Le nouveau Peter Greenaway, Goltzius et la compagnie du Pélican, divise à la rédaction de Cineblogywood. Anouk avait été larguée (lisez son papier), Travis Bickle est emballé. La preuve ci-dessous.
En salles : 1984, déboule dans le paysage cinématographique un film venu de nulle part, baroque, transgressif, ludique et jouissif : Meurtre dans un jardin anglais. Son auteur ? Un plasticien ultra cultivé, fan de dispositifs scéniques et cinématographiques, amateur d'art et de musique baroque, légèrement érotomane, Peter Greenaway. 30 ans plus tard, le voilà qui revient après une décennie en demi-teintes pour Goltzius et la compagnie du Pélican, un film qui radicalise son premier coup de maître sur les tous les plans : cinématographique, conceptuel, érotique. Pour livrer une oeuvre aussi émoustillante pour l'esprit que pour... les yeux ! Décryptage.
Contrat : comme dans la plupart de ses films, et notamment Meurtre dans un jardin anglais, tout commence par un contrat. En l'occurrence, celui passé par un riche mécène du XVIe siècle, le Margrave d'Alsace,avec le graveur Goltzius : en échange de subsides, l'artiste promet à son protecteur un fabuleux livre d'images illustrant les contes érotiques de l'Ancien testament. Cerise sur le gâteau : pour les reproduire, il propose à la cour de son mécène de les mettre en scène devant elle, in vivo. Manière pour Greenaway de revisiter les liens originaux et consubstantiels qui existent entre technologie visuelle naissante et érotisme, entre images et interdits.
Sexe et mort : tout comme l'ensemble de son oeuvre, Peter Greenaway fait dialoguer les deux pulsions les plus essentielles à l'existence, le sexe et la mort, Eros et Thanatos. Mais un cran plus loin que dans le reste de sa filmographie : ici, la sexualité est filmée frontalement, sans tabou, fétichisée, magnifiée, même glorifiée. Etonnant de voir deux cinéastes finalement pas si éloignés que ça – Greenaway et Lars von Trier avec Nymphomaniac – livrer en même temps deux oeuvres où sexualité, mort et cosmos s'interpénètrent avec autant de vigueur, de souffrance, de joie, mais aussi d'audace !
Audace : avec le numérique, Greenaway a enfin trouvé le médium qui lui permet les inventions formelles les plus folles. Incrustation de l'écrit sur l'image, superposition du passé et du présent narratif, jeu sur la lumière et l'obscurité, jeu sur les dissonnaces vocales – souvenez-vous de son adaptation de La Tempête de Shakespeare, Prospero's Book, où le vénérable acteur shakespearien John Gielgud prêtait sa voix à tous les personnages du film !! - sa palette graphique et cinématographique est désormais sans limite. Non contente d'être jouissive pour tout cinéphile ! A cette audace correspond l'audace de mêler le sacré et le profane, à une époque – la nôtre comme celle du XVIe siècle – dominée par une forme d'obscurantisme et de fanatisme.
Sexe, sacré et profane : du coup, oui, vous verrez beaucoup de sexes masculins et féminins, filmés frontalement. Oui, tous les tabous sont filmés à la fois sans pudeur, mais avec beaucoup de respect : de la sodomie à l'inceste, en passant par le coït le plus... classique. Sujets déjà bien présents dans toute l'oeuvre antérieure de Greenaway – rappellez-vous du Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant ou de The Pillow Book. Car, pour reprendre les termes du cinéaste, "il n'y a que deux sujets importants dans la vie : le sexe et la mort". Deux pulsions magnifiées par ses audaces formelles. Audaces d'autant plus fortes qu'elles laissent toue leur place à l'émotion, notamment dans le dernier tableau consacré à Bethsabée.
Dispositif formel : on le sait, Greenaway adore les dispositifs scénaristiques pour donner une forme originale à ses films, que ce soit les comptines enfantines pour Drowning by numbers, les réalisations architecturales d'un Boulle pour Le Ventre de l'architecte ou les parchemins érotiques japonais pour The Pillow Book. Là, il s'appuie sur six scènes bien précises de l'Ancien testament pour dresser un état des lieux de nos tabous – présents et liés au XVIe siècle : le premier coït d'Adam et Eve ; l'inceste, avec Loth et ses filles ; l'adultère, avec David et Bethsabée ; la pédophilie, avec la femme de Potiphar ; la prostition, avec Samson et Dalila ; enfin, la nécrophilie, avec Salomé. Six tableaux, qui n'épargnent rien au spectateur. Car nous interroger sur les tabous d'alors, c'est également nous interroger sur nos tabous contemporains. Et via un dispositif de mise en abîme, Greenaway nous interroge sur nos pulsions scopiques de spectateurs, tout aussi enclins à jouir d'un spectacle que de le réprouver. Finesse d'un regard et d'un esprit qui ausculte d'autant mieux une époque révolue qu'il lui trouve des échos contemporains.
Culture. Oui, Greenaway pétrit, brasse, malaxe toute une série de références culturelles, éloignées de notre quotidien. La Bible, Shakespeare, la peinture flamande, Monet, la musique baroque – cette fois, non signée Michael Nyman, mais Marco Robino – mais avec une telle dextérité, une telle jouissance qu'il nous donne envie de fréquenter fissa le Louvre ! Manière de rappeler avec les moyens du bord contemporains notre héritage culturel, tout en nous amusant, nous divertissant, nous posant les questions idoines sur notre Europe.
Casting. Peu de têtes d'affiches, hormis F. Murray Abraham, inoubliable Salieri dans Amadeus de Forman, revu tout récemment dans Inside Llewyn Davis des frères Coen, dans le rôle du marquis. Mais un casting judicieusement choisi : par son côté multiculturel – italien, anglais, néerlandais, français – il rappelle que l'Europe d'alors était une entité multiculturelle. Par la nature même des acteurs – le poète néerlandais Ramsey Nasr dans le rôle de Goltzius, le metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbonno, la comédienne britannique Kate Moran – Greenaway dissout tous les silos pour montrer qu'en art, il n'est qu'une seule patrie, celle des artistes.
Bref, jouissez sans entraves, et précipitez-vous sur le dernier opus de Peter Greenaway !
En salles : 1984, déboule dans le paysage cinématographique un film venu de nulle part, baroque, transgressif, ludique et jouissif : Meurtre dans un jardin anglais. Son auteur ? Un plasticien ultra cultivé, fan de dispositifs scéniques et cinématographiques, amateur d'art et de musique baroque, légèrement érotomane, Peter Greenaway. 30 ans plus tard, le voilà qui revient après une décennie en demi-teintes pour Goltzius et la compagnie du Pélican, un film qui radicalise son premier coup de maître sur les tous les plans : cinématographique, conceptuel, érotique. Pour livrer une oeuvre aussi émoustillante pour l'esprit que pour... les yeux ! Décryptage.
Contrat : comme dans la plupart de ses films, et notamment Meurtre dans un jardin anglais, tout commence par un contrat. En l'occurrence, celui passé par un riche mécène du XVIe siècle, le Margrave d'Alsace,avec le graveur Goltzius : en échange de subsides, l'artiste promet à son protecteur un fabuleux livre d'images illustrant les contes érotiques de l'Ancien testament. Cerise sur le gâteau : pour les reproduire, il propose à la cour de son mécène de les mettre en scène devant elle, in vivo. Manière pour Greenaway de revisiter les liens originaux et consubstantiels qui existent entre technologie visuelle naissante et érotisme, entre images et interdits.
Sexe et mort : tout comme l'ensemble de son oeuvre, Peter Greenaway fait dialoguer les deux pulsions les plus essentielles à l'existence, le sexe et la mort, Eros et Thanatos. Mais un cran plus loin que dans le reste de sa filmographie : ici, la sexualité est filmée frontalement, sans tabou, fétichisée, magnifiée, même glorifiée. Etonnant de voir deux cinéastes finalement pas si éloignés que ça – Greenaway et Lars von Trier avec Nymphomaniac – livrer en même temps deux oeuvres où sexualité, mort et cosmos s'interpénètrent avec autant de vigueur, de souffrance, de joie, mais aussi d'audace !
Audace : avec le numérique, Greenaway a enfin trouvé le médium qui lui permet les inventions formelles les plus folles. Incrustation de l'écrit sur l'image, superposition du passé et du présent narratif, jeu sur la lumière et l'obscurité, jeu sur les dissonnaces vocales – souvenez-vous de son adaptation de La Tempête de Shakespeare, Prospero's Book, où le vénérable acteur shakespearien John Gielgud prêtait sa voix à tous les personnages du film !! - sa palette graphique et cinématographique est désormais sans limite. Non contente d'être jouissive pour tout cinéphile ! A cette audace correspond l'audace de mêler le sacré et le profane, à une époque – la nôtre comme celle du XVIe siècle – dominée par une forme d'obscurantisme et de fanatisme.
Sexe, sacré et profane : du coup, oui, vous verrez beaucoup de sexes masculins et féminins, filmés frontalement. Oui, tous les tabous sont filmés à la fois sans pudeur, mais avec beaucoup de respect : de la sodomie à l'inceste, en passant par le coït le plus... classique. Sujets déjà bien présents dans toute l'oeuvre antérieure de Greenaway – rappellez-vous du Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant ou de The Pillow Book. Car, pour reprendre les termes du cinéaste, "il n'y a que deux sujets importants dans la vie : le sexe et la mort". Deux pulsions magnifiées par ses audaces formelles. Audaces d'autant plus fortes qu'elles laissent toue leur place à l'émotion, notamment dans le dernier tableau consacré à Bethsabée.
Dispositif formel : on le sait, Greenaway adore les dispositifs scénaristiques pour donner une forme originale à ses films, que ce soit les comptines enfantines pour Drowning by numbers, les réalisations architecturales d'un Boulle pour Le Ventre de l'architecte ou les parchemins érotiques japonais pour The Pillow Book. Là, il s'appuie sur six scènes bien précises de l'Ancien testament pour dresser un état des lieux de nos tabous – présents et liés au XVIe siècle : le premier coït d'Adam et Eve ; l'inceste, avec Loth et ses filles ; l'adultère, avec David et Bethsabée ; la pédophilie, avec la femme de Potiphar ; la prostition, avec Samson et Dalila ; enfin, la nécrophilie, avec Salomé. Six tableaux, qui n'épargnent rien au spectateur. Car nous interroger sur les tabous d'alors, c'est également nous interroger sur nos tabous contemporains. Et via un dispositif de mise en abîme, Greenaway nous interroge sur nos pulsions scopiques de spectateurs, tout aussi enclins à jouir d'un spectacle que de le réprouver. Finesse d'un regard et d'un esprit qui ausculte d'autant mieux une époque révolue qu'il lui trouve des échos contemporains.
Culture. Oui, Greenaway pétrit, brasse, malaxe toute une série de références culturelles, éloignées de notre quotidien. La Bible, Shakespeare, la peinture flamande, Monet, la musique baroque – cette fois, non signée Michael Nyman, mais Marco Robino – mais avec une telle dextérité, une telle jouissance qu'il nous donne envie de fréquenter fissa le Louvre ! Manière de rappeler avec les moyens du bord contemporains notre héritage culturel, tout en nous amusant, nous divertissant, nous posant les questions idoines sur notre Europe.
Casting. Peu de têtes d'affiches, hormis F. Murray Abraham, inoubliable Salieri dans Amadeus de Forman, revu tout récemment dans Inside Llewyn Davis des frères Coen, dans le rôle du marquis. Mais un casting judicieusement choisi : par son côté multiculturel – italien, anglais, néerlandais, français – il rappelle que l'Europe d'alors était une entité multiculturelle. Par la nature même des acteurs – le poète néerlandais Ramsey Nasr dans le rôle de Goltzius, le metteur en scène de théâtre italien Pippo Delbonno, la comédienne britannique Kate Moran – Greenaway dissout tous les silos pour montrer qu'en art, il n'est qu'une seule patrie, celle des artistes.
Bref, jouissez sans entraves, et précipitez-vous sur le dernier opus de Peter Greenaway !
Travis Bickle
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