Artistes : Jusqu’au 30 novembre, se tient à la Cinémathèque une rétrospective consacrée à Miklos Jancso. Qui ça ? Peut-être le Fellini hongrois, qui a durablement marqué la planète cinéma dans les années 60 et 70, décédé en janvier 2014, dans une indifférence polie.
Occasion de (re)découvrir une œuvre majeure, et notamment Les Sans-Espoir (1966) qui ressort en salles, et de faire le point sur une cinématographie extrêmement vivace. Pourquoi il faut redécouvrir Miklos Jancso, Les Sans-Espoir et le cinéma hongrois.
Un des réalisateurs majeurs du cinéma européen dans les années 60-70
Découvert en 1966 à Cannes avec le fulgurant Les Sans-Espoir, Miklos Jancso fait partie de ces cinéastes qui ont apporté leur vision singulière de l’histoire et de son ancrage territorial, à la fin des années 60. Ce qui le rapproche de réalisateurs comme Glauber Rocha, Carlos Diegues, Dustan Makajevic, désormais carrément occultés, ou plus connus de nous, de Francesco Rosi, Andrzej Wajda ou Theo Angelopoulos. Décédé en janvier 2014, il laisse derrière lui une œuvre d’une vingtaine des longs métrages, rarement visibles en France. Occasion unique de les découvrir sur grand écran que de vous rendre à la Cinémathèque.
Pour la beauté plastique de ses films
Ses plans-séquences de folie, la mobilité incroyable qu’il donne à ses plans, son attention à la lumière et à l’éclairage, la force de son mixage qui allie sons naturels et post-synchronisation font du cinéaste un créateur de mondes, à l’instar d’un Fellini. Voilà qui devrait suffire à susciter l’admiration aujourd’hui. A quoi s’ajoutent la précision et la géométrie de ses plans, son souci d’agencer formes et architectures font de lui un équivalent au cinéma d’un Chirico en peinture ou d’un Buzzatti en littérature. Pas moins.
Pour sa trilogie manifeste
Avec sa fameuse trilogie constituée des Sans-Espoir (1966), Rouges et Blancs (1967), Silence et Cri (1968), il livre le manifeste esthétique et politique de son œuvre : une approche fondée sur le plan séquence, fluidité des mouvements d’appareils, dénonciation de l’oppression, détour par le passé pour mieux parler du présent, peinture de la violence sociale et guerrière empreinte d’une ironie et d’un pessimisme radicaux, qui le rapprochent d’un Cioran. Telles sont les marques d’un cinéma qui va peu à peu s’assagir dans les années 80, au point de devenir invisible en France. Un signe qui ne trompe pas, son imagerie est tellement marquante que mon voisin me faisait remarquer : "Un film de Jancso sans chevaux et sans femme seins nus n’est pas un film de Jancso !"
Pour Les Sans-Espoir
Découvert au plus fort de la Guerre froide, Miklos Jancso est né en pleine Europe centrale, carrefour de 3 influences culturelles majeures : autrichiennes, russes et roumaine. Une singularité qui l’amène à interroger les racines de son pays. A l’instar de son chef d’œuvre, Les Sans-Espoir, sorte d’immense huis clos à ciel ouvert, où en pleine Puszta, la grande plaine désertée hongroise, équivalent de la pampa argentine, sont retenus prisonniers brigands et révolutionnaires par les forces autrichiennes qui ont repris le pouvoir après l’insurrection de 1848. Inscription dans le terreau historique et géographique hongrois, minutie et minimalisme de la reconstitution, violence off, rapports dominants-dominés, majesté des contrastes N&B magnifiés par son chef op Tamas Somlo, bientôt remplacé par son célèbre collaborateur Janos Kende, fluidité des mouvements d’appareils, puissance d’une narration qui privilégie l’allégorie à la psychologie, font de ce film un indispensable mustsee de cette rétrospective. D’autant qu’il ressort également en salles le 11 novembre.
Pour redécouvrir la vitalité du cinéma hongrois
Miklos Jancos est resté longtemps le pape du cinéma hongrois. Il eut l’honneur d’être sélectionné huit fois en compétition à Cannes ! Outre Les Sans-Espoir, il faut voir Sirocco d’hiver, Psaume Rouge et Vices privés, vertus publiques. Et découvrir ses films restés inédits en France. C’est l’occasion aussi de relever le voile sur un cinéma tombé dans l’oubli. Qui a donné des œuvres aussi fortes, même momentanées, que celles de Marta Meszaros, par ailleurs épouse du cinéaste (Les Héritières, avec Isabelle Huppert en 1980) ou d’Istvan Szabo (Méphisto en 1981). Sans oublier celles de Bela Tarr, chéri par les cinéphiles les plus exigeants. Forte d’une école de cinéma particulièrement vivace, la Hongrie a également donné naissance à deux des plus grands chefs ops du cinéma américain, Vilmos Zsigmond et Laslo Kovacks. Enfin, plus près de nous, faut-il rappeler les chocs esthétiques et narratifs provoqués par ces deux films radicaux dans leur genre que sont White God, de Kornel Mundruczo (2014) et Le Fils de Saul, de Lazlo Nemes, présenté à Cannes en 2015, et couronné du Grand Prix du Jury, pour évoquer l’extraordinaire vitalité du cinéma hongrois ?
Alors, profitez de la quasi-intégrale que propose la Cinémathèque jusqu’au 30 novembre. Et surtout, précipitez-vous sur Les Sans-Espoir, qui ressort dans une magnifique copie N&B mercredi 11 novembre.
Travis Bickle
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