Artistes : Avec Megalopolis, présenté en compétition à Cannes cette année, Francis Ford Coppola ajoute une une touche supplémentaire au tableau d'éternel Phénix du cinéma. A 85 ans, il remet non seulement son titre de double palmé en jeu (Conversation secrète en 1974 et Apocalypse Now en 1979), mais joue à quitte ou double en ayant hypothéqué son patrimoine pour financer son dernier opus de manière indépendante des studios hollywoodiens. En gestation depuis plus de 40 ans, Megalopolis signera-t-il sa renaissance cinématographique ou son ultime salut artistique ?
Malgré ses multiples casquettes - réalisateur, donc, mais aussi acteur (au moins à ses débuts, sur les planches), scénariste, distributeur, producteur, metteur en scène de théâtre et d'opéras, entrepreneur dans la presse, le cinéma et le vignoble - Coppola est resté un infatigable visionnaire. Que ce soit sur le pan formel comme sur le plan de la mise en scène, sur le plan financier ou sur le plan fonctionnel, il a toujours été à la recherche de formes, de récits, de modes de financement et de production qui lui permettaient de réaliser un grand œuvre total : "Je vais essayer d'écrire un roman. Mais au lieu d'être un roman sur page écrite, il serait écrit en cinéma", déclare-t-il en 1983. Avec pour appui famille, amis, fidèles collaborateurs, tournés vers le même but : donner corps et chair à ses intuitions, ses folies, et son génie..
Dictateur mégalo, gourou mystique, nabab excessif ? Un peu de tout cela. Mais reste une foi dans un art qui l'a vu plusieurs fois échouer, plusieurs fois triompher, plusieurs fois réinvestir ses gains dans sa passion avant d'en profiter personnellement. Mis à part Cimino, Coppola est celui de ses contemporains et amis Scorsese, Lucas, De Palma, Spielberg qui aura payé le plus lourd tribut à l'industrie hollywoodienne, tout en ayant poursuivi une carrière intègre et exemplaire. Au final, avec ses scories et ses errements, une oeuvre qui mérite un immense respect. Focus sur le grand roman d'un géant du cinéma.
Avant d'aborder sa carrière, petit rappel biographique :
- Francis Ford Coppola est né le 7 avril 1939 à Detroit, fils du musicien et chef d'orchestre Carmine. Il se destine d'abord au théâtre, après avoir été longtemps immobilisé en raison d'une polio, qui l'a contraint à se distraire en solitaire, notamment avec des théâtres de marionnettes.
- Après des études à l'Université de cinéma de Los Angeles UCLA, il entre dans l'écurie de Roger Corman, qui produira son premier long métrage, un film d'horreur, Dementia 13. Parallèlement à ses activités d'assistant, il fait ses classes en tournant et bidouillant des sortes de mash-up entre des western bis et des pornos – on aimerait bien voir ça aujourd'hui !
- Avant de tourner ses chefs-d'oeuvre des années 70, il tourne une comédie à la Richard Lester, You're a big boy now en 1966, sélectionnée au Festival de Cannes en 1967, et très mal accueillie. Fan de comédie musicale, FFC enchaîne sur La Vallée du bonheur (1968), avec Fred Astaire et Petula Clark – oui, oui ! – musical devenu totalement invisible, et aux dires de ceux qui l'ont vu, catastrophe absolue...
- Coppola se fait également un nom en tant que scénariste : Paris brûle-t-il, Propriété interdite, Patton, Gatsby, Reflets dans un œil d'or, c'est lui !
- Malgré ses déboires financiers, il produit Akira Kurosawa (Kagemusha), Tim Burton (Sleepy Hollow), Paul Schrader (Mishima) ou une certaine Sofia Coppola (Virgin Suicides, Lost in Translation). Et se lance dans la restauration du Napoléon d'Abel Gance, avec l'aide de son père Carmine à l'orchestration.
Rain People (1969)
Road movie qui a pour personnage principal une femme en rupture de ban, Rain People permet à Coppola de montrer son extraordinaire sens de l'espace, du récit, ainsi qu'un talent certain pour fixer une imagerie américaine – ses motels, ses routes, ses cabines téléphoniques. Coppola y pose deux thèmes qui viendront irriguer toute son œuvre ; la solitude et le sentiment d'aliénation. Un des très grands rôles de James Caan, en footballer légèrement demeuré, aux côtés de Shirley Knight, dans un des 1ers grands rôles féminins de personnage border line.
Trilogie du Parrain (1972-1974-1990)
Un pari fou : à partir d'une commande, Coppola réalise une fresque sur l'histoire des Etats-Unis au XXe siècle, vue par le prisme de la mafia, de l'ambition et du pouvoir. De 1972 à 1990, il rassemble, à de toutes petites exceptions près, la même équipe technique – Gordon Willis, Dean Tavoularis, Walter Murch, Nino Rota et son père Carmine Coppola – et la même troupe d'acteurs – Marlon Brando, Al Pacino, Diane Keaton, Talia Shire, sa fille Sofia, son fils Roman, James Caan, John Cazale, Robert Duvall – pour un roman cinématographique de dimension shakespearienne. A déguster d'une traite. 9 Oscars au total, dont deux pour FFC himself. Retour sur le final bouleversant du 3e épisode. Pacino, au pinacle
Conversation secrète (1974)
Première des deux Palmes d'Or du cinéaste. Que dire de plus qui n'ait été dit, notamment ici ? Conversation secrète s’inscrit dans la veine intimiste du cinéaste. En plein scandale du Watergate, le film dresse le portait d’Harry Caul – subtilement incarné par un Gene Hackman méconnaissable – un être hostile à toute forme de communication, réduit à sa fonction première : technicien du son, spécialiste des écoutes clandestines. Pris à son propre jeu, le film décrit sa lente descente aux enfers, qui s’achève sur un saisissant solo de saxo. Paranoïaque et expérimental, l'un des films les plus personnels du cinéaste.
Apocalypse Now (1979)
A juste titre, son film le plus célèbre. Et son plus pessimiste. Le plus simple, et le plus complexe. En adaptant le court récit de Joseph Conrad – adapté à la radio dans les années 30 par Orson Welles, tiens, tiens... - FFC décroche sa seconde Palme d'Or ex aequo avec Le Tambour, en 1979. Opéra funèbre, apologie de la destruction, cauchemar sur le Vietnam, œuvre totale et visionnaire qui emprunte aux mythes pour mieux les transformer et leur redonner vie, Apocalypse Now appartient à cette catégorie de films très rares qui constituent autant un trip narratif qu'un trip visuel, une expérience unique de cinéaste – racontée par sa femme Eleonore dans un passionnant documentaire Heart of darkness – et de spectateur. Rien que pour ce film, FFC a sa place dans l'histoire du cinéma.
Coup de coeur (1982)
Malgré ses différences, c'est peut-être, en raison de sa démesure, le film jumeau d'Apocalypse Now. En reconstituant Las Vegas en studio, en expérimentant des moyens audiovisuels sophistiqués pour obtenir des effets de caméra inédits, Coppola joue la carte de la démesure pour narrer les errements du cœur et de l'esprit de deux couples, leurs "affinités électives" (œuvre de Goethe dont le film s'inspire ouvertement), le temps d'un week-end d'Independance day. Si la grâce de l'atmosphère rend passionnante la vision de ce Coup de cœur, force est de constater que l'absence d'attention portée à la psychologie des personnages vide un peu de sa substance ce magnifique écrin de pur cinéma. Flop commercial et critique gigantesque, qui forcera Francis à vendre aux enchères son studio Zoetrope. Et à entamer une série de commandes de studio pour se renflouer.
Rusty James (1983)
Tourné à la suite d'Outsiders (1982), Rusty James est également adapté du même auteur, Susan Hinton. Coppola y livre son film le plus onirique, dans la lignée de Cocteau, Bergman ou Fellini. Il reconstitue un univers visuel et sonore absolument stupéfiant – noir et blanc taché de touches de couleur, effets sonores destinés à retranscrire la semi-surdité l'état de coma de Matt Dillon, en pleine lévitation – le tout au service d'un récit mythique, celui du retour de l'enfant prodigue, transposé dans une bourgade des Etats-Unis – Tusla, Texas – à une époque non définie, mais qui rappelle l'Amérique de James Dean. Outre le charisme de ses acteurs – Matt Dillon, Mickey Rourke, Diane Lane, Dennis Hopper – il faut citer le travail exceptionnel de Stephen Burum à la lumière et de Stewart Copeland à la musique.
Peggy Sue s'est mariée (1985)
Exemplaire cas d'école d'une commande totalement réappropriée par son réalisateur. Là où un réalisateur lambda aurait pu se contenter d'offrir une variation sur Retour vers le futur version féminine, Coppola en fait une véritable élégie de l'adolescence, sur un mode nostalgique. Kathleen Turner y est admirable, tout aussi crédible et émouvante en ado de 18 ans qu'en femme mûre de 40 ans, qui tente de renouer avec son passé. L'accession de Coppola à une certaine forme de sagesse, après l'ubris et la démesure de ses oeuvres passées.
Jardins de pierre (1986)
Plus qu'un post scriptum à Apocalypse Now, Jardins de pierre apparaît avec le temps comme le film le plus personnel de son réalisateur, en raison de circonstances tragiques qui ont endeuillé son tournage : la mort accidentelle du fil aîné de Coppola, Gian-Carlo. Ode funèbre aux victimes du conflit, le film se transforme sous nos yeux en une ode funèbre d'un père à son fils. Bouleversant.
Tucker (1989)
De loin, mon film préféré de Coppola. Comédie musicale sans numéros chantés, cette ode à l'optimisme est un véritable bain de jouvence. Pour le cinéaste comme pour le spectateur. Derrière ce biopic du célèbre constructeur automobile, visionnaire et écrasé par les Big 3 de l'industrie automobile se dessine l'autoportrait de Coppola en artiste en lutte contre le système des majors. Au-delà de sa thématique, le film est une éblouissante leçon de mise en scène, qui multiplie les travellings, les vues panoramiques et les contre-plongées, et bouscule la grammaire cinématographique traditionnelle. Comme si FFC était dans une comédie musicale. Outre la sublime lumière de Vittorio Storaro, il faut mentionner la partition jazzy surmenée de Joe Jackson et l'interprétation solaire d'un Jeff Bridges métamorphosé pour mesurer la réussite exemplaire de ce film, dont on s'étonne qu'il reste mal exploité et mal connu. A voir en parallèle d'Aviator, de Martin Scorsese, film jumeau, d'autant qu'apparaît également la silhouette fantomatique de Howard Hugues sous les traits de Dean Stockwell.
L'Idéaliste (1997)
Pur film de commande, dans lequel FFC s'investit pleinement. En adaptant le best seller de John Grisham, Coppola livre un portrait en sourdine d'une mafia plus diffuse et quotidienne, celle des cols blancs, celle des sociétés d'assurance. Est au Parrain ce que Jardins de pierre est à Apocalypse Now. Tout se passe comme si Coppola venait apporter un codicille à sa trilogie du Parrain, en se focusant sur le point de vue des victimes. Avec ce polar, il montre comment à partir d'un matériau insignifiant, il est capable de faire preuve de maetria : pour preuve, les scènes de procès ; son sens des décors du Sud poisseurx et hivernal du Tennessee ; son casting, qui fleure bon les seventies : aux côtés d'un Matt Damon, on découvre Danny de Vito, Roy Schieider, Jon Voight, Dean Stockwell. N'en déplaise à ses admirateurs, c'est pour moi son dernier grand film.
Au final ? Même s'il continue de tourner à un rythme beaucoup plus tranquille – faute de moyens ? Faute d'inspiration ? - Coppola continue de chercher. A l'instar de l'un de ses derniers films, Twixt, dont il souhaitait pouvoir, grâce au support numérique, modifier le montage ou les effets sonores à chaque projection, tel un DJ devant ses platines. Beau projet, dont il faudrait qu'il s'appuie sur un sujet plus consistant que celui de Twixt... On aurait pu évoquer également la flamboyance de Cotton Club, la luxuriance de Dracula, ou la glorification de l'innocence de Jack, sa comédie avec Robin Williams. Reste là une œuvre unique, d'un génie qui a tenté d'élever des moyens à la mesure de ses ambitions. Et qui est parvenu à porter très haut l'exigence artistique avec des ambitions d'artiste populaire.
Travis Bickle
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