En salles : Seconde Palme d'Or décrochée par la France en moins de cinq ans, La Vie d'Adèle – chapitre 1 et 2 a acquis en quelques semaines une réputation sulfureuse, pour de plus ou moins bonnes raisons. Revenons-en au film et rien qu'au film.
Dans une lignée bien française
C'est tout d'abord un formidable bloc de plus de 3 heures qui cherche à romancer, fictionnaliser ce qui de prime abord pourrait apparaître comme la chronique d'une adolescente des années 2010. Quelqu'un comme Desplechin en a fait sa marque de fabrique – mémorable Comment je me suis disputé (ma vie sexuelle) – titre qui aurait pu s'appliquer au dernier Kechiche. Là, ce sont dix années qui sont parcourues, faites d'apprentissages, de rencontres, de séparations, de douceurs, de violences, de rires, de larmes, de repas plus ou moins bien ingérés.
Le film s'inscrit donc dans une lignée bien française, propre à une cinématographie, qui va grosso modo de Renoir à Desplechin, en passant par Pialat et Truffaut. Et propre à un genre, le roman d'apprentissage, explicitement cité au travers de La Vie de Marianne de Marivaux – auteur cher à Kechiche, car c'est sur Le Jeu de l'amour et du hasard qu'était basé son hit de 2004, L'Esquive.
La révélation Exarchopoulos
Film somme, film monstre par son ambition et sa démesure, La Vie d'Adèle est littéralement portée par ses actrices. En premier lieu, par Adèle Exarchopoulos, dans le rôle éponyme, révélation de la trempe d'une Sandrine Bonnaire en son temps, qui passe par toutes les couleurs de l'arc en ciel dramaturgique, des scènes les plus triviales – manger un hamburger – aux plus osées – les scènes de cul avec sa maîtresse. Elle explose, irrigue de sa juvénilité, de son innocence et de son allant le film, comme on n'a pas vu ça depuis le film de Pialat.
La révélation Exarchopoulos
Film somme, film monstre par son ambition et sa démesure, La Vie d'Adèle est littéralement portée par ses actrices. En premier lieu, par Adèle Exarchopoulos, dans le rôle éponyme, révélation de la trempe d'une Sandrine Bonnaire en son temps, qui passe par toutes les couleurs de l'arc en ciel dramaturgique, des scènes les plus triviales – manger un hamburger – aux plus osées – les scènes de cul avec sa maîtresse. Elle explose, irrigue de sa juvénilité, de son innocence et de son allant le film, comme on n'a pas vu ça depuis le film de Pialat.
A ses côtés, la plus chevronnée Léa Seydoux n'est pas en reste : elle irradie complètement le film en étudiante aux Beaux-Arts, initiatrice aux cheveux bleus. Au point qu'on puisse frissonner avec elles deux, lors de l'échange de leur premier regard, de leur premier tête à tête sur un banc au bord de la Deûle ou lors de leur rencontre dans un bar gay de Lille. Là, on est dans la magie du cinéma de Kechiche, dont les fulgurances épisodiques laissent une empreinte durable dans la rétine du spectateur.
Sentiment de gêne et de voyeurisme
Cependant, c'est un sentiment de gêne qui prédomine à la vision du film. Autant le précédent film du réalisateur Vénus Noire pouvait laisser planer un doute quant à l'origine du malaise provoqué sur le spectateur – Abdellatif Kechiche tentait-il de nous mettre à la place des spectateurs philippards venus jouir du spectacle de la vénus hottentote, de façon à nous faire ressentir les mêmes sensation ? – ici, le voyeurisme n'a plus aucune justification diégétique. La multiplication des gros plans - TRES gros plans - sur les visages des actrices pleurant, suintant, exhudant leurs humeurs et leur morve, mangeant, dévorant, s'embrassant, nous place dans une position de voyeurs qui empêche paradoxalement toute empathie. Là où la passion dévorante et destructrice des personnages aurait dû nous emporter.
Esthétique de l'épuisement
A quoi s'ajoute une esthétique de l'épuisement qui au lieu de créer de l'émotion nous met terriblement à distance. Le cas le plus emblématique venant des scènes de sexe, qui ne provoquent aucun trouble, qui épuisent les yeux et – énorme paradoxe ! - les sens. Et plus globalement, du statut de voyeurs, le film nous place dans celui d'observateurs cliniques d'une lente déchéance, de la mort d'un amour, sans qu'aucune empathie nous rapproche du sort de son héroïne – à la différence d'un Marivaux ou d'un Desplechin, par exemple.
L'horizon Pialat
C'est vrai que la grammaire d'Abdellatif Kechiche est en place depuis au moins L'Esquive. Si elle pouvait se justifier jusqu'à La Graine et le mulet – un chef-d'oeuvre, où l'épuisement des scènes va de pair avec l'épuisement des destinées des personnages – là, elle atteint ses limites, en créant une distance, voire une gêne, paradoxale et inopportune entre le matériau filmé et le spectateur. Malaise que renforce l'impression de coup de force scénaristiques et esthétiques de Kechiche à l'égard d'un Pialat (les flirts au lycée, les scènes dans les bars, les Beaux-Arts, les repas en familles, le milieux de galeristes, on se croit souvent dans un remake étiré et appuyé de Passe ton bac d'abord et A nos amours...). Cinéaste qui représente d'évidence l'horizon artistique et esthétique du cinéaste.
Reste donc au total un film démesuré, pas toujours maîtrisé, qui passe à côté de l'émotion que son sujet impliquait, et qui par sa volonté de s'inscrire dans une filiation multiplie les coups de force scénaristiques et esthétiques. Dommage pour les deux actrices qui se sont donné comme rarement dans leur jeune carrière, et comme rarement dans le cinéma tout court.
Sentiment de gêne et de voyeurisme
Cependant, c'est un sentiment de gêne qui prédomine à la vision du film. Autant le précédent film du réalisateur Vénus Noire pouvait laisser planer un doute quant à l'origine du malaise provoqué sur le spectateur – Abdellatif Kechiche tentait-il de nous mettre à la place des spectateurs philippards venus jouir du spectacle de la vénus hottentote, de façon à nous faire ressentir les mêmes sensation ? – ici, le voyeurisme n'a plus aucune justification diégétique. La multiplication des gros plans - TRES gros plans - sur les visages des actrices pleurant, suintant, exhudant leurs humeurs et leur morve, mangeant, dévorant, s'embrassant, nous place dans une position de voyeurs qui empêche paradoxalement toute empathie. Là où la passion dévorante et destructrice des personnages aurait dû nous emporter.
Esthétique de l'épuisement
A quoi s'ajoute une esthétique de l'épuisement qui au lieu de créer de l'émotion nous met terriblement à distance. Le cas le plus emblématique venant des scènes de sexe, qui ne provoquent aucun trouble, qui épuisent les yeux et – énorme paradoxe ! - les sens. Et plus globalement, du statut de voyeurs, le film nous place dans celui d'observateurs cliniques d'une lente déchéance, de la mort d'un amour, sans qu'aucune empathie nous rapproche du sort de son héroïne – à la différence d'un Marivaux ou d'un Desplechin, par exemple.
L'horizon Pialat
C'est vrai que la grammaire d'Abdellatif Kechiche est en place depuis au moins L'Esquive. Si elle pouvait se justifier jusqu'à La Graine et le mulet – un chef-d'oeuvre, où l'épuisement des scènes va de pair avec l'épuisement des destinées des personnages – là, elle atteint ses limites, en créant une distance, voire une gêne, paradoxale et inopportune entre le matériau filmé et le spectateur. Malaise que renforce l'impression de coup de force scénaristiques et esthétiques de Kechiche à l'égard d'un Pialat (les flirts au lycée, les scènes dans les bars, les Beaux-Arts, les repas en familles, le milieux de galeristes, on se croit souvent dans un remake étiré et appuyé de Passe ton bac d'abord et A nos amours...). Cinéaste qui représente d'évidence l'horizon artistique et esthétique du cinéaste.
Reste donc au total un film démesuré, pas toujours maîtrisé, qui passe à côté de l'émotion que son sujet impliquait, et qui par sa volonté de s'inscrire dans une filiation multiplie les coups de force scénaristiques et esthétiques. Dommage pour les deux actrices qui se sont donné comme rarement dans leur jeune carrière, et comme rarement dans le cinéma tout court.
Travis Bickle
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