vendredi 15 juillet 2016

"Patrick Dewaere avait un petit complexe" - INTERVIEW (1/2)

Artistes : En janvier prochain, Patrick Dewaere aurait eu 70 ans, s’il n’avait décidé de mettre un terme brutal à son existence, un 16 juillet 1982. Nul doute que Marc Esposito soit l’un des mieux placés pour évoquer l’acteur : le fondateur de Première et Studio magazine a accompagné sa carrière, ainsi que celles de la nouvelle génération d’alors, les Depardieu, Adjani, Huppert ou Miou-Miou. Tant d’un point de vue professionnel que personnel. Et c’est tout naturellement qu’il a consacré son premier film à l’acteur, dans un documentaire passionnant, devenu quasiment invisible depuis sa sortie en 1992. 

Il était donc aux Fauvettes le 16 juin 2016, pour évoquer l’acteur, son amitié avec lui, sa carrière, Depardieu, ses blessures, ainsi que son documentaire "maudit", interrogé par son comparse Jean-Pierre Lavoignat, compagnon de route dans les aventures Première et Studio Magazine




Jean-Pierre Lavoignat : Quand as-tu rencontré pour la première fois Patrick Dewaere ?
Marc Esposito : C’était après la première projection du Juge Fayard dit le Shérif. Il a découvert le film en même temps que moi. On a fait l’interview chez lui. Il avait garé sa Range Rover je ne sais où ! On est donc allé la chercher à la fourrière.  Et notre amitié a commencé comme ça !

Qu’est-ce qui t’a le plus frappé en le voyant ?
Il était tel que je l’avais imaginé après avoir vu Les Valseuses. Il était également tel que dans Coup de tête, sans composer de personnage. Il y a quelques films où il est vraiment lui-même, ses films qui ont le mieux marché, d’ailleurs. Des films dont on disait alors qu’il serait le nouveau Belmondo, des films dans lesquels il incarnait des personnages positifs. Sa deuxième partie de carrière commence juste après Coup de tête, avec des films plus graves, à partir desquels s’est construite sa réputation. Dans Les Valseuses, Préparez vos mouchoirs, La Clé sur la porte ou Coup de tête, il incarne des personnages sympathiques, positifs, rayonnants, piles dans leur époque. Après, il a changé.

Qu’est-ce qui qui fait sa singularité d’acteur ?
Il y avait également Gérard Depardieu. Tous les deux étaient très originaux. Avant eux, c’était Delon et Belmondo. Ils incarnaient une rupture énorme. Il n’y avait pas l’équivalent en Amérique : toute la génération des acteurs Hoffman-De Niro s’ancrait dans une tradition. Or Dewaere et Depardieu incarnent une génération de voyous, de loubards qui n’ont jamais fait de cinéma, avec un côté anti-stars. Quand on est arrivé avec Première, on parlait peu des acteurs. Du coup, on a eu des rapports particuliers avec eux : 10 pages d’entretiens dans Première, alors qu’ils étaient habitués à 2 heures d’entretien pour 8 lignes d’entrefilet dans lesquelles ils ne se reconnaissaient même pas. On est arrivé pile avec l’émergence de ce tandem. Les filles – Adjani, Huppert – étaient moins hors normes. 

Depardieu et Dewaere, étaient-ils rivaux, complémentaires, fusionnels ?
Pas fusionnels ! Rivaux, sûrement. L’un était dominant : Depardieu. Ca se voit dès Les Valseuses. Quand on lit le roman, écrit avant le film, c’est troublant : on entend la voix de Depardieu. A la place de Dewaere, Blier voulait Renaud, c’est-à-dire un petit, mince, et pas baraqué ! Or bien que Dewaere soit plus baraqué, c’est Depardieu qui le protège. Ils étaient certes très bagarreurs, mais Dewaere avait un côté plus fragile. Ils étaient très attachants.

Ils étaient même devenus interchangeables, à un moment ?
Oui, ils se refilaient les rôles. Surtout Depardieu. Dewaere avait un petit complexe : la presse était plus gentille avec Depardieu qui dès le début a tourné avec les plus grands – Ferreri, Bertolucci, Sautet, Duras – alors que Dewaere jusqu’en 1978 faisait des films populaires dont il n’était pas toujours très fier. Il avait envie de faire les films que tournait Depardieu – Barocco, 1900. Ca c’est inversé après : en raison de ses succès populaires, il a pu faire Sautet, Téchiné, Corneau.

Il a toujours beaucoup tourné, jusqu’à enchaîner ces films à l’origine de sa légende de desperado. Etait-il comme ça dans la vie ?
Pas à ce point. J’avais un rapport particulier avec lui : j’étais le seul journaliste avec lequel il entretenait de bons rapports. Je n’appartenais pas à sa sphère intime. Jamais je n’ai parlé de drogue avec lui. En général, les gens qui sont dans la drogue se cachent – lui particulièrement. Je l’ai souvent interviewé, mais surtout sur des sujets professionnels. Je le voyais donc joyeux, sympa. Ses potes racontent que le suicide était en lui : j’avoue ne jamais avoir connu cet aspect.

Même lors des dernières années ?
Il m’a dit de temps en temps des trucs tristes, mais pas plus que Depardieu ou Brasseur. J’ai donc été très étonné par son suicide. Sotha [la première femme de Patrick Dewaere, NDLR] a raconté qu’il lui avait dit avoir imaginé plusieurs fois son suicide. Il ne m’en a jamais parlé. Il avait un background familial d’enfance particulièrement lourd. Quand j’ai décidé de faire le doc, il y avait plein d’infos que je ne connaissais pas. C’est en faisant le doc que je les ai apprises. Si je les avais apprises avant, je n’aurais pas fait le doc. 

Pourquoi ?
Parce qu’il y a des choses que je n’aurais pas pu dire – ses traumatismes d’enfance, qu’un livre a évoqués. C’est la matrice de son mal-être. 

Retrouvez la deuxième partie de cette interview : 
"Patrick Dewaere était un enfant de mai 68"

Travis Bickle

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