mercredi 31 décembre 2014

Le Top 10 2014 et les 5 coups de coeur de Travis Bickle


En salles : Après le Top 10 de Fred Fenster, le Top 14 de Marcel Martial et celui de Marsellus Wallace, voici les dix films qui ont illuminé mon année cinématographique 2014. Et j'en profite pour revenir sur cinq ressorties magistrales.



Sommeil d'hiver (Winter sleep) 
Sommet de cinéma, sommet de réflexion humaniste, sommet artistique tout court. Construit autour de joutes oratoires dans les superbes étendues enneigées de la Cappadoce, le Turc Nuri Bilge Ceylan filme un homme, un artiste, face à ses désillusions, au bord du gouffre et qui doit se reconstruire. Magnifique portrait tchekhovien, dans lequel il est impossible de ne pas se projeter. En élevant son cinéma à un tel degré d'universalité et d'humanisme, je ne vois pas qui d'autre que Nuri Bilge Ceylan domine le cinéma mondial à ce point. Palme d'Or logique et irréfutable.

Nymphomaniac 1
"Le monde se divise en 2 : ceux qui commencent par se couper les ongles de la main gauche et ceux qui commencent par ceux de la droite". Au-delà de son aspect pornographique, doublé d'une quête identitaire nihiliste, il est étonnant de voir à quel point le dernier film de Lars von Trier s'inspire des collages et des structures scénaristiques ludiques et expérimentales de Peter Greenaway : division en chapitres, effets de répétition, incrustation à l'image, split-screen, voix off et polyphonies vocales, comptines... Jusque dans la tonalité ironique, caustique, décalée. Avec pour point culminant un dernier chapitre qui mêle musique sacrée, sexe, création et sensibilité.Chef d'oeuvre d'équilibre entre le sacré et le profane, le cerveau et les tripes, Appolon et Bacchus.

Le cinéma comme un long fleuve tranquille qui charrie son lot d'événements du quotidien, qui mis bout à bout forment ce qu'on appelle une trajectoire, un destin. En filmant ses acteurs régulièrement pendant 12 ans, Richard Linklater transforme en fresque épique la banalité du quotidien. Avec son lot d'émotions, de temps forts et de temps morts. Magie d'un cinéma qui filme la mort au travail, mais aussi la vie au travail. Le projet le plus gonflé de l'année.

Mommy
Une œuvre à fleur de peau, sidérante d'émotion, d’un optimisme à tout crin, à propos d’une famille composée et recomposée qui fait fi des lois sociales. Pour mieux s'aimer. Pour mieux confondre les sceptiques, même si "ce n'est pas parce qu'on aime quelqu'un qu'on pourra le sauver". Salutaire, culotté et grandiose ! 

Saint Laurent
Captivante rêverie opiacée sur le temps, Saint Laurent est le film français le plus ambitieux de l'année. Pur objet d'esthète, ce biopic hors normes, sous inspiration proustienne et viscontienne, se concentre sur les 10 années fastes du couturier, sans renoncer à d'originales trouvailles, comme ce split screen final, qui entre direct parmi les temps forts de l'année. Sans compter un casting génial, notamment dans le double rôle titre Gaspard Ulliel et Helmut Berger.

Ida
Outre le fait de nous replonger dans un pan de notre histoire européenne, Ida nous replonge dans le cinéma. Beauté des décors, travail sur les contrastes en noir et blanc, impressionnant sens du cadre et du découpage, la mise en scène de Pawlikowski force le respect et l’admiration. Tout cinéphile ne pourra qu’être esbaudi par la manière qu’il a d’inscrire ses personnages dans le cadre, de biais, en très gros plan. Ou de les en faire sortir, avec énormément de tact et d’émotion. 

Pour son 4e film avec Darius Khondji, le chef op français découvert par Jeunet et Carot, Woody Allen se fait peintre, et obtient de lui des reflets de lumière poudrée et citronnée, qui mystifient complètement le spectateur. Jamais peut-être l'illusion du cinéma, de ce qu'il véhicule, en négatif comme en positif, n'avait été aussi magnifié par Woody Allen au travers de sa lumière. 

Benoît Jacquot s'affirme comme un cinéaste désormais en pleine possession de ses moyens, et qui livre là un film passionnel aussi fort que ceux de ses aînés Truffaut et Sautet. Et la musique de Bruno Coulais, vraiment exceptionnelle, qui s'appuie sur des cors et des trompes, qui rythme le tempo du film sur les battements de cœur de ses personnages. Et le cinéaste de livrer avec Trois cœurs une sorte d'opéra qui ne serait pas chanté. 

Sacro Gra
Sorti dans l'indifférence générale, le dernier Lion d'Or à Venise Sacro GRA, doc sur le périphérique de Rome, ravive tour à tour Fellini, Risi et Antonioni. Par la truculence de ses personnages, son inspiration poétique et sa force visuelle. Gianfranco, un nouveau prénom à accoler au patronyme Rosi, déjà bien pourvu ! 

Deux jours, une nuit / Dans la cour / Sils Maria : Trois films qui n'ont rien à voir les uns avec les autres. Qui permettent à leurs réalisateurs respectifs (les frères Dardenne, Pierre Salvadori et Olivier Assayas) de creuser leur sillon tout en se renouvelant avec éclat cette année. Et de donner l'occasion à leurs actrices principales de montrer qu'elles sont toujours au top, et capables de nous surprendre encore : Marion Cotillard, Catherine Deneuve, Juliette Binoche et Kirsten Stewart. Les trois plus grandes prestations féminines françaises de l'année.

Année en demi-teintes, - faute de place n'y figurent ni Maps to the stars de David Cronenberg, ni Les Combattants , le formidable premier film de Thomas Cailley, ni Gone Girl de David Fincher - donc, largement compensée par un travail exceptionnel effectué par des distributeurs pour remettre au goût du jour des films totalement oubliés, mais absolument surprenants de modernité, d'audace et d'inventivité. La preuve par 5, avec coup de chapeau à la clé pour chacun des distributeurs :

Peu de rééditions comme celle du film de John Frankenheimer n'ont suscité autant d'étonnement. Disparu des radars de la cinéphilie, Seconds est une authentique redécouverte. Une pièce maîtresse entre Orson Welles et Alan Pakula. Oubliez tous les blockbusters de l'été pour vous précipiter vers ce diamant noir quasiment inédit en France depuis sa sortie en 1966, signé par l'un des cinéastes les plus mésestimés des années 60, John Frankenheimer. Chapeau à Lost Films

Le Prêteur sur gages
7e film de Sidney Lumet, portrait d'un rescapé d'Auschwitz dans le New York free style des années 60. Une BO de Quincy Jones, jazzy et stridente, des audaces formelles expérimentales proches du Hiroshima de Resnais, un Rod Steiger puissant et désarmant. LA redécouverte d'un film majeur d'un cinéaste qu'on n'a pas fini de redécouvrir, un peu trop rapidement étiqueté comme classique. Chapeau à Swashbuckler Films.

Blue Collar est un  des rares films américains à se situer dans le milieu syndicaliste ouvrier, avec ceux de Martin Ritt (Norma Rae, sorti peu après le film de Schrader). Brochette d'acteurs alors à leurs tout débuts - Harvey Keitel, Richard Pryor, Yaphet Kotto - pour un film d'apparence social qui bifurque vers le thriller, sans ausculter la réalité des rapports de force dans l'industrie automobile à Detroit entre puissants et ouvriers, Blancs et Noirs, sur fond d'alcool et de corruption. Passionnant. Chapeau à Splendor Films.

LA réédition de l'année, hallucinante, sauvage, brutale, indélibile. On n’est pas loin d'Apocalypse Now et de certains récits de Joseph Conrad. Pour la violence sous-jacente, l’irruption de la bestialité et la sauvagerie au cœur de la condition humaine, impossible de ne pas penser à Chiens de paille et à Délivrance, sortis à la même époque.  Une plongée dans la masculinité primale dans les paysages de l'Outback australien que l'on doit à Ted Kotcheff, dont il s'agit là de l'oeuvre ultime. Chapeau à La Rabbia.

Desperados revenus amputés physiquement et psychologiques de Vietnam, enquête-prétexte pour une radiographie existentielle de la Californie corrompue, primauté donnée aux relations entre les personnages : avec le recul, Cutter's Way se situe finalement à la croisée des chemins de trois néo-polars des années 70 : Le Privé, de Robert Altman ; La Fugue, d'Arthur Penn ; Les Guerriers de l'Enfer, de Karel Reisz. Auquel on peut rajouter un soupçon de paranoïa, qui rappelle A cause d'un assassinat, d'Alan J. Pakula, ou Conversation secrète, de Francis Ford Coppola. Chapeau à Carlotta Films. 

Travis Bickle


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