En Blu-ray et DVD : Cinéaste longtemps oublié et mésestimé, Anthony Mann se retrouve sous le feu des projecteurs grâce au support vidéo. Rimini Editions propose deux formidables coffrets consacrés à des super productions historiques : Le Cid (El Cid, 1961) et La Chute de l'empire romain (The Fall of the Roman Empire, 1964).
Anthony Mann a imposé sa marque dans le film noir (La Brigade du suicide, Marché de brutes) et le western (Winchester '73, Je suis un aventurier), deux genres dans lesquels les héros tentent de surmonter leur traumatisme et de traverser des épreuves qui les confrontent à une violence brute, "graphique". Mêmes parcours des protagonistes dans Le Cid et La Chute de l'empire romain, avec en prime des décors et une nature grandioses, mis en valeur par le Cinemascope et la mise en scène du cinéaste. Son usage de la profondeur de champ lui permet d'utiliser au mieux ces environnements aussi spectaculaires qu'écrasants.
Du grand spectacle hollywoodien, tourné en fait en Espagne, sous la houlette du producteur Samuel Bronston, dont Samuel Blumenfeld raconte dans un bonus l'incroyable destin. Ce neveu de Trotski a créé ses studios près de Madrid pour bénéficier d'une main-d'oeuvre moins coûteuse qu'aux Etats-Unis et utiliser au mieux des fonds américains bloqués par le régime franquiste, la peseta ne pouvant alors pas être convertie. Ce faisant, le producteur permet à Franco de faire rayonner son pays dans le monde. Blumenfeld souligne que Le Cid peut d'ailleurs être considéré comme une oeuvre de propagande à la solde du dictateur, ce dernier s'incarnant dans la figure du chevalier défenseur du christianisme et de l'unité de la péninsule. Paradoxe : le scénario du film, plusieurs fois remanié, a été finalisé par Ben Barzman (dont le nom n'apparaît pas au générique), qui fut blacklisté à Hollywood pour son appartenance au parti communiste !
Je me demandais d'ailleurs si Le Cid, regardé à de multiples reprises sur le lecteur VHS familial, avait passé l'épreuve du temps. Certes, Rodrigo Diaz de Vivar (joué avec conviction par Charlton Heston) est animé par une foi catholique inébranlable. La première scène le montre porter un Jésus en croix, transpercé de flèches ennemies qu'il arrache rageusement. Pour autant, le film n'est aucun cas une charge anti-musulmane. Le belliqueux Ben Youssouf (interprété par Herbert Lom, l'inspecteur en chef Dreyfus dans la saga de La Panthère rose !) envoie ses hordes de soldats, tout de noir vêtus, à l'assaut de la péninsule ibérique : son fanatisme rebute jusqu'aux émirs d'Al-Andalus. Certains d'entre eux préféreront combattre au côté de Rodrigo. Le film montre que les alliances dépassent les différences religieuses. D'ailleurs, les nobles chrétiens se font la guerre tandis que les enfants du Roi se livrent à un combat fratricide. Le Cid met son épée au service de la paix.
Le film met autant en scène les affrontements individuels entre des protagonistes mus par un sens aigu de l'honneur ou une soif de pouvoir qui ne peut être étanchée que des batailles épiques, impliquant des centaines de figurants, à pieds ou à cheval. On peut penser que certaines séquences ont inspiré Peter Jackson pour sa trilogie du Seigneur des Anneaux. Cette double approche se retrouve dans La Chute de l'empire romain.
Je n'avais pas gardé un grand souvenir de ce péplum, que je trouvais moins réussi que Ben-Hur ou Spartacus. Ce fut d'ailleurs un échec critique et public lors de sa sortie. Mais en le revoyant, j'ai révisé mon jugement - et constaté à quel point il avait inspiré Ridley Scott pour Gladiator. Le spectaculaire et l'intime, l'action et la psychologie sont parfaitement associés. Comme dans Le Cid, on est frappé par le faste des décors et des costumes. Si Stephen Boyd manque un peu de charisme, le reste du casting est impeccable : Alec Guiness, James Mason, Christopher Plummer offrent des prestations remarquables. Sophia Loren, présente dans les deux films, apporte intensité et beauté à ses personnages, des femmes qui refusent d'être reléguées au second plan et font preuve d'une détermination rare pour faire triompher leur amour et leurs convictions.
Parmi les seconds rôles, notons les belles interprétations de John Fraser, Geneviève Page, Raf Vallone et Frank Thring dans Le Cid ; John Ireland, Anthony Quayle, Mel Ferrer et Omar Sharif dans La Chute ; et de Douglas Wilmer, au générique des deux films. Pour la musique, je préfère celle de Miklós Rózsa pour l'épopée médiévale à celle de Dimitri Tiomkin pour l'épopée antique.
Les films sont proposés dans leur version intégrale (avec de longs intro, intermèdes et outro musicaux) et dans de magnifiques masters. Rimini a conçu des coffrets intégrant à chaque fois un livret, le film en Blu-ray et DVD et un DVD de bonus passionnants. Outre Samuel Blumenfeld, s'expriment le critique Jacques Demange ainsi que Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque française (lire son analyse sur le cinéma d'Anthony Mann). De magnifiques écrins pour deux superproductions qui ne cessent de nous émerveiller.
Anderton
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