dimanche 8 octobre 2017

Confident royal : Abdul et Victoria s’envoient (presque) en l’air

En salles : Plus de 75 ans au compteur, le cinéaste britannique Stephen Frears enchaîne les films à un rythme de plus en plus soutenu, alternant les genres, les formats et les budgets avec une aisance dignes d'un John Huston. Mais force est de constater que depuis le triomphe critique et public de The Queen il y a dix ans, il semble avoir – injustement - perdu la carte. Plus aucune sélection en festivals, indifférence polie de la critique, succès publics en demi-teintes. Et pourtant ! Nous avions évoqué ici la vigueur de The Program, et le brio de Florence Foster Jenkins. Mais il y eut avant ça le cynique et bouleversant Chéri, d’après Colette ; le mutin Tamara Drewe ; sans oublier le renversant Philomena.


Le voici de retour avec un film historique, mix parfait entre The Queen et Sammy et Rosie s’envoient en l’air, dans lequel il donne libre court à un art dans lequel il excelle : le plaisir de raconter une histoire. 5 raisons de vous précipiter sur ces confidences royales.


 
Pour son histoire restée inconnue plus d’un siècle
 
Confident Royal est tirée d’une histoire vraie, comme souvent chez Stephen Frears. Là, tout en appartenant à la petite histoire, elle met en valeur un fait resté totalement inconnu des historiens jusqu’au début des années 2000 : la liaison et l’intimité improbables – et so schoking ! - qu’entretint à la fin de son règne la reine Victoria, avec un jeune Indien musulman, Abdul, fonctionnaire gratte-papier à la prison de Calcutta, dont elle fit son principal conseiller. Ce qui suscita à la fois jalousies au sein de l’entourage royal, jusqu'auprès de sa garde rapprochée, dont son fils le futur Edouard VII. C’est l’une des nombreuses surprises que contient ce film, écrit par Lee Hall, le scénariste de Billy Elliot : raconter une histoire totalement inconnue, et comment resta dans l’angle mort de l’Histoire officielle.

Pour sa vision sarcastique de la cour

Inutile de s’attendre à une vision lénifiante de la cour, comme Images et Points du monde ! Comme il l’avait fait avec The Queen, Stephen Frears s’en donne à cœur joie pour railler les us et coutumes de la royauté : ses rites, son personnel déférent et lâche, ses intrigues et les rivalités qui les animent, leur méprise de classe, voire leur racisme. Du conseiller officiel aux ambassadeurs, en passant par le personnel de service ou sa famille directe, tout le monde en prend pour son grade. Ainsi que la Reine elle-même, peinte au début comme neurasthénique, autoritaire, voire mégalomane. La première scène dans laquelle elle apparaît filmée de dos, dans son lit royal, telle un énorme sac, qui ne veut pas se réveiller, est éloquente ! Manière pour Frears de creuser un sillon entamé il y a près de 40 ans : régler ses comptes avec la société britannique. Mais sa dénonciation n’est pas univoque : elle n’épargne pas non plus le jeune conseiller indien, à travers ses affabulations ou ses arrangements au sujet de ses origines.
 

 
Pour ses notations contemporaines peu politiquement correctes
 
Au-delà de l’art de conteur du cinéaste – il faudrait louer ici le rythme des scènes, le tempo du montage, la vivacité des dialogues, condensée notamment dans la toute première scène d’introduction - , Confident Royal permet à Stephen Frears de truffer sa narration de notations contemporaines. Et de se montrer anti-politiquement correct ! Cosmopolitisme, relations islam-Occident, ouverture aux autres, valorisation des femmes, autant de thèmes qui voguent à contre-courant du discours ambiant. Et que Frears parvient brillamment à tenir par le prisme de film historique. Qui l’inscrit dans le sillage de ses premiers brûlots, My Beautiful Laundrette ou Sammy et Rosie s’envoient en l’air qui traitaient sur une toile de fond contemporaine des mêmes thèmes : les relations socialement interdites, le conformisme des entourages, la volonté de ses personnages principaux de sortir du cadre, des histoires d’amour contrariées entre personnes de statuts et d’âges différents, ou de même sexe.

Pour son casting, Judi Dench en tête

Pour leur 7e collaboration, Stephen Frears offre à Judi Dench une partition en or. Qu’elle avait déjà jouée sous la direction de John Madden en 1997 dans La Dame de Windsor, qui évoquait une autre relation à scandale, celle que la reine Victoria entretint avec son palefrenier écossais. Là, de mort-vivante qui reprend goût à la vie et au pouvoir au contact de son "munshi" - on dirait coach aujourd’hui ! – elle livre un festival, passant avec une aisance confondante de la colère à l’enthousiasme, de la froideur protocolaire à la chaleur intime, sans se départir de son regard bleu d’acier, qui exprime à lui seul toutes les nuances de caractère de son personnage. Au point de lui restituer une humanité qu’on n’imaginait plus pour un personnage dont l’image austère et puritaine reste ancrée dans la mémoire collective !

A ses côtés, Ali Fazal, dans le rôle d’Abdul, se montre très à l’aise, à la fois candide, sincèrement touché par cette reine, parfois un peu calculateur aussi. Et dont le personnage évoque celui incarnée par Peter Sellers dans, non The Party, mais Bienvenue Mister Chance. Parmi les membres de la cour, citons les prestations de Eddie Izzard, dans celui du fils qui trépigne d’impatience à l’idée de succéder à sa mère qu’il juge grabataire, Paul Higgins, dans le rôle du médecin, qui offre un pétage de câble mémorable ("Je n’ai pas fait 7 ans de médecine pour palper la bite d’un Indien !") ; Tim Pigott-Smith, dans celui de son conseiller, peu à peu éconduit, et dont c’est là le dernier rôle ; enfin, Simon Callow, dans un réjouissant Puccini, et Michael Gambon, dans le rôle du Premier ministre Salisbury, totalement dépassé par les événements, complètent une brillante distribution.
 
Travis Bickle

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