jeudi 14 février 2019

L'Amour est une fête : jouissif, couillu et stylé

En DVD : En cette Saint-Valentin, il est bon de rappeler que l'amour, ce n'est pas seulement une affaire de coeur mais également des histoires de cul. Et, comme disait l'autre, "ça n'est pas sale". La preuve avec L'Amour est une fête, disponible en vidéo. Cédric Anger transporte Guillaume Canet et Gilles Lellouche au début des années 80, à l'époque où le X est un artisanat plutôt qu'une industrie. Et il y a trois raisons d'être transporté avec eux.



1) Une histoire qui part en cool
Franck et Serge sont les patrons du Mirodrome, un peep-show dans une petite rue de Pigalle. Les danseuses sont jolies mais le client se fait rare. D'autant que deux brutes viennent mettre le commerce à sac. Pour relancer leur petite entreprise, les compères se lancent dans le porno. Le premier quart d'heure nous promet une comédie rythmée et stylée sur deux pieds nickelés qui déboulent dans l’univers du boulard. Avec ses margoulins et ses petites frappes, ses aspirantes un peu cruches et ses performeurs cons comme des bites.

Puis Anger, qui a également écrit le scénar, nous assène un comicus interruptus : l’ambiance vire au polar. Poisseux, forcément. La tension déborde des plateaux ciné. Alors que les filles du Mirodrome s’effeuillent, leurs patrons gagnent en épaisseur. Après les culottes, ce sont les masques qui tombent. Mais alors qu’on s’habitue à cette nouvelle tournante, euh tournure, le cinéaste nous refait goûter aux joies du rire. Avant de faire monter l’émotion et de basculer dans la poésie. Oui, oui. Et le plus fort, c’est que Cédric Anger parvient à mener ces changements de cap et d’atmosphère d’une séquence à une autre, voire au sein de la même séquence. Il laisse les scènes partir en vrille juste ce qu’il faut. Pour la beauté de la situation et le plaisir du jeu. Loin d’aboutir à un truc foutraque, ce parti pris contribue à rendre le film original, foisonnant, inattendu.



2) L'attention d'Anger
Après avoir fait ses armes dans le film policier, notamment avec l'excellent La Prochaine fois je viserai le coeur, Cédric Anger a souhaité sortir des sentiers (a)battus, comme il l'explique dans un long et passionnant bonus qui accompagne cette belle édition signée France TV Distribution. D'où ce film qui fluctue d'un genre à l'autre donc. Ce qui ne change pas en revanche, c'est le soin avec lequel Anger a abordé le script, la mise en scène, la direction d'acteurs, la photo (magnifique travail de Thomas Hardmeier), le montage (le bonus montre l'apport de Julien Leloup), la musique (superbe score de Grégoire Hetzel, accompagné de la bande-son de l'époque)...

Son film est pensé, maîtrisé tout en affichant une folie douce, une insouciance, qui se reflètent dans la mise en scène. Il y a de l'ambition sans que le mot "auteur" clignote en néon. Avec L'Amour est une fête, on a le droit à l'aspiration et l'inspiration. C'est l'empire des sens et du sens. J'ai pris mon pied à regarder cette oeuvre détonante et intelligente, dont le final, poétique et mélancolique, m'a rappelé la touche de l'immense Philippe de Broca - le château, la campagne, la fête... comment ne pas penser au Diable par la queue ? Je ne sais pas si Anger est fan, comme moi, je veux croire que oui. Cela fait plaisir d'avoir un cinéaste d'un tel talent en France.

3) Des partenaires particuliers 
Pour leurs huitièmes retrouvailles à l'écran, Guillaume Canet et Gilles Lellouche forment un duo toujours aussi emballant. Dans des styles très différents, ils se complètent et apportent une dynamique intéressante à leurs personnages, à la fois collègues, potes et compagnons de vice. Canet campe un solitaire qui se balade le long du gouffre de l'autodestruction tandis que Lellouche, avec son look de French Wolverine, incarne un jouisseur a priori pas très futé. Au fur et à mesure de leur aventure à Pornland, le cynisme va laisser place à un éveil des consciences. La chair n'est pas toujours triste et les sentiments peuvent, eux aussi, poindre. Le duo ne tombe jamais dans la caricature et prouve, une fois de plus, qu'il fait partie de la crème de la crème.

Face à eux, deux sacrés caractères que leurs interprètes rendent aussi fendards que touchants. Michel Fau joue un cador de l'industrie du cul. Avec son style de jeu inimitable (déjà apprécié dans Marguerite notamment), il interprète un doux dingue aux accents houellebecquiens et nous surprend par sa capacité à nous glacer tout en nous faisant marrer, et vice versa. Autre personnage truculent : Henri Pachard, réalisateur de boulards que Xavier Beauvois interprète avec une bonhomie un peu beauf de laquelle jaillit des éclairs de sensibilité. Il faut le voir manger des pâtes entre deux scènes de levrette, diriger un plan de fellation ou s'extasier sur un coucher de soleil. Et puis il y a Camille Razat (formidable dans Ami-ami), solaire, qui joue une apprentie actrice prête à donner de son corps pour accéder à la gloire. Le casting est complété par une galerie de personnages barrés et baroques auxquels donnent vie acteurs, ex-pornstar et stripteaseuses. Anger ne juge jamais ces êtres hors normes. Il en souligne toutes les nuances, faisant ressortir leur profonde humanité. Car sous ces peaux luisantes, ces muscles bandés, ces chairs gonflées, il y a un coeur qui bat.

L'Amour est une fête jubilatoire, jouissive, poétique et couillue, drôle et stylée. Un gros coup de c...oeur.

Anderton


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