mardi 26 février 2019

Le Grand bain : une version longue pour replonger dans le bonheur

En DVD et Blu-ray : Dix nominations aux César 2019, une seule récompense (pour Philippe Katerine, César du meilleur second rôle masculin)... une douche froide pour Le Grand bain. Et c'est injuste tant le film de Gilles Lellouche est un concentré d'humour et d'émotions. Le public s'est d'ailleurs mouillé pour en faire un des grands succès de l'année en salle (plus de 4 millions d'entrées en 2018). Pour sa sortie demain en vidéo, StudioCanal en propose une version longue. A vos bonnets de bain !



Gilles Lellouche filme des personnages malmenés par la vie. Sur terre, les huit membres du club de natation synchronisée masculine sont englués dans les problèmes familiaux ou professionnels, écrasés par la pression ou la dépression. Dans la piscine, ils tentent de reprendre confiance en eux, oubliant leurs failles et leurs blessures dans des chorégraphies aquatiques. Leurs corps se remettent en marche. L'eau glisse sur eux de même que les moqueries de ceux qui ne comprennent pas que des hommes puissent s'adonner à un tel sport. Dans les vestiaires ou au sauna, chacun s'expose, sans pudeur. On montre son corps flasque, on raconte ses malheurs. Une forme de thérapie, qui crée tout doucement un esprit d'équipe. La bienveillance n'est pas toujours de mise mais l'écoute est là.


Regarder les hommes et les femmes (sur)nager

Pour autant, Le Grand bain ne se résume pas à cet univers aqueux. Autour de ces mecs esquintés, gravitent des femmes. Il y a les épouses, dont le soutien tend à vaciller ; les coachs, qui peinent elles-mêmes à maintenir la tête hors de l'eau ou au prix d'une rage permanente ; une mère, qui l'a perdue depuis longtemps ; une fille qui préfère la détourner de son papa raté... Pour autant, chacune d'elles est une bouée à laquelle nos nageurs tentent de se raccrocher... ou un poids dont ils essaient de se défaire.

Sombre tableau d'une France à la dérive. Le film aurait pu donner lieu à un drame à la Ken Loach ou à une comédie cruelle façon Splendid. Lellouche, également coscénariste, choisit d'aborder son sujet et ses personnages avec humanité et humour. Pas d'apitoiement ni de jugement moral mais un regard franc et tendre sur des êtres qui surnagent et parviennent, au prix d'efforts aussi bien individuels que collectifs, à reprendre leur vie en main. Dans un pays qui souffre et se déchire, le cinéaste nous montre, sans en faire des tonnes, qu'il est possible d'avancer ensemble sans forcément être les meilleurs potes du monde, ni venir du même milieu. Si Le Grand bain nous parle tant, c'est qu'il nous rassure sur notre capacité à sortir du "moi, je" pour entrer dans une communauté, dont chacun bénéficiera sans laisser de côté sa personnalité ou ses particularités. Sans fanfare ni trompettes, voici un beau film citoyen, tout comme l'était Le Sens de la fête.

Le collectif en action

Cette ode au collectif s'exprime également à travers ses comédiens et comédiennes. Si Philippe Katerine a reçu quelques prix (dont le César) mérités pour son interprétation, cela aurait eu de la gueule de récompenser l'ensemble du casting. Chacun apporte sa voix particulière à la chorale. Il fallait tout le talent de Lellouche pour réunir et surtout faire travailler ensemble des acteurs aux jeux aussi différents. Il y a Mathieu Amalric, sorte de Pierrot lunaire au regard halluciné, parfait en dépressif qui rejoint le club sur une impulsion (ou une intuition ?). Guillaume Canet excelle une fois de plus à camper un personnage sombre et a priori antipathique (comme dans le génial L'Amour est une fête). Davantage dans un rôle à sa mesure, à savoir un loser grande gueule, Benoît Poelvoorde refuse la facilité de l'exubérance pour alterner drame et comédie. Interprétant un vieux rocker de seconde zone, lointain cousin du personnage immortalisé par Jean-Pierre Darroussin dans Mes Meilleurs copains, Jean-Hughes Anglade signe son grand retour. Formidable Philippe Katerine donc, dans le rôle d'un grand naïf avec le coeur sur la main. La bande est complétée par trois personnages un peu moins étoffés mais rendus marquants par leurs interprètes, Alban Ivanov, Félix Moati et Balasingham Thamilchelvan.

Dans les rôles des coaches, Virginie Efira démontre une nouvelle fois l'immense actrice qu'elle est tandis que Leïla Bekhti invente un personnage inoubliable, bien loin de se résumer à ses gueulantes et ses insultes. Marina Foïs, quant à elle, joue une épouse à la fois forte et sur le point de perdre les pédales : elle incarne la "normalité" sans être chiante ou terne. Autres seconds rôles convaincants : Mélanie Doutey, Noée Abita, Claire Nadeau, Jonathan Zaccaï. 

Le regard de Lellouche

Avec une telle conjonction de talent, Lellouche aurait presque pu se contenter de poser sa caméra et de laisser tourner. Mais son film, il l'a porté et il lui a donné un style tout personnel, avec une mise en scène réfléchie sans être donneuse de leçon, inventive sans multiplier les effets gratuits. Et, personnellement, c'est tout ce que j'attends d'un cinéaste : du sens et du mouvement ! La photo de Laurent Tangy est belle, le montage de Simon Jacquet apporte du rythme tout comme l'excellent score de Jon Brion, accompagné de reprises qui tombent juste.

Le Grand bain est un de ces films qu'on a envie de revoir dès que débute le générique de fin. Car, comme l'a joliment expliqué Marina Foïs sur le plateau de Quotidien, c'est un film qui ne se moque jamais et ne rit pas au détriment des autres. J'ajouterai qu'il (re)donne foi en l'humanité.

StudioCanal nous offre l'occasion d'en profiter encore plus grâce à cette version longue, associée à un bon making of qui dévoile les dessous de la préparation des acteurs, à l'Insep notamment. Cela aurait été top de montrer également des images du Festival de Cannes 2018 : les délires de Poelvoorde et surtout l'émotion de Gilles Lellouche lors de la longue standing ovation à la fin de la projection dans l'auditorium Lumière. Moi aussi, ça m'a fait piquer les yeux. Et pareil lorsque j'ai découvert le film. Rien à voir avec le chlore.

Anderton



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