mardi 5 janvier 2016

Les 8 Salopards : Reservoir à Basterds

En salles : Depuis une dizaine d’années, Quentin Tarantino prend à bras le corps l’Histoire pour la remixer à sa sauce. Le nazisme avec Inglorious Basterds, l’esclavagisme avec Django Unchained. Le voici aux prises avec la guerre de Sécession avec Les 8 Salopards (The Hateful Eight). Western sous la neige en deux parties bien distinctes, qui s’affiche comme un double hommage à Ford et Hawks, avant que Tarantino ne le dynamite.

 
Bref, un film de sale gosse, as usual, certes ludique et brillant, qui représente la synthèse de tout le travail entrepris par Tarantino à l’égard des genres et des formes depuis Reservoir Dogs. Mais qui constitue sa propre limite.
 

Le petit théâtre de Quentin Tarantino
Ce qui frappe d’emblée, c’est l’aspect théâtral du 8e film de Tarantino. Et qui n’est pas sans rappeler la forme de son premier opus, Reservoir Dogs. Mais qui constitue une première pour le genre qu’il aborde : le western. Huis clos se déroulant dans une diligence, puis dans un relais de diligence bloqué par une tempête de neige, des personnages fortement typés qui connaissent un traitement rigoureusement égalitaire - chacun ayant droit à SA grande scène, l’omniprésence des dialogues. Rien d’étonnant à cela, si on se rappelle que le scénario, signé QT en personne, a d’abord donné lieu à une lecture publique, de la part de Quentin himself. Et son goût pour le théâtre : il a joué à Broadway en 1998 une adaptation du thriller Seule dans la nuit, un huis clos incarné à l’écran par Audrey Hepburn en 1967... Tiens, tiens...

A quoi s’ajoute un casting en forme de troupe, qui réunit la plupart de ses acteurs et trognes fétiches – Samuel L. Jackson, Michael Madsen, Tim Roth, Kurt Russel, Bruce Dern – auxquels se sont adjoints de nouveaux venus, qui auraient pu jouer précédemment chez le réalisateur – Jennifer Jason Leigh ou Walton Goggins. "Ce film a vraiment été une étape dans l’idée d’écrire pour le théâtre", explique-t-il d’ailleurs dans un passionnant entretien dans le dernier numéro de la revue Positif.
Plaisir narratif et cinématographique
A quoi s’ajoutent des procédés empruntés directement à la littérature : outre l’omniprésence des dialogues, le film est clairement découpé en chapitres, alors qu’une voix off vient opportunément rappeler au spectateur ce qu'il s’est passé en son absence, pendant l’entracte ! Plaisir de narration dû au parti pris cinématographique du réalisateur : tourner en 70 mm, et rendre hommage au format Panavision. D’où une durée proche de son précédent film (2h45) et un dispositif de projection comprenant une ouverture et un entracte.

Dispositif sublimé par la mise en scène de Tarantino : grâce au 70 mm et au format Panavision, elle permet de démultiplier les angles de prises de vues, les espaces au sein d’un même espace, les informations narratives, tout en magnifiant la lumière de Robert Richardson (le chef op de Scorsese et Stone) et les décors de Yohei Taneda (déjà auteur de ceux de Kill Bill). Le tout sur une partition signée Ennio Morricone, qui tout en reprenant certains de ses propres motifs musicaux, les retravaille pour livrer une composition originale, écrite à partir du seul scénario. Sans oublier les multiples clins d’œil et citations que Tarantino emprunte, en vrac, à Ford, Hawks, Carpenter, Peckinpah, Friedkin, Boorman ou De Palma !

Cherchez la femme…
Mais à la différence de ses opus précédents, animés par une dynamique de vengeance amoureuse, ici, malgré l’omniprésence du personnage, souvent muet, incarné par Jennifer Jason Leigh, que nenni. Le récit se construit autour de plusieurs mystères, fondés sur un principe de faux semblants : ce shérif est-il bien ce qu’il prétend être ? Et ce bourreau so british, que cache-t-il derrière ses moustaches ? Cette lettre d’Abraham Lincoln est-elle bien véridique ? Et ce récit enchâssé dans la trame, a-t-il bien eu lieu ou bien est-ce une fable ? Qui est le plus salopard des 8 ?
 
Mécanique qui, à force de démultiplications, s’émousse et tourne peu à peu à vide. Et qui donne à son 8e film l’aspect d’un exercice de style, certes brillantissime, mais mû par la seule motivation ludique d’un récit auquel on prend un grand plaisir, certes, mais souvent distant. Car lui manque la force dramaturgique romantique portée par ses personnages féminins, notamment dans Kill Bill, Django ou Pulp Fiction.
 
Travis Bickle

Aucun commentaire: