘appuie sur la magnifique photo de Gilbert Taylor qui sublime les paysages et les variations de lumière qu’on observe dans ces régions arides. Ne manquez pas la scène d’ouverture, digne de figurer dans le Top 10 des meilleures premières scènes ! Les combats comme les scènes de genre (banquets, vie du château, sortilèges) annoncent dix ans avant l’explosion visuelle que donnera John Boorman du Moyen Age dans Excalibur. Ne serait-ce que pour cet aspect, le film de Polanski doit être redécouvert.
Enfin, pour la petite histoire, rappelons que Polanski a bénéficié de la mansuétude de son producteur. Confronté à d’énormes dépassements de budget en raison de conditions de tournage catastrophiques (pluies incessantes), - au point d’avoir eu l’impression de tourner "une forme d’épopée sous-marine" ! - le cinéaste s’est trouvé épaulé par son producteur, Hugh Heffner, le fondateur de Playboy ! Un attelage qui a peut-être contribué au malentendu qui entoure ce film, décrié avec sarcasme lors de sa sortie en salles en 1972. Et qui s’avère avec le temps l’un des tout meilleurs de son réalisateur – son meilleur ?
Tiens, et maintenant, si un distributeur pouvait nous sortir des limbes What ?, le film suivant de Polanski, trip romain dépressif, devenu complètement invisible ?
Travis Bickle
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