En Blu-ray et DVD : Pour son troisième long-métrage, Sydney Pollack se lance dans le western. Un western qui n'a rien de classique. On est à la fin des années 1960, Sergio Leone a révisé le genre et la société américaine est traversée par des mouvements contestataires. Réunissant Burt Lancaster, Ossie Davis, Telly Savalas et Shelley Winter, Les chasseurs de scalps (The Scalphunters, 1968), que Rimini Editions sort dans un beau et bon combo Blu-ray - DVD, est un film étonnant et jubilatoire.
Joe Bass est un trappeur heureux. La saison a été bonne et il s'apprête à vendre un important lot de fourrures qu'il trimballe sur une mule. Mais Two Crows, le chef d'une tribu kiowa, en décide autrement : Bass est son ami mais il traverse ses terres et il lui confisque sa mule et son chargement. Mais comme Bass est un ami, il lui donne en échange un esclave noir en fuite, Joseph Lee, qui avait été capturé par des Comanches. Le trappeur est furieux mais n'a pas le choix. A peine Two Crows et ses guerriers ont-ils disparu dans la poussière que le trappeur part à leurs trousses, bien décidé à récupérer son bien. A ses côtés, Joseph Lee qui s'avère aussi beau parleur que malin.
Avec un titre pareil, je m'attendais à un western dur, à la Robert Aldrich ou Sam Peckinpah. Mais dès le générique, la joyeuse et entraînante composition d'Elmer Bernstein, associée à des tranches de vie de Joe Bass (qui chasse ou se rase, les fesses à l'air), m'indique que le ton du film devrait être tout autre. En effet, Pollack n'est pas Peckinpah : pas de nihilisme ni de désespoir comme chez le réalisateur de La Horde sauvage ; sans être angélique, Sydney Pollack est un humaniste. Il met son engagement au service de son art. Et inversement. Le scénario intelligent et les brillants dialogues de William W. Norton lui donne l'occasion de montrer le Far West sous un nouveau jour.
Changement de regard
Le "cowboy" blanc n'a rien d'un héros : Joe Bass n'a qu'une idée en tête, récupérer les fourrures qu'on lui a volées. Aucune noblesse dans sa démarche, d'ailleurs il prévient d'emblée Joseph Lee qu'il le vendra sur un marché aux esclaves dans le Texas. Il le dit sans méchanceté. Bass est un trappeur, il fait du commerce. Il est probablement illettré et Joseph Lee le lui fait remarquer. Et le bad guy ? Non ce n'est pas Two Crows mais Jim Howie, un hors-la loi à la tête d'une troupe de desperados. Là encore, même si le bonhomme inspire la crainte et ne connaît aucune pitié, il se laisse mener par le bout du nez par sa compagne Kate, une ancienne prostituée qui officiait sous une tente et aspire désormais à s'embourgeoiser. Quand il n'aboie pas des ordres à ses hommes, Howie se prélasse en caleçon long (le fameux Union suit) dans le lit de sa roulotte. L'autre figure de l'homme blanc en prend également un sacré coup.
La personnalité de Joseph Lee tranche avec les frustres Bass et Howie. L'esclave en fuite sait lire et compter, n'hésitant pas à citer des versets de la Bible pour en expliquer le sens au trappeur. Lee sait aussi parler, et bien. Son langage châtié révèle une intelligence qui dénote dans cet Ouest sauvage, où les barbares ne sont pas ceux que l'on croit. Surtout, il est malin : derrière une apparente soumission, Lee affiche une liberté de ton et d'esprit, se permettant même de balancer quelques vérités sur les représentants d'une race qui tend à s'imaginer supérieure. Pour autant, Lee pêche parfois par un excès de confiance et Bass, pour sa part, révèle son bon sens et une forme de générosité. A malin, malin et demi. Les relations entre les deux hommes sont tout sauf simplistes et leurs échanges donnent tout le sel au film.
Burt Lancaster apporte sa présence physique et son assurance à Joe Bass. Il campe un parfait homme des bois tandis qu'Ossie Davis (Do The Right Thing) nous ravit par son interprétation d'un homme qui utilise au mieux sa tête, convaincu qu'elle l'amènera à s'affranchir de sa condition. Le comédien joue sur cette joie manifestée à tout bout de champ et nous cueille en exprimant ici ou là la détresse de Lee et la cruelle injustice de son sort. Shelley Winters et Telly Savalas forme l'autre "couple" du film : la première excelle dans le rôle d'une ex-prostituée qui veut elle aussi changer de vie. Elle utilise son corps pour survivre dans ce monde de brutes (formidable réplique à la fin du film). Winters donne à Kate sa gouaille et une douceur rentrée. Quant à Savalas, il est parfait en salopard à la fois impitoyable et ridicule. Egalement au générique, Dabney Coleman, vu et apprécié dans Tootsie et WarGames.
Sydney Pollack signe un western atypique, on aurait presque envie de dire engagé, en tout cas résolument moderne, mêlant action et comédie. Il enchaînera d'ailleurs avec un autre film de genre décalé, Un Château en enfer, avec à nouveau Burt Lancaster au générique. Un autre combo vidéo de Rimini Editions. Pour Les Chasseurs de scalps, l'éditeur propose le film dans un beau master et l'accompagne de deux entretiens éclairants avec Eric Thouvenel, enseignant-chercheur, et Olivier Père, directeur de l'Unité Cinéma d'Arte France. Ne passez pas à côté de ce bon film, qui mérite d'être (re)découvert.
Anderton
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