Artistes : The Queen, Les Liaisons dangereuses, My Beautiful laundrette... ses films ont marqué l’histoire du cinéma. Mais force est de constater que depuis le triomphe critique et public de The Queen il y a dix ans, Stephen Frears semble avoir – injustement – perdu la carte. Plus aucune sélection en festivals, indifférence polie de la critique, succès publics en demi-teintes. Et pourtant !
Nous avions évoqué ici la vigueur de The Program, sorti il y a à peine un an en France. Mais il y eut avant ça le cynique et bouleversant Chéri, d’après Colette ; le mutin Tamara Drewe ; sans oublier le renversant Philomena. 75 ans au compteur, il enchaîne les films à un rythme de plus en plus soutenu, alternant les genres, les formats et les budgets avec une aisance dignes d'un John Huston.
Cette année, avec Florence Foster Jenkins, il livre une brillante comédie, centrée sur un personnage hors normes, vraie-fausse chanteuse lyrique, victime – volontaire ? – de ses propres mensonges, de ceux de son entourage direct et de son époque, la Seconde Guerre mondiale. Petite cousine de Lance Armstrong et de Madame Henderson, deux personnages-phares du petit théâtre de Stephen Frears, Florence Foster Jenkins donne l’occasion à Meryl Streep de livrer une composition libérée de ses effets parfois agaçants. Et à son partenaire Hugh Grant d’effectuer un come-back inespéré sur le devant de la scène. Oubliez Marguerite, inspiré de la même histoire, et foncez sur le dernier film de Frears, ne serait-ce que pour vérifier la santé d’un cinéaste qui tout en restant fidèle à lui-même continue de parcourir les genres avec une aisance confondante.
Laconique, ironique, peu disert sur son art, il s’est prêté au jeu des questions réponses en juin dernier, lors d’une présentation de son dernier film. Florilège.
Qu’est-ce qui vous a inspiré dans le personnage de Florence Foster Jenkins ?
Stephen Frears : Si vous allez sur Youtube, vous pouvez écouter les enregistrements sonores. Ils sont tout à la fois incroyablement ridicules et incroyablement émouvants. C’est ce qui m’a intéressé.
Florence avait-elle du talent, selon vous ?
Elle avait du talent pour la vie, mais ce n’était pas une très bonne chanteuse. Elle a fait beaucoup pour la musique et pour l’armée américaine, comme on le voit dans le film.
Le script est vraiment brillant. On ne rit jamais d’elle, mais avec elle.
C’est grâce à Meryl, qui était vraiment soucieuse du fait qu’on ne se moque pas de Florence. Mais le scénario était très bon. Il y avait toujours un équilibre entre la comédie et la tragédie. Ce qui était aussi sa vie.
Le film célèbre l’art vocal, le plaisir qu’il donne à l’artiste mais aussi au public...
Pour moi, c’est le véritable but de l’art : donner du plaisir tout en y prenant du plaisir.
Comment avez-vous choisi le couple Meryl Streep-Hugh Grant ?
Meryl a dit oui tout de suite, et j’ai suggéré le nom de Hugh Grant. Je l’avais jusque-là sous-utilisé et ne lui avais encore jamais demandé de jouer dans un de mes films.
A un moment, vous lui faites dire : "Je suis un bon acteur, mais je n’ai jamais été un grand acteur". C’était dans le script, ou bien l’avez-vous ajouté pour Hugh Grant ?
C’était déjà dans le script. Mais en lisant le scénario, je me suis aperçu que c’est une phrase qu’aurait pu dire Hugh Grant en son nom. C’est un acteur, et ça lui correspondait assez bien.
A-t-il été difficile de diriger Meryl Streep en chanteuse qui chante faux, alors qu’on sait qu’elle sait chanter ?
Meryl Streep chante très bien, c’est une vraie chanteuse. Or pour mal chanter, il faut savoir extrêmement bien chanter. Elle bénéficiait des conseils d’un coach pour chanter faux. Elle était extrêmement bien préparée, ce qui était facile pour moi de la diriger. C’est toujours elle qui chante dans le film.
Et pourquoi le choix de Simon Helberg, l’acteur de The Big Bang Theory ?
Son souci, c’était son visage à la Marx Brothers. Il ne voulait jamais en faire trop. C’est un très bon acteur.
Comment s’est effectuée votre collaboration avec Alexandre Desplat pour la musique ?
Ma collaboration avec Alexandre a commencé avec The Queen. Il a choisi les extraits, Mozart, Chopin, Strauss, Saint-Saëns... Ce film a été tourné dans l’esprit des screwball comedies des années 40. C’est le son que nous avons recherché ensemble. Mais Alexandre n’a jamais été tenté de faire son Mozart !
On vous avait quitté sur The Program. Or ces deux films sont jumeaux : ils reposent sur un mensonge, la crédulité et un jeu de mystification. En quoi Florence Foster Jenkins est-elle proche de Lance Armstrong ?
Au départ, je ne m’en étais pas rendu compte. Effectivement, ils ont des choses en commun : ils vivent dans l’illusion et le mensonge. C’est le propre des artistes qui travaillent dans une industrie : Hitchcock travaillait pour une industrie, mais il avait des thèmes récurrents et cohérents. C'est toute la différence entre l’auteur et l’artiste !
Film d’amour, drame ou comédie : à quel genre appartient votre film ?
Aux trois ! C’est la vie tout entière qui est célébrée. C’est tout ce que j’aime.
Le rôle de Hugh Grant est très beau, quand il aide son épouse à retirer sa perruque et ses faux cils...
Pour moi, c’est une histoire d’amour. Il l’aime. Mais les relations sont complexes : il a une autre compagne. Quand il rencontre Florence, il ne faut pas oublier que c’est un acteur assez raté. Certes, il utilise Florence pour regagner une certaine estime de lui-même. Mais elle aussi a eu besoin de lui. C’est la complexité de leurs relations.
Le film Marguerite de Xavier Giannolli était tiré de la même histoire. L’avez-vous vu ?
Je ne l’ai pas vu. Mais il m’était arrivé la même chose avec Les Liaisons dangereuses et Valmont. Ces sujets doivent être dans l’air du temps.
Votre prochain projet ?
Un biopic consacré aux dernières années de la reine Victoria, période pendant laquelle elle s’est éprise d’un de ses serviteurs indiens, à l’âge de 80 ans ! J’écris cela avec Lee Hall, le scénariste de Billy Elliot.
Travis Brickle
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