mercredi 4 octobre 2017

Happy End : le charme discret des bourgeois de Calais

 

En salles : Accueilli fraîchement lors de sa présentation au Festival de Cannes 2017, Happy End mérite une réhabilitation en bonne et due forme – une sorte de happy end, en somme. Car Michael Haneke nous livre ici une œuvre majeure – en tout cas, une œuvre somme, satirique et mordante, grave et sombre, un précis de décomposition familiale et civilisationnelle, comme il sait si bien les filmer – qu’on se souvienne du Septième continent ou de Funny games. Mais grande nouveauté : le cinéaste autrichien a décidé de nous faire rire et de nous émouvoir - certes, avec pas mal de grincements de dents et une bonne dose d’absurdité. Pour nous livrer son film à la fois le plus rond et le plus tranchant de sa carrière.


Famille en décomposition

Calais, juin 2016. Quelques jours dans la vie de bourgeois de Calais, les Laurent, grande famille d’industriels du bâtiment, prétexte à une radiographie de la société française. Un grand-père suicidaire qui fête ses 85 ans, un chantier qui s’effondre accidentellement, une nièce (marricide ?) qui intègre la famille, des fiançailles à préparer, un fils héritier rebelle aux compromis, un frère chirurgien à double vie, Anne Laurent, dirigeante d’une importante entreprise de BTP, colmate les brèches de cette famille en décomposition à qui mieux mieux.
 
Ultime chapitre d’une trilogie française ?
 
Happy End est une brillante satire sociale sur la société française. Sujet déjà traité par le cinéaste sur un mode allégorique avec Code Inconnu (1998) et sous l’angle du suspense avec Caché (2005), il opte cette fois pour un angle... humoristique et satirique, ce qui n’exclut pas la noirceur, l’ironie et l’émotion. De quoi lui attirer les faveurs d’un plus large public encore. Et l’inscrire dans la lignée des grands cinéastes étrangers qui n’ont peut-être jamais mieux ausculté la société française dans tous ses aspects : Polanski, Bunuel, Losey ou, plus récemment, Verhoeven.
 
Tout Haneke en un seul film, l’humour en plus
 
Happy End se présente comme une radiographie familiale dans laquelle les fondamentaux du cinéaste se trouvent concentrés : son art du plan séquence, qui fait la part belle aux acteurs et aux environnements sonores, notamment extérieurs ; sa faculté à distiller parcimonieusement l’information, ce qui rend constamment actif l’œil du spectateur. Fidèle à ses constantes, Haneke n’use que de musique intradiégétique, multiplie les sources d’images (Snapchat, Youtube, messageries instantanées) et les figures (plans-séquences, gros plans, ellipses).
 
Mais grande nouveauté, des notes d’humour, souvent grinçant, et d’humanité, viennent bouleverser un programme hanekien que l’on croyait réglé comme du papier à musique. Comportements intergénérationnels, rapports à la mort et au travail, transformation des relations sous le poids du numérique, relations de classes et liens avec immigrés et migrants, tels sont les principaux éléments d’un tableau de la société française, qui agit comme un précipité, sous un angle satirique, grinçant et désespéré. Surtout, ne manquez pas le dernier plan du film, qui résume à lui seul toute l’ambition formelle du cinéaste.
 


Partitions chorales et solos
 
Dans ce petit théâtre qui n’aurait pas déplu ni à Beckett ni à Cioran, chacun joue sa partition, en solo, mais aussi en groupe. Toute la force de la direction d’acteurs se retrouve dans ce jeu entre l’individuel et le collectif. D’autant que Haneke ajoute à ses fidèles – Isabelle Huppert, Jean-Louis Trintignant – de nouveaux venus formidables : Mathieu Kassovitz, en qui il exploite un physique dual, à l’instar de Daniel Auteuil dans Caché ; la jeune et prometteuse Fantine Harduin, sans oublier Tobey Jones et Dominique Besnehard, dans une mémorable apparition, sadisé par Jean-Louis Trintignant qui le menace : "Si vous me procurez un pistolet et des munitions, vous ne le regretterez pas" !

Résultat : si les prestations jubilatoires d’une Isabelle Huppert en femme active version light de Elle et de Jean-Louis Trintignant, qui semble là jouer un sequel d'Amour, parviennent encore à nous surprendre, il faut mentionner celle de Mathieu Kassovitz, en gendre idéal bien ambigu, et d’un nouveau venu étonnant, l’Allemand Franz Rogowski, dans le rôle du fils rebelle de bonne famille, doublé ici par Grégoire Leprince-Ringuet. Sans oublier celle de Fantine Harduin, à la fois revêche et sensible, qui cache peut-être un lourd secret qu’il convient au spectateur d’élucider. Autre nouveauté : l’essentiel du point de vue du film est porté par une jeune ado de 13 ans en manque d’amour qui atténue la misanthropie du cinéaste.
 
Mystérieusement absent du palmarès cannois
 
Oui, on pourra toujours reprocher au cinéaste de traiter les mêmes thèmes, de reprendre les mêmes acteurs, d’abuser des mêmes effets stylistiques. N’est-ce pas là le propre des grands réalisateurs que d’effectuer inlassablement des variations sur le même thème ? Surtout quand ils sont parvenus à une telle maîtrise de leur art qu’ils survolent de très haut le tout venant de la production internationale. Grand habitué du Festival de Cannes, très souvent primé - Prix de la mise en scène pour Caché (2005), Grand prix du Jury pour La Pianiste (2001), avec double prix d’interprétation pour Isabelle Huppert et Benoît Magimel, doublement palmé pour Le Ruban blanc et Amour – on a décidément bien du mal à comprendre pourquoi le cinéaste autrichien est resté mystérieusement absent du palmarès.
 
Travis Bickle

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