Artistes : Aux cinéma Les Fauvettes le 19 mai, Bertrand Blier est venu présenter Buffet Froid dans le cadre du Première Cinéma Club. Occasion pour le réalisateur de Notre Histoire et de Trop belle pour toi de revenir sur le film, son tournage et sa filmographie. Culte, en attendant un prochain film, car cinq ans après Le Bruit des glaçons, son écriture et son univers fantastique social nous manquent. Florilège.
Producteurs
"Ce n’est pas parce que vous avez un Oscar que les producteurs cessent d’être cons ! A mon retour de Hollywood [il venait de recevoir l’Oscar du meilleur film étranger pour Préparez vos mouchoirs en 1978, ndlr], je dis à mon producteur : "On fait Buffet froid !", "Pourquoi ?", "Parce que j’ai un Oscar !", "Banco !". J’avais un producteur marrant, Alain Sarde. Le problème, c’est qu’il était convaincu, mais qu’il n’avait pas d’argent pour le produire.
Buffet Froid faisait peur aux financiers. Tous les producteurs refusaient de le produire. Ils m’ont donc proposé d’autres films, que j’ai refusés. En raison du scénario : une folie, un ovni. Ca reste encore aujourd’hui un ovni. Il n’y a que les enfants de 8-10 ans qui comprennent très bien Buffet froid. Ma fille, qui venait de lire En attendant Godot, m’a dit en le voyant : "On dirait du Becket" ! On n’est pas chez les nains..."
Déclic
"C’est un film que j’ai écrit sans comprendre pourquoi. Et je ne le comprends toujours pas ! Une fois terminé Préparez vos mouchoirs, je me suis mis au vert dans le Midi. Je me suis mis à écrire en pensant au couteau de Gérard Depardieu. Pendant le tournage de Préparez vos mouchoirs dans les Ardennes belges, quand il s’emmerdait entre deux prises, il arrachait de très grandes branches pour en faire des cure-dents. Ca le calmait ! Tout est parti de cette idée : "Qu’est-ce que vous faites avec un couteau ?", "Je le plante dans le ventre, bien évidemment". Puis les scènes sont venues très vite, au rythme d’une par jour. Au bout de trois semaines, j’avais le scénario. Comme un mathématicien qui essaie de résoudre une équation, c’est de la logique appliquée aux meurtres. Il y a 11 morts dans Buffet froid. Ma logique est donc celle des mots. C’est une démarche d’écrivain. J’ai quand même fait des films plus normaux – pas trop normaux non plus, hein ! Avec celui-ci, j’ai dû avoir envie de tuer du monde."
Musique classique
"On n’y tue pas trop de femmes, mais surtout des musiciens. C’est ça qui me fait marrer ! J’étais très mélomane, mais ce n’est pas pour ça qu’il ne faut pas se foutre de la gueule de la musique. Brahms, ses quatuors et ses quintettes, ça fait peur. C’est un peu une musique de cauchemar. A l’inverse, Mozart est de bonne compagnie !"
Cinéma
"Je ne cherche pas à faire des plans à esbroufe. J’essaie de faire un peu comme faisait Buñuel : des plans pas très compliqués, mais des histoires bizarres. Il y a des moments où le réalisateur est en harmonie avec l’auteur. Quand il s’agit de la même personne, ça aide ! Filmer ce qu’on a écrit, c’est rassembler les conditions d’une meilleure réussite possible.
Faire du cinéma n’est pas une chose insurmontable. Certains scénarios s’écrivent en 15 jours, d’autres en 12 mois. Préparez vos mouchoirs m’a fait beaucoup souffrir. J’ai décroché l’Oscar, Buffet froid a eu que dalle, à part le César du scénario. Et il est devenu culte."
Tournage
"Le moment où je prends le plus de plaisir, c’est pendant le tournage. Quand on fabrique un film, il y a trois moments clés : l’écriture du scénario, un exercice solitaire, en tout cas pour moi ; le tournage, sa préparation, ce que je considère toujours comme des vacances parce qu’on part avec une bande de potes pour refaire le monde ; les finitions, le mixage, etc. Et arrive l’étape du public, passage qui peut être aussi bien merveilleux que cauchemardesque.
Sur Buffet froid, il y a eu une véritable harmonie entre mon équipe et moi. J’ai écrit un scénario de malade. Et mon équipe a dit OK, on va le tourner comme un film de malade ! Au départ, j’ai dit à mon chef op Jean Penzer que je voulais des couleurs à dominantes vertes, avec des objectifs très courts. Idem avec le décorateur : le matin du premier jour de tournage, il me repeint l’entrée de l’immeuble en orange. Pourquoi tu fais ça ? "Pour t’emmerder", me répond-il ! Et ça marche ! A part Gérard qui buvait, on ne prenait aucune substance."
Blier, Bernard
"Les acteurs ne sont pas toujours responsables du climat. Là, j’avais trois acteurs formidables. Mon père était le plus sérieux des trois : c’était le plus âgé, et le père du metteur en scène ! La scène finale de la barque a été la plus difficile à tourner. Mon père était aquaphobe et n’a jamais appris à nager de sa vie. On tournait dans un lac d’altitude, avec une eau à 3 degrés, avec des hommes-grenouilles planqués, prêts à intervenir. J’indique à mon père qu’il lui faut monter dans la barque. Il me glisse à l’oreille : "Tu ne vas quand même pas buter ton vieux ?". J’avais écrit cette scène en sachant qu’il ne supportait pas l’eau. Mais on écrit des conneries parfois ! Ca reste une démarche mystérieuse, c’est vrai... Ce n’est pas l’envie de tuer le père – encore que, quand on a un père comme lui, fallait bien le descendre !"
Depardieu
"Depardieu, c’est toujours Depardieu : un engin non identifié , un lourd véhicule privé de ses freins !"
Personnages
"Les personnages ont été définis par leurs costards. Par exemple, mon père m’a montré son costard avec une Légion d’honneur "Commissaire Morvandiau" - la mise en scène était terminée ! Idem avec Gérard Depardieu : son manteau, qu’il ne quitte pas, qu’il porte même en slip."
Décors
"La tour principale n’est pas à La Défense, elle est à Créteil. J’ai tourné à la Défense parce que la RATP nous avait donné l’autorisation de ne le faire que dans la station de RER. Nous avions des horaires très restreints. Je préfère filmer la banlieue que la verdure, même si là, il y a les deux, mais ça ne réussit pas aux personnages ! C’est probablement le fruit de vieilles références au cinéma américain."
Références
"Je fais partie de cette génération qui a découvert les road movies américains en live. Les Valseuses, c’est un road movie à pied qui se passe dans des décors américains, déserts, bétonnés, autoroutiers.
Série Noire est un chef d’œuvre absolu. Alain Corneau et moi-même avons la même culture américaine, le jazz, la Série noire. Quand il a adapté le livre de Jim Thompson, il voulait faire à sa manière ce que faisaient les Américains. Il a eu la chance d’avoir Patrick Dewaere. Moi j’ai eu Depardieu. Et parfois, les deux !"
Public
"Lors de la sortie de Buffet froid, des spectateurs sortaient de la salle au bout de 5 minutes pour se faire rembourser ! Depuis Calmos, je ne vais plus dans les salles voir mes films en public. A la sortie d’une projection, j’entends un spectateur déclamer : "J’aimerais bien connaître le CONNARD qui a fait ce film !". Depuis, je n’y vais plus.
Certains films ne plaisent pas toujours au public. Et parfois, c’est le public qui a tort. Il y a des chefs d’œuvre extraordinaires qui n’ont pas plu au public, comme La Règle du jeu. Avec 700 000 entrées, Buffet froid a fait beaucoup plus d’entrées que La Règle du jeu, ou certains Buñuel. Les Valseuses en avait fait 5,8 millions."
Filmographie
"Je ne revois pas mes films. Mais ce qui arrive, c’est qu’en zappant, de temps en temps, on tombe sur un truc intéressant. Et de temps en temps, je me dis : "Zut, c’est un film que j’ai fait, c’est vachement bien !". Alors, je reste jusqu’au bout. J’aime bien tous mes films, même ceux qui sont foirés. Parfois on ne se plante, mais d’une jolie manière ! On ne peut pas toujours réussir."
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