Buzz : En janvier 2012, le festival du film indépendant Sundance alignait dix-sept films produits par la plateforme Kickstarter, le premier site de financement participatif. Depuis, ce mode de production s’exporte doucement en France, et commence réellement à se développer depuis peu. Sur plus de 40.000 projets depuis 2008, un quart date du premier semestre de 2014. Dans les projets cinématographiques on trouve aussi bien des amateurs, des étudiants... que des professionnels du cinéma.
Alors que les nouvelles technologies numériques redéfinissent le mode de diffusion et de consommation du cinéma, le réseau internet développe de véritables outils et modifie en creux le système de production. Certains professionnels du 7e art utilisent désormais des plateformes comme Ulule ou Kiss Kiss Bank Bank pour promouvoir leurs projets. Jouissant de la formation et du réseau professionnel leur permettant de suivre un mode de production classique, ils préfèrent l’aventure du crowdfunding. Pourquoi ? Ce phénomène remet progressivement en cause le système de production français et l’uniformité de la sélection des projets. Cineblogywood a interviewé Julien Seri et Gilles Verdiani.
Scénariste, producteur et réalisateur, Julien Seri a coréalisé Yamakasi en 2001 avec Ariel Zeitoun. Depuis, on compte deux long-métrages à son actif (Les fils du Vent et Scorpion), ainsi que quatre téléfilms. Il s’est récemment lancé dans le financement participatif pour un film d’action, Night Fare, dont la campagne Ulule s’est clôt avec succès le 23 septembre dernier. Suivant un mode de production indépendant, avec des investisseurs privés ainsi que des contributeurs du crowdfunding, il trouve dans ce mode de financement la liberté de réaliser son film "sans demander l’autorisation à quiconque". Même des professionnels déjà installés ne se retrouvent plus dans les mailles du système de production français, un système "industrialisé", selon Julien Seri.
Pourtant, ce projet qu’il avait en tête depuis plusieurs années sans oser le concrétiser, est un film d’action qui trouvera aisément public. Mais la complexité du système de production, avec des temps d’attente interminables et une incertitude latente autour de la concrétisation du projet décourage plus d’un réalisateur. Comme premier avantage de son indépendance, Julien Seri cite "la rapidité de prise de décision" ainsi que "la certitude que le film allait se faire". De plus, cette indépendance permet des méthodes de travail plus personnelles. Il n’y avait pas encore de scénario quand la production de Night Fare commence, une liberté impensable dans une structure de production classique. Envisageant à l’avenir le crowdfunding comme "une façon supplémentaire de faire du cinéma", Julien Seri espère des acteurs du système de production classique une prise de conscience : un changement s'impose.
Le projet : Deux jeunes de banlieue, de retour d’une soirée bien arrosée, s’enfuient en courant au lieu de régler la course du taxi. Ce n’était pas le bon chauffeur pour faire ça... Le taxi va se mettre en chasse toute la nuit.
Gilles Verdiani : "Permettre à des cinéastes de tourner des films vraiment singuliers"
Coscénariste de L’amour dure trois ans (de Frédéric Beigbeder) et créateur de l’émission Le Cercle (Canal +), Gilles Verdiani a lui aussi décidé d’emprunter ces chemins de traverses pour réaliser son projet de long métrage, Reception (Save the date). Après avoir proposé plusieurs projets de scénarios aux boites de production et diverses commissions, Verdiani comprend qu’il n’arrivera pas à trouver de soutien. Il décide donc de laisser libre cours à sa créativité et écrit un projet plus audacieux, qu’il décide de produire de manière indépendante. Egalement soutenu par un mécène, le projet nécessite cependant un coup de pouce supplémentaire pour pouvoir se dérouler dans de bonnes conditions. Car produire ainsi un long métrage signifie revoir tout le budget à la baisse, et définir un mode de production unique adapté au projet en question, au lieu de suivre un schéma préétabli.
Comme Julien Seri, Gilles Verdiani cite comme avantage de son indépendance la possibilité d’employer les méthodes de travail qu’il souhaite, en l’occurrence des répétitions d’un mois avec un scénario encore en attente de modifications. Il met aussi l’accent sur l’écriture. "La liberté que j'ai gagnée c'est surtout dans l'écriture du scénario, plus que dans la mise en scène. Personne ne peut m'imposer de changer quoi que ce soit, alors que les producteurs s'autorisent toujours à intervenir. Mon script a été lu par plusieurs producteurs, ils ont tous trouvé quelque chose à redire, et ce n'était jamais la même chose (…). La plupart d’entre eux sont persuadés qu'ils savent mieux que l'auteur ce qu'est 'un bon scénario'."
Selon lui, le principal avantage du crowdfundunding est donc de permettre à des films originaux "avec un style, une vision", de voir le jour. Il espère personnellement "pouvoir être jugé sur pièce", au lieu d’un simple dossier ou d’un scénario passé en commission.
Le projet (en cours de campagne sur KissKissBankBank pendant quelques jours encore) : dans un futur proche, l’humanité a résolu tous ses problèmes actuels: pollution, famine, racisme... Mais un ordre moral strict s’est établi, et tout désir non approuvé est impitoyablement réprimé : la police des mœurs est aux aguets. Un soir d'été, la belle Lucrèce a invité des amis dans son vaste appartement. Son mari est absent. Des désirs qui s'expriment et soudain... un événement qui n'arrive qu'une fois tous les 800.000 ans : l'inversion du champ magnétique terrestre. Comme libérés, les invités semblent suivre leur instinct. Pourtant, l’inspecteur Fourme rôde dans l’appartement...
Si ces deux réalisateurs placent leurs espoirs dans un système encore en cours de construction, ils sont réalistes quand à son futur et son éventuelle influence sur le système de production classique. Le cinéma est une industrie, et doit tout d’abord répondre à des impératifs de marché : qu’est-ce que le public désire voir ? En démarchant des particuliers, le financement participatif créé néanmoins une sorte de communauté préexistante au film, un potentiel public. Ou du moins c’est le cas aux Etats-Unis, où des projets dépassent parfois le million de dollars (comme le jeu vidéo de Tim Schafer en 2012, point&click).
Mais en France, "on donne parce qu’on connaît la personne", déplore le documentariste Florent Tillon dans un article de Libération, publié en février 2012. Selon lui, "le don aux artistes est une vieille coutume aux Etats-Unis", alors qu’en France, cette difficulté à créer une communauté d’inconnus rassemblés par internet ralenti le processus, et l’empêche de devenir un véritable mode de production.
Anouk
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