En salles : Allons-y franchement, Carlos, qui sort ce mercredi au cinéma, marque une date-clé dans l’histoire du cinéma français. Par son ambition, sa réalisation, l’ampleur des moyens, il prouve que le cinéma français est largement capable de rivaliser avec ses grands modèles italiens et américains des années 70 (Rosi, Pollack, Pakula, Coppola), de proposer une lecture critique d’événements contemporains et de saisir toutes les ambiguités et complexités d’un personnage comme Carlos sans jamais sacrifier au film de genre et au film d’auteur.
Le pari était audacieux, il est remporté haut la main par Olivier Assayas, souvent galvaudé comme cinéaste français, c’est-à-dire d’abord passionné par les enjeux intimes et romanesques (L’Eau froide, Paris s’éveille ou Fin août, début septembre). A tort, parce que son œuvre montre également un large appétit pour l’ouverture au monde, aux enjeux culturels extérieurs et contemporains (Demonlover, ses articles consacrés au cinéma taïwanais et hong-kongais, sa passion pour le rock). Entretien exclusif pour Cineblogywood.
Cineblogywood : Comme Flaubert à propos de madame Bovary, est-ce que vous pourriez dire Carlos, c’est moi ?
Olivier Assayas : Non, je ne peux pas, ce serait un mensonge… Car Carlos, c’est Edgar Ramirez ! Edgar s’est réellement substitué à Carlos. Votre question a longtemps été cruciale pour moi : comment aurais-je pu être Carlos ? Dans mes autres films, je parviens à répondre à cette question : où je me place, dans quels personnages je me reconnais… Dans le cas de Carlos, non, je ne suis pas Carlos ! La vraie question était de savoir comment filmer Carlos sans être Carlos, comment vivre pendant un an et demi et tourner pendant 92 jours sans m’identifier à Carlos. C’est Edgar qui m’a apporté la réponse en disant : "Je prends Carlos sur mes épaules, j’assume Carlos, Carlos, c’est moi, j’assume en moi les contradictions, complexités et dangers du personnage".
Sans Edgar Ramirez, il n’y aurait pas eu de film ?
Non, vraiment. Des acteurs très connus ont souhaité interpréter Carlos. Ils n’avaient pas la moitié des caractéristiques indispensables au personnage et qui sont présentes chez Edgar. Au-delà de ces spécificités, (parler 5 langues, la taille, le physique), ils n’avaient pas le degré d’implication d’Edgar pour que les choses se mettent réellement en place. Avant, je pensais au projet Carlos, mais parmi d’autres projets. Je n’étais pas sûr à 100% que je le ferai. Le jour où j’ai rencontré Edgar, il est devenu évident que le film existerait.
Au-delà de la puissance d’incarnation d’Edgar Ramirez, le film propose enfin la martingale du cinéma français : un film de genre – biopic à l’américaine – et un film d’auteur, dans lequel on retrouve parfaitement votre univers. Comment êtes-vous parvenu à vous approprier complètement ce projet ?
La question-clé, c’est celle de la liberté. La raison pour laquelle j’ai fini par faire Carlos – projet sur lequel j’étais très réticent et hésitant : tout en y travaillant, je me demandais si j’allais pouvoir passer un an et demi, quel serait le destin du film (une diffusion sur Canal, puis basta !) - c’est que le matériau était vivant, riche, risqué et ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu faire avant. Mais si je me décidais à le faire, c’était dans des conditions d’absolue liberté. Si j’avais eu la moindre contrainte au niveau de la préparation et de la production, j’aurais quitté le projet sans remords. Il était très clair qu’il me faillait des conditions de liberté absolue.
Le paradoxe, c’est que c’est à la télévision qu’on me les a données ! Car pour moi, la télévision, c’est le monde de la contrainte, du formatage, de l’approximation. Je savais donc que je m’exposais à ce qu’on me dise non. Ce qui m’a permis de faire le film en toute liberté, c’est d’avoir été kamikaze. Dès que je voyais que les choses butaient sur des aspects que je jugeais essentiels, je disais : "OK, mais sans moi". Je n’ai jamais bluffé avec ça.
Une fois cette liberté acquise, je me suis approprié le sujet. Le film est donc le produit de tout ce que j’ai appris au cinéma auparavant. Par exemple, je n’avais fait que quelques scènes d’action dans Demonlover ou Boarding Gate. Donc, il m’a fallu donc apprendre pendant le tournage ! Et de fait, dans un film comme Carlos, il y a beaucoup de types de scènes. Du coup, ça donne beaucoup d’espace et de marge de manoeuvre, alors que généralement, on est beaucoup plus contraint (durée, genre, etc). Le film se trouve être divisé en trois et durer 5h30 : il aurait duré 6 heures, personne n’aurait trouvé rien à redire ! Je n’ai donc jamais été contraint.
Cineblogywood : Comme Flaubert à propos de madame Bovary, est-ce que vous pourriez dire Carlos, c’est moi ?
Olivier Assayas : Non, je ne peux pas, ce serait un mensonge… Car Carlos, c’est Edgar Ramirez ! Edgar s’est réellement substitué à Carlos. Votre question a longtemps été cruciale pour moi : comment aurais-je pu être Carlos ? Dans mes autres films, je parviens à répondre à cette question : où je me place, dans quels personnages je me reconnais… Dans le cas de Carlos, non, je ne suis pas Carlos ! La vraie question était de savoir comment filmer Carlos sans être Carlos, comment vivre pendant un an et demi et tourner pendant 92 jours sans m’identifier à Carlos. C’est Edgar qui m’a apporté la réponse en disant : "Je prends Carlos sur mes épaules, j’assume Carlos, Carlos, c’est moi, j’assume en moi les contradictions, complexités et dangers du personnage".
Sans Edgar Ramirez, il n’y aurait pas eu de film ?
Non, vraiment. Des acteurs très connus ont souhaité interpréter Carlos. Ils n’avaient pas la moitié des caractéristiques indispensables au personnage et qui sont présentes chez Edgar. Au-delà de ces spécificités, (parler 5 langues, la taille, le physique), ils n’avaient pas le degré d’implication d’Edgar pour que les choses se mettent réellement en place. Avant, je pensais au projet Carlos, mais parmi d’autres projets. Je n’étais pas sûr à 100% que je le ferai. Le jour où j’ai rencontré Edgar, il est devenu évident que le film existerait.
Au-delà de la puissance d’incarnation d’Edgar Ramirez, le film propose enfin la martingale du cinéma français : un film de genre – biopic à l’américaine – et un film d’auteur, dans lequel on retrouve parfaitement votre univers. Comment êtes-vous parvenu à vous approprier complètement ce projet ?
La question-clé, c’est celle de la liberté. La raison pour laquelle j’ai fini par faire Carlos – projet sur lequel j’étais très réticent et hésitant : tout en y travaillant, je me demandais si j’allais pouvoir passer un an et demi, quel serait le destin du film (une diffusion sur Canal, puis basta !) - c’est que le matériau était vivant, riche, risqué et ne ressemblait à rien de ce que j’avais pu faire avant. Mais si je me décidais à le faire, c’était dans des conditions d’absolue liberté. Si j’avais eu la moindre contrainte au niveau de la préparation et de la production, j’aurais quitté le projet sans remords. Il était très clair qu’il me faillait des conditions de liberté absolue.
Le paradoxe, c’est que c’est à la télévision qu’on me les a données ! Car pour moi, la télévision, c’est le monde de la contrainte, du formatage, de l’approximation. Je savais donc que je m’exposais à ce qu’on me dise non. Ce qui m’a permis de faire le film en toute liberté, c’est d’avoir été kamikaze. Dès que je voyais que les choses butaient sur des aspects que je jugeais essentiels, je disais : "OK, mais sans moi". Je n’ai jamais bluffé avec ça.
Une fois cette liberté acquise, je me suis approprié le sujet. Le film est donc le produit de tout ce que j’ai appris au cinéma auparavant. Par exemple, je n’avais fait que quelques scènes d’action dans Demonlover ou Boarding Gate. Donc, il m’a fallu donc apprendre pendant le tournage ! Et de fait, dans un film comme Carlos, il y a beaucoup de types de scènes. Du coup, ça donne beaucoup d’espace et de marge de manoeuvre, alors que généralement, on est beaucoup plus contraint (durée, genre, etc). Le film se trouve être divisé en trois et durer 5h30 : il aurait duré 6 heures, personne n’aurait trouvé rien à redire ! Je n’ai donc jamais été contraint.
Comment situez-vous ce film par rapport à votre filmographie ?
Par rapport au reste de ma filmographie, je regrouperais Carlos avec ceux qui proposent une lecture de la société, comme Demonlover ou Les Destinées sentimentales.
Justement, Les Destinées sentimentales, avec le recul, auraient pu avoir le sort de Carlos ?
Oui, ça aurait pu être 3 films, effectivement. La bonne version aurait duré 3h15, car c’était le vrai rythme du film. Mais cela reste anecdotique par rapport à sa durée actuelle (3 heures). Dans le même temps, le paradoxe des Destinées sentimentales, c’est que je n’aurais pas souhaité faire plus long. En plus, je pense que je n’aurais jamais pu être aussi libre au cinéma que je l’ai été pour Carlos.
Quels ont été vos partis-pris pour condenser Carlos de sa version TV (5h30) à sa version cinéma (2h45) ?
Depuis le début du projet, mon désir était de pouvoir faire une version ciné de Carlos. Et ce dès sa diffusion à la télé – pas pour dans 20 ans, pour une diffusion à la cinémathèque ! Du coup, je n’ai jamais été frustré, car avec la version TV, je savais que la version intégrale Director’s cut existait. J’ai donc procéder à un nouveau montage avec plaisir ! J’ai réduit le début et les années 80. Il fallait que je procède par grosses excisions. Une fois cela fait, j’ai tout resserré pour obtenir un autre rythme.
Vous ne mettez quasiment jamais de musique originale dans vos films, et Carlos n’échappe pas à la règle. Pourquoi ?
Je ne mets pas de musique originale dans mes films, parce les musiques de films font "films". Ma préoccupation est de parvenir à ce que ça ne fasse pas cinéma – du moins que ça fasse moins cinéma possible. Du coup, je choisis des morceaux qui ne fassent pas cinéma, qui soient parfois en décalage.
J’ai un handicap majeur dans la vie : je ne suis pas du tout musicien, mais j’ai du goût pour la musique, j’en ai besoin quotidiennement. Le fait d’utiliser des morceaux pré-existants, habités par des émotions et des énergies qui me traversent est une manière de m’approprier la bande-son du film, d’être moi-même le compositeur de mon film. Et la façon dont j’utilise la musique dans mes films trouve un écho chez autrui. Ca me touche beaucoup de voir les spectateurs partager cette chose plutôt intime. C’est une des belles choses du cinéma.
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