En salles : Vous rêvez d’Australie, de soleil, de surf, d’Outback, d’Aborigènes et de Foster’s à gogo ? Surtout, n’allez pas voir Wake in Fright. Mais vous êtes cinéphile, amateur d’émotions fortes, prêt à redécouvrir des trésors perdus dans la Sierra Madre du 7e Art ? Alors, précipitez-vous sur ce chef-d’œuvre inconnu, désormais reconnu. D’après Nick Cave, qui en connaît pourtant un rayon Outback, c’est le "film le plus terrifiant jamais réalisé sur l’Australie". Allez, on embarque pour ce trip au pays des kangourous, version cinématographique du Highway to Hell célébrée par d'autres Australiens, le groupe AC/DC.
Pour la ligne de claire de son pitch
John Grant, bôgoss instituteur, idéaliste et un poil arrogant, s’apprête à rejoindre sa fiancée à Sydney le temps des vacances de Noël. Il fait escale dans une ville minière perdue au fin fond de l’Outback. Commence pour lui une descente aux enfers, à base de jeux d’argent, de bières, de beuveries, de carnages d’animaux en guise de chasses. Enfers, comme ceux de Dante, dont on ne sort jamais... Cauchemar éveillé en plein soleil, qui par son absurdité et sa simplicité rappellent aussi bien Borges que Kafka. Si ce n’était que ça...
Pour son côté Chiens de paille mâtiné de Délivrance
Basée sur le témoignage autobiographique d’un journaliste australien Kenneth Cook paru en 1961, la destinée de John Grant devient d’autant plus prenante qu’elle se double d’une une véritable odyssée humaine. On n’est pas loin d’Apocalypse Now et de certains récits de Joseph Conrad. Impossible que Coppola n’ait pas vu ce film tant certaines scènes et plans de son masterpiece semblent directement inspirées de son ancêtre australien. Comme plongée verticale sur le corps dénudé du héros sur son lit d’hôtel, qui rappelle la scène inaugurale d’Apocalypse. Pour la violence sous-jacente, l’irruption de la bestialité et la sauvagerie au cœur de la condition humaine, impossible de ne pas penser à Chiens de paille et à Délivrance, sortis à la même époque.
Pour sa réalisation
Outre quelques scènes d’anthologie – une immersion dans les arrière-salles de paris et de jeux, ou bien une scène de chasse aux kangourous nocturne, imbibée, qui vire au carnage, et qui condense de manière hallucinée toute la sauvagerie et la bestialité de l’homme – le film demeure le point d’orgue de son réalisateur, le Canadien Ted Kotcheff. Devenu ultra-célèbre grâce à son carton au BO Rambo (1981) – qu’il faudrait revoir à l’aune de cet opus australien - il signe quelques films de moindre envergure – L’Apprentissage de Duddy Kravitz (1974), avec Richard Dreyfuss, pourtant considéré comme un des meilleurs films canadiens de tous les temps ; La Grande cuisine (1978), comédie policière au casting international ; Joshua then and now (1985), fresque intimiste sur la vie d’un écrivain juif canadien présentée au Festival de Cannes cette année-là – qui n’égalent en rien la rage, la viscéralité et le caractère hallucinatoire de cette plongée dans les enfers de l’humanité que constitue Wake in Fright. Avec l’aide de son chef opérateur, Ted Kotcheff alterne plans larges et gros plans pour mieux souligner le piège, l’isolement et l’absurdité de ce cauchemar à ciel ouvert. Et livrer des portraits terrifiants à la Goya.
Pour son aspect séminal
Au-delà des traces qu’il a laissées dans la mémoire de cinéastes comme Coppola ou Scorsese, Wake in Fright ouvre la voie à l’apparition au mitan des années 1970 de Peter Weir et George Miller. La Dernière vague – dont la 1e scène rappelle étrangement celle de ce Réveil dans la terreur – et Mad Max sont les héritiers de cette odyssée sauvage et nihiliste dans la nature humaine. Autre film australien à convoquer, tourné exactement au même moment : Walkabout, de Nicholas Roeg, autre odyssée spirituelle qui a pour toile de fond l’Australie profonde, mais à tonalité plus humaniste et plus mystique. Enfin, citons également Bad Boy Bubby (1993) comme héritier putatif, même si le style de Rolf de Heer n’aura plus rien à voir par la suite avec celui sarcastique de Ted Kotcheff..
Pour son interprétation
Dans le rôle de John Grant, on découvre Gary Bond, sorte de jumeau de Peter O’Toole. Est-ce un hasard ? Les accents conradiens de cette odyssée, cette plongée dans la masculinité la plus triviale, la blondeur de sa chevelure, l’écrasant abrutissement d’un soleil de plomb, font souvent penser au sort de Lawrence d’Arabie... Impressionnante prestation de cet acteur britannique, alors rompu au théâtre et aux comédies musicales ! Et mort du sida en 1995. A ses côtés, on retrouve un véritable festival de trognes plus imbibées les unes que les autres, notamment celle de Donald Pleasance, qu’on ne présente plus - Halloween, New York 1997 - dans celui d’une épave méphistophélique, terrifiante de nihilisme et de barbarie.
Pour son hallucinante odyssée
En 1963, le sujet intéresse Joseph Losey et Dirk Bogarde. Ils prennent une option sur le récit de Kenneth Cook, puis l'adaptent avec un autre scénariste, Evan Jones. Sans succès. C'est cette version qui est reprise par Ted Kotcheff. Présenté à Cannes en 1971, Wake in Fright est exploité dans le monde entier dans une version expurgée, avant d’être complètement oublié. Sauf par ceux qui l’avaient vu sur la Croisette, dont un jeune cinéphile tout feu tout flamme, alors totalement inconnu, Martin Scorsese. Heureusement, ce cauchemar sous le soleil ressort des limbes, grâce à la persévérance de son monteur australien, Anthony Buckley, qui mit la main sur son négatif, dans un studio de Pittsburgh en 1994, alors qu’il était destiné à être détruit !
Travis Bickle
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