Buzz : Alors que Christopher Nolan tourne Dunkirk à Malo, dans le Nord de la France, j'aimerais revenir sur son dernier film en date, Interstellar. La construction du scénario d’Interstellar, c’est la même que celle de La Jetée, de Chris Marker, ou de L’Armée des 12 singes, de Terry Gilliam : c’est un serpent qui se mord la queue ; un ruban de Moebius. Le début de l’histoire ne peut être compris pleinement qu’une fois la fin arrivée.
Pour construire ce ruban de Moebius, les scénaristes sont obligés de laisser une inconnue dans l’équation au début du film, et cette inconnue est résolue à la fin du film : l’existence d’une force supérieure qui communiquerait avec la Terre depuis l’espace.
Ce qui explique, au début du film, le départ de Cooper (Matthew McConaughey) pour le trou de ver, c’est qu’il doit sauver l’humanité. Ce qui reste dans le flou, c’est la raison qui explique qu’il arrive jusqu’au centre de la Nasa où la mission lui est confiée. "C’est la gravité", dit sa fille, reprenant les paroles qu’il a prononcées dans sa chambre quelques scènes auparavant. Cela fait glousser les gens de la Nasa car, comme ils l’expliquent quelques instants après, ce sont aussi des perturbations gravitationnelles qui leur ont indiqué le trou de ver où ils veulent envoyer Cooper. Comme si un esprit bienveillant, une force supérieure ou un malin génie voulait que Cooper vienne jusqu’à eux, lui qui est le seul pilote qui a été formé spécialement pour ce genre de missions.
Voilà ce que le professeur Brand répond à Cooper lorsque celui-ci s’étonne du fait qu’il a été formé, comme par hasard, à naviguer vers un trou de ver : "Something sent you here. They chose you". De même, lorsque Cooper s’expulse du vaisseau qui doit l’amener, lui et Brand (Anne Hathaway) sur la planète où ils doivent permettre à l’humanité de s’installer pour survivre, il se retrouve dans un espace-temps (le Tesseract) dont on ne sait rien des dimensions, si ce n’est qu’elles sont au nombre de quatre (en se déplaçant dans un espace à trois dimensions, il se déplace dans le temps). Le robot qui l’y accompagne (TARS) lui suggère que cet "endroit" a comme été mis à sa disposition par une force supérieure, la même qui expliquait qu’il se retrouvait au centre de la Nasa. Or, après en avoir testé le fonctionnement, Cooper comprend que l’espace-temps dans lequel il se trouve n’est autre qu’une invention purement humaine. Il dira : "I brought myself here".
On se retrouve exactement dans la même situation que dans La Jetée. Le protagoniste qui effectue les voyages dans le temps pour sauver l’humanité (tiens, tiens...) se retrouve face au gens de l’avenir de l’humanité et leur sert le discours suivant : "Puisque l’humanité [a] survécu, elle ne [peut] pas refuser à son propre passé les moyens de sa survie".
Pas de Providence
La boucle est bouclée : si Cooper se retrouve dans cet espace-temps, c’est parce que l’humanité "du futur" (n+2 disons) l’a mis à sa disposition pour qu’il puisse communiquer avec l’humanité n+1 et que celle-ci trouve la solution qui fait que l’humanité n+2 peut exister. Lorsqu’il vient d’arriver dans cet espace-temps et qu’il fait des essais de communication avec les différentes époques auxquelles il a accès, il communique avec l’humanité au temps n, et s’indique à lui-même les coordonnées de la station de la Nasa du début du film.
Ce qu’on peut en conclure, c’est que les forces supérieures que les gens de la Nasa évoquent au début, le "They" mystérieux auquel tous les personnages, même les robots ne cessent de faire allusion, ce n’est autre que Cooper, qui correspond avec lui-même ou avec sa fille d’une époque à l’autre. C’est sur ce duo que repose toute la logique du scénario (le ruban de Moebius), et finalement la morale, humaniste, du film, dans la mesure où Cooper et sa fille ne peuvent compter que sur eux-mêmes, il n’y a pas de Providence qui leur viendrait en aide.
Plus généralement, le facteur humain est toujours le ressort dramatique de la plupart des situations du film : si Brand veut descendre sur l’une des planètes potentiellement habitables, c’est qu’elle éprouve des sentiments pour l’explorateur qui l’a étudiée (la planète, pas Brand...) ; si Mann (Matt Damon) veut empêcher l’équipe de repartir de la planète qu’il a étudiée, c’est qu’il n’a pas supporté la solitude, l’absence de contact humain pendant les dix ans qui se sont écoulés. L’expertise scientifique est discréditée : après l’échec de l’exploration d’une des planètes, Brand reconnaît qu’elle avait toute la théorie, mais aucune expérience de terrain. C’est l’expérience, donc l’humain, qui prévaut.
Comme dans 2001 : L’Odyssée de l’espace (la scène finale de la naissance), alors que les astronautes croient partir à la recherche d’une autre planète, ils ne peuvent que se rendre à l’évidence qu’en voyageant dans l’espace, ils voyagent dans le temps et que, ce faisant, ils voyagent d’un état de leur être à un moment donné, à un autre.
Sam Lowry
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