Avec huit films en 50 ans, Jean-Paul Rappeneau bat peut-être le record du cinéaste le plus lent de l’histoire du cinéma. Paradoxe, pour un réalisateur constamment soucieux du rythme, de la vitesse et du montage de ses films, de La Vie de château (son premier film, qui date de 1965) à Bon voyage (son avant-dernier film, sorti en 2002 !), en passant par Le Sauvage ou Cyrano !
Son dernier film, Belles familles, possède tous les atouts pour devenir un classique instantané. Qu’on reverra dans 5, 10 ou 25 ans avec le même délice que l’on re-visionne aujourd’hui Les Mariés de l’an II ou bien Tout feu tout flamme.
Faut que ça virevolte !
Avec Belles familles, Rappeneau renoue avec ce qui fait sa marque de fabrique : une caméra virevoltante, des personnages en mouvement perpétuel, des situations imbriquées les unes dans les autres, un tempo sans failles. Qui s’appuie sur une science du montage imparable. Pour preuve, un final éblouissant, un montage alterné entre une séance d’orchestre et des actions centrées sur chacun des personnages. Bref, on est heureux de retrouver le Rappeneau qui manque tant à la comédie française, trop souvent indigne sur le plan esthétique.
Retour aux sources
Mais surtout, il s’offre là un retour aux sources. Pas un retour aux sources classiquement autobiographique, mais travaillé par sa mémoire, ses références, ses sentiments. Pour preuve : le berceau de l’action, une ville de province comme tant d’autres, reconstituée pour l’occasion, a pour nom Ambray, un nom aux connotations furieusement proustienne. Et qui en dit long sur les résonances autobiographiques qui émaillent son film.
Le point de départ ? Jérôme Varenne, un Français exilé à Shangai depuis 12 ans, fait escale à Paris. Une escale qui va se prolonger plus longtemps que prévu, plus loin que prévu. Un retour pour un nouveau départ. Ce qui en somme, est le grand thème de Rappeneau – du moins de ses comédies originales : Le Sauvage, Tout feu tout flamme ou Bon voyage.
Bain de jouvence
A quoi s’ajoute un remarquable travail sur les décors, qui mixent ensembles urbains contemporains et bâtisses bourgeoises abandonnées, grands appartements parisiens et banlieues et villes de province reconstituées, décors forestiers nocturnes et jungle urbaine chinoise, la France et le monde, de Londres à Zanzibar, en passant par Shangai.
Ensuite, ce jeune cinéaste de 85 ans s’offre un bain de jouvence : de nouveaux collaborateurs au scénario (Philippe Le Guay et son fils Julien), son autre fils Martin à la musique, un casting inédit. Surtout, il se livre à des audaces inédites jusque-là dans son œuvre. Notamment des scènes oniriques, à la limite du fantastique, qui rappellent aussi bien le Bergman des Fraises sauvages que le Resnais de L’Amour à mort.
Science du casting
Enfin, on connaissait sa science du casting. Le couple Yves Montand-Catherine Deneuve, Depardieu en Cyrano, le duo tout feu tout flamme Montand-Adjani, ou même le coupe Belmondo-Jobert, qui pourtant ne s’entendit jamais pendant le tournage, font partie du patrimoine du cinéma comique français, au même titre que dans le cinéma américain les couples Cary Grant-Katherine Hepburn ou Clark Gable-Claudette Colbert. Et Belles familles ne déroge pas à la règle. A plusieurs titres.
Tout d’abord, via son personnage principal, Mathieu Amalric. Qui apporte une touche de gravité et de mélancolie à l’univers feutré et inamovible de la province française, en partie liée à l’univers qu’il trimballe désormais avec lui. Ensuite, avec la révélation du film : Marine Vacth, que l’on avait découverte dans Jeune et Jolie, qui se révèle ici étincelante, légère, insolente, belle à croquer, telles Catherine Deneuve ou Françoise Dorléac. Mention également à Gilles Lellouche, souvent vilipendé mais qui trouve là un rôle taillé sur mesure, dans lequel il excelle.
Histoires de familles
Chronique familiale, écrite et réalisée en famille, Belles familles - très belle idée de cinéma – se veut pour Rappeneau l’occasion de rassembler plusieurs générations et familles de cinéma : la famille Desplechin, avec la présence de Mathieu Amalric et André Dussolier ; la famille Resnais, représentée par André Dussolier et Nicole Garcia ; la famille Ozon, via Marine Vacth et Karin Viard ; enfin, en guise de grand médiateur, Jean-Paul Rappeneau y ajoute sa touche, en faisant appel à des acteurs du cinéma comique populaire, Claude Perron (venue de l’univers barré d’Albert Dupontel) Guillaume de Tonquédec et Gilles Lellouche.
Travis Bickle
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