mercredi 25 mars 2020

La Belle époque : le grand souffle

En DVD, Blu-ray et VoD : On peut être confiné dans son couple comme on est confiné dans son appart. On finit par tourner en rond, on ne se supporte plus. L'aigreur et le ressentiment remplacent la passion. C'est ce qui est arrivé à Victor et Marianne, au grand désespoir de leur fils Maxime. Lequel décide alors d'offrir à son père une expérience hors du commun. Avec La Belle époque, disponible en vidéo et VoD depuis quelques semaines, Nicolas Bedos imagine une histoire originale, mise en scène avec inventivité et portée par des acteurs rayonnants.



L'expérience en question consiste à reconstituer - avec la participation de comédiens - la période préférée du client, qui peut alors vivre le temps d'une journée ou deux le quotidien de la noblesse du XVIIIe siècle ou boire le coup avec Hemingway. Victor, lui, veut revivre une journée particulière de 1974, celle où dans un bistrot lyonnais baptisé La Belle époque, il a rencontré pour la première fois Marianne. Il avait alors 20 ans et l'apparition de cette jeune femme libre et belle a bouleversé sa vie.


La nostalgie, camarade

C'est un script (César 2020) profondément romanesque que signe Nicolas Bedos. Un script porté par des grands sentiments et en même temps d'une maîtrise totale. Dans la construction comme dans les dialogues. Le spectateur est emporté par le tourbillon de la vie, avec ces petits événements dérisoires qui amènent à de grandes décisions et des changements majeurs. Dans ce café factice, face à des situations qu'il connaît par coeur, Victor se prend au jeu. Peut-être un peu trop. Mais que c'est bon de se sentir à nouveau jeune et amoureux, à une époque qui semblait plus libre. Le réveil n'en est que plus douloureux.

Dans son récit comme dans sa réalisation, et le montage, Bedos met en abyme les sentiments, les périodes et au-delà, le cinéma lui-même. Il nous fait traverser les coulisses pour nous faire prendre part aux séquences live que commande derrière des miroirs le metteur en scène démiurge, avec son équipe.  On est aussi emballé que Victor : tout est faux et semble si vrai ! Au-delà de la machinerie, nous assistons à la crise de couples - Victor et Marianne mais aussi Antoine le metteur en scène et son actrice/compagne Margot - qui ne savent plus s'aimer. Leur vie défile sous nos yeux, et c'est aussi un peu la nôtre. Avec ses contradictions, ses petites lâchetés, ses abandons mais aussi ses grands moments de joie et de liberté. Quand tout semble possible.

Bedos nous a épargnés les scènes de dispute dans les cuisines d'appartements étriqués. Son ambition était grande, folle même, et ses producteurs lui ont donné les moyens d'aller jusqu'au bout de ses idées. Photo, décors (César 2020), costumes sont magnifiques. La B.O., qui va de Dionne Warwick à Alain Souchon, participe également au feel-good du film. Bon, il y a bien quelques répliques vulgaires et situations scabreuses dont il aurait pu se passer (une pipe, c'eût été assez) mais La Belle époque est porté par un tel souffle qu'on ne lui en tient pas rigueur.


Plaisirs d'acteurs

Et puis le cinéaste a su amener ses comédiens à livrer le meilleur d'eux-mêmes. Cela faisait longtemps que Daniel Auteuil n'avait pas eu un rôle aussi fort : il s'y coule corps et âme, avec un plaisir communicatif. Fanny Ardant (César 2020 de la meilleur actrice dans un second rôle) est aussi très bien dans le rôle de cette femme qui veut retrouver sa liberté. On avait tendance à l'associer à des rôles dramatiques dans lesquels elle lâche ses répliques mezzo voce avec son ton si particulier. Ici, elle est éclatante. Vocalement, physiquement. Guillaume Canet est parfait en metteur en scène torturé et infect. Je trouve que le comédien excelle dans les rôles où il révèle la part sombre de ses personnages. Il en devient touchant. Quant à Doria Tillier, elle sait être à la fois solaire et grave. C'est ce qu'il fallait pour séduire Victor... et le public du film. Enfin, les seconds rôles sonnent tous juste : Denis Podalydès, Maxime Cohen, Pierre Arditi, Jeanne Arènes (qui est le sosie français de Rachel Dratch) et Bruno Raffaelli, entre autres.

L'édition Blu-ray, signée Pathé et Orange Studio, propose notamment un making-of édifiant et une bonne partie de la formidable et drôle conférence de presse donnée par l'équipe au Festival de Cannes 2019.  Bedos y revendique les influences de Truffaut et de Zemeckis. On pense aussi à Sautet et Dabadie. La comédie italienne des années 60-70 n'est pas loin non plus. Bravo !

Anderton 

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