En salles : 30 ans après… et 35 ans après la splendeur visuelle peut-être jamais égalée depuis sa sortie en 1982, Blade Runner s’offre un sequel, une suite. Signé Denis Villeneuve, réalisateur de Premier contact, Sicario ou Prisonners, produit par Ridley Scott, dont c’était alors le troisième film, Blade Runner 2049 réussit l’impossible : rester fidèle à l’original tout en le renouvelant. Mieux qu’une suite : un reboot, qui revisite la mythologie à l’aune des enjeux formels, narratifs et politiques du moment.
Reboot plutôt que sequel
Co-écrite par le scénariste de Blade Runner 1982 (découvrez notre dossier sur Summer 1982 : l'été des films cultes), Hampton Fancher, et celui de Logan, Michael Green, l’histoire de ce nouveau Blade Runner s’apparente davantage à un reboot qu’à une suite. Trente ans après avoir livré une œuvre séminale dans laquelle se lisaient déjà toutes les angoisses actuelles (climatiques, ethniques, sécuritaires, génétiques, avec pour grand ennemi un capitalisme sauvage et invisible, destructeur et omnipotent), les auteurs les prolongent en y insérant celles de notre monde actuel : l’omniprésence des datas, les manipulations génétiques, le devenir humain face à l’intelligence artificielle. Sans charabia ni dialogues pontifiants : juste une toile de fond, esthétique et plastique. Traversée ça et là par les apparitions surprises de Edward James Olmos et ses cocotes en papier, ou par le fantôme de Rachel - Sean Young.
Tarkovski en embuscade
A l’instar de son illustre prédécesseur, Blade Runner 2049 fait le pari de la direction artistique. Et c’est une véritable splendeur visuelle, parsemée d’audaces formelles. Roger Deakins, chef op attitré des frères Coen, des derniers James Bond, s’est largement surpassé. Pour livrer de véritables tableaux en soi, dominés par des tonalités ocres et dorées, qui évoquent la peinture de Hooper ou de Francis Bacon. Mais l’inspiration visuelle majeure est à chercher du côté du cinéma : Blade Runner, bien sûr, mais aussi Tarkovski. De la zone interdite de Stalker jusqu’à l’arbre du Sacrifice, en passant par la déchetterie industrielle de San Diego, Denis Villeneuve, avec la complicité de son décorateur Dennis Gasner propose ici une véritable poétique des ruines, celles de nos civilisations, de notre humanité et du temps. Tourné en studio, sans recours au numérique, leurs créations n’en ont que plus d’impact.
Quête des origines
Car au-delà de ses aspects formels et esthétiques, la narration de Blade Runner 2049 se double d’une quête. Identitaire. Et du temps perdu, pas moins. Celle d’un Blade runner, membre du LAPD, le K, donc – référence directe à Dino Buzatti, et non à Kafka – chargé d’éliminer les derniers répliquants et se voit confronté à son propre passé et à ses origines. Lors de sa première mission, il découvre une date, celle du 10 juin 2021, qui va tout déclencher. Incarné par un Ryan Gosling à la fois puissant, fragile et erratique, K, détective privé nonchalant, se transforme sous nos yeux en personnage mélancolique aux tonalités fitzgeraldiennes. Et sa rencontre avec Deckard - Harrison Ford dans un casino délabré de Las Vegas, au milieu des hologrammes de Marilyn, d’Elvis Presley ou de Frank Sinatra constitue un sommet d’émotion et de mélancolie, totalement ahurissant dans un film disposant de tels moyens, (200 millions de dollars de budget) et lancé comme un blockbuster.
De l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace
Autre pari audacieux, relevé avec panache par le réalisateur : celui de la lenteur, de la contemplation et de la durée. Plans séquences, plans larges souvent tournés avec des objectifs de courtes focales, ampleur des décors, que l’on découvre peu à peu, comme les personnages. A l’instar de cette fascinante déchetterie industrielle, située hors les murs à San Diego, dans laquelle le Canadien utilise toutes les valeurs de plan pour nous la faire découvrir dans son immensité, du point de vue du K. Des plans qui durent en moyenne entre 8 et 10 secondes – ce qui à l’ère du blockbuster est un véritable tour de force. Et vous en connaissez beaucoup des films d’une telle ampleur qui se permet de citer, outre Buzatti, Nabokov, Stevenson, Tchaïkovski ? Ou à la faveur d’une réplique, pasticher Proust ("Je n’avais plus grand-chose à faire, à part lire") ou Cendrars ("Parfois, pour aimer quelqu’un, on doit lui rester étranger") ?
Pas de chef d’œuvre annoncé, pour autant
Certes, une certaine complaisance esthétique à la lisière du maniérisme et du style pompier, des personnages à la limite de l’inutile – décidément, Jared Leto n’a pas de chance avec les rôles que lui propose Hollywood ! – une musique qui s’inscrit sans aucune distance dans les sonorités synthétiques des claviers de Vangelis, font passer Blade Runner 2049 à côté de son statut de chef d’œuvre annoncé. Dommage que le cinéaste n’ait pas davantage passé de temps en salle de montage pour resserrer son œuvre, la densifier et la recentrer sur le thème de la quête identitaire. Reste au final une œuvre d’une incroyable richesse narrative et formelle qui avance à contre-courant de la production lambda, ce qui est suffisamment rare à Hollywood ne nos jours pour ne pas être souligné. Et rendez-vous dans 30 ans pour une prochaine version !.
Travis Bickle
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