mercredi 20 février 2019

Le Chant du loup : 3 raisons de plonger illico

En salles : Dans la famille des films de sous-marins, on pense souvent au cinéma américain - A la poursuite d’Octobre rouge (John McTiernan) ou USS Alabama (Tony Scott) -, voire allemand - Das Boot (Wolfgang Petersen). Rarement à des films français – à moins d’être un pur cinéphile et d’évoquer Les Maudits (1946), de René Clément, suspense psychologique virtuose, malheureusement invisible. Il faudra désormais compter sur Le Chant du loup, splendide incursion du cinéma français dans une cinéma de genre trusté par les Américains. Et dont la réussite tient en trois points : précision des situations ; narration calibrée entre scènes d’action et suspense psychologique ; casting renouvelé et inédit. Plongée dans un futur classique.



1) Casting inédit

Première surprise du film : un casting totalement renouvelé par rapport au film d’action. Sensation de nouveauté et de liberté qui fait du bien dans ce type de cinéma, souvent formaté, et pour lequel le cinéma français a peu d’imagination. Omar Sy abandonne son côté rigolard pour un personnage plus sombre, voire ambigu ; Mathieu Kassovitz assure immédiatement, rien que par sa présence et son regard ; Reda Kateb, autoritaire et charismatique. Sans oublier François Civil, par lequel le spectateur entre en immersion dans l’action, qui interprète Chanteraide, une sorte de Fabrice del Gondo sous-marin, formidable de candeur et d’entêtement. Et dont la caractéristique sensitive principale évoque par moments celle d’un autre héros littéraire, Jean-Baptiste Grenouille, dans Le Parfum

Quatre caractères bien trempés autour desquels se structure l’ensemble de l’action, comme un jeu de go mental à distance. On est bien loin de la binarité des films d’action d’EuropaCorp (Taxi ou Les Chevaliers du Ciel)... Petit bémol : le manque d’écriture dont souffre le personnage féminin incarné par l’actrice franco-allemande Paula Beer, réduite aux utilités, malgré une très belle scène finale.

2) Pour la réalisation d’Antonin Baudry

Pour un premier coup d’essai, chapeau ! Ancien diplomate reconverti dans la BD sous le pseudonyme d’Abel Lanzac, Antonin Baudry s’était fait connaître pour Quai d’Orsay et le scénario qu’il avait coécrit avec Bertrand Tavernier. Sans jamais se faire écraser par ses modèles américains auxquels on songe plus d’une fois, il reste fidèle à sa ligne de conduite : précision et crédibilité des faits. De la description des rôles de chacun au sein d’un sous-marin jusqu'à la procédure liée au déclenchement du code de sûreté nucléaire par l’Elysée, tout est précis, nouveau, crédible. Autre enjeu, relevé haut la main : le contexte géopolitique dans lequel s’inscrit l’intrigue, certes uchronique, mais totalement crédible (la Syrie, l’Europe comme zone d’influence russe, les prémices d’une Troisième guerre mondiale...). Une marque de fabrique qui faisait le prix et la saveur de Quai d’Orsay, même si celui-ci était basé sur des souvenirs réels concernant le rôle de la France lors de l’intervention américaine en Irak en 2003. A partir de cette toile de fond géopolitico-technique, Antonin Baudry a calibré sa narration, parfait équilibre entre scènes d’action et suspense psychologiques, entre enjeux techniques et tensions humaines. 

3) Pour sa scène d’ouverture

Placée sous le sceau d’une citation d’Aristote - il faut oser ! -, l’intrigue nous plonge immédiatement in media res, au cœur de l’équipage du sous-marin, au large des côtes syriennes. Chanteraide est sollicité par le capitaine d’équipage pour déterminer acoustiquement l’origine de l’engin sous-marin qui approche : allié ? Ennemi ? Un drone ? Un animal ? Plonger ou prendre le large ? Toute la décision repose sur Chanteraide, dont les capacités acoustiques sont mises à rude épreuve. Une tension immédiate saisit le spectateur à la gorge. Et qui ne se relâche en rien pendant une vingtaine de minutes. Suspense, claustrophobie, doutes, Le Chant du loup est une ode à l’humain, à l’intelligence collective et à la prise de risque raisonnée, dans un univers dominé par la machine, l’automatisation des process et l’intelligence artificielle – des enjeux contemporains qui, au-delà de la Marine nationale, concernent bien des univers ! 


Technique du loup

Crédible et immersif, l’univers visuel et sonore du Chant du loup doit beaucoup à son équipe technique. Notamment à la B.O. signée Tomandandy, duo électro jusqu’ici spécialiste des univers proches des jeux vidéo et des films de genre type Resident Evil ou Killing Zoe ; le mixage son a été réalisé au Skywalker Ranch créé par George Lucas ; et le montage, effectué par Saar Klein, responsable de La Mémoire dans la peau. Autant d’atouts qui contribuent à la réussite plastique de cet haletant film d’action français, qui bien loin d’un publi-reportage à la gloire de la Marine nationale, est une formidable réussite de film d’action 100% français, doté d’un budget conséquent (15 à 20 millions d’euros) financé par trois générations de producteurs – l’historique Jérôme Seydoux, le successful Alain Attal et le nouveau venu Hugo Sélignac - et dont on espère qu’elle fasse des émules. Mais pour cela, plongez dans les salles ! 

Travis Bickle

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