Artistes : 50 ans déjà. Un Homme et une femme, ex aequo avec Ces messieurs dames, de Pietro Germi, décrochait la Palme d’Or du jury présidé par Sophie Loren. Le début de la gloire pour son réalisateur Claude Lelouch. Projeté dans une version restaurée au Festival de Cannes 2016, dans le cadre de Cannes Classics, le film nous a donné envie de recueillir le témoignage d’un de ses protagonistes principaux. Non, il ne s‘agit ni de Jean-Louis Trintignant, ni d’Anouk Aimée. Mais d’Antoine Sire. Alors âgé de 5 ans, il incarne – ou plutôt joue – le fils de Jean-Louis Trintignant. Souvenirs.
Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué à Un Homme et une femme ?
Antoine Sire : Je suis le fils de Gérard Sire, grand homme de radio, également scénariste de Jean Yanne, jusqu’à sa mort en 1977. A la base de tout, il y a l’amitié entre mon père et Claude Lelouch, qui étaient extrêmement proches, comme des frères. Du coup, quand Lelouch a entrepris la réalisation d’Un Homme et une femme, il a mobilisé toutes les bonnes volontés. Mon père lui a donc prêté sa voix, sa maison qui a servi pour les scènes de flashback entre Pierre Barouh et Anouk Aimée, et son fils – moi !
Comment se sont-ils connus ?
Au début des années 60, mon père était le principal producteur de scopitones en France. Parmi les réalisateurs qu’il employait, il y avait un jeune homme, Claude Lelouch. Le scopitone marchait très bien, jusqu’à ce qu’arrive la couleur à la TV. Petite anecdote : un jour, Lelouch est arrivé dans le bureau de mon père en lui disant : "Ca fait un moment que tu ne m’as pas payé". "Bah oui, les affaires sont mauvaises." "OK, mais tu roules quand même dans un superbe cabriolet Mercedes rouge !" "Oui, tu as raison : prends la Mercedes, je te la donne !" Donc, Lelouch, qui en était à ses tout débuts, est parti avec sa voiture, qui est devenue son porte-bonheur. Quand il devait signer des contrats importants, dont celui d’Un Homme et une femme, il le faisait dans la Mercedes qui était bien plus présentable que ses bureaux !
Une amitié qui s’est prolongée dans le cinéma...
Oui, mon père apparaît dans quasiment tous ses films avant Un Homme et une femme, et tous ceux qu’a réalisés Lelouch jusqu’en 1977. Par exemple, il joue le rôle du procureur qui se fait kidnapper dans L’Aventure, c’est l’aventure. Dans Un Homme et une femme, il est très présent, mais vocalement : c’est lui qui annonce de manière les permanentes les nouvelles à la radio, notamment celles concernant le rallye de Monte-Carlo.
Quel âge aviez-vous ?
J’avais 5 ans et demi.
Quels souvenirs conservez-vous du tournage ?
J’arrive sur le tournage accompagné par ma mère. J’étais très content car j’avais une petite sœur dans le film, Souad Amidou, alors qu’à l’époque, j’étais fils unique. J’ai eu des frères par la suite. J’étais donc très content ! Et puis il y avait Lelouch. C’était lui le patron, impressionnant, mais il avait aussi quelque chose de paternel. Lelouch, je le voyais à la maison, comme un des meilleurs amis de mon père. L’avoir sur le tournage, c’était comme avoir un prolongement de mon père. S’est ajouté à cela le fait que Jean-Louis Trintignant qui jouait le rôle de mon père dans le film s’est également très bien pris au jeu ! Il s’est beaucoup amusé dans ce rôle, notamment dans les premières scènes du film : "Antoine, au karting ! Non, Antoine, au golf !" et quand il me met en situation de conduire la Ford Mustang, on voit qu’il s’amuse. Trintignant a mis du charisme paternel au service de son rôle non seulement pour jouer son rôle, mais pour que le gamin qui joue son fils se sente totalement à l’aise. J’ai encore le souvenir de son attitude très enveloppante et très paternelle.
Tourner un film devait constituer quelque chose d’exceptionnel pour un enfant, non ?
En fait, comme mon père était également scénariste, producteur, assister à un tournage pour moi faisait partie des circonstances normales de l’existence ! Et d’ailleurs, tout en ayant compris que cela constituait du travail pour les adultes, je voyais bien qu’ils s’amusaient en travaillant. A l’origine d’une idée qui ne m’a jamais quittée depuis : le travail doit être quelque chose d’amusant. Quand je demandais à mon père ce qu’il allait faire, il me disait : "Je vais m’amuser, je vais travailler".
Quels sont vos autres souvenirs de tournage ?
J’ai un souvenir très vague d’avoir assisté à des séances de visionnage de rush pendant le tournage à Deauville. Sinon, je me souviens étonnamment bien de la scène où on embarque sur un chalutier. J’ai longtemps gardé en mémoire l’image de notre présence à bord de ce chalutier.
Et Cannes ?
Je n’y étais pas, j’étais à l’école. Quand le film a décroché la Palme d’Or, on m’a expliqué de quoi il s’agissait. Autant je me souviens de la jubilation du tournage, autant je n’ai aucun souvenir de Cannes.
Quel impact ce film a-t-il eu sur votre parcours ultérieur ?
Ce film a un truc étonnant : mes grandes passions dans la vie, ce sont les voitures et le cinéma. C’est donc un film fondateur pour moi, sans que je m’en sois aperçu sur le moment. Jean-Louis Trintignant dit dans le film "Antoine, au karting !", et moi, j’ai gagné un championnat d’Europe de karting ! Les voitures des années 50-60, c’est devenu ma passion. Je roule encore à Montlhéry dans des voitures automobiles de cette époque. C’est ma passion !
Vous revoyez le film ?
Oui, je l’ai revu 6 ou 7 fois. Avec le temps, je suis devenu passionné de cinéma. Ce film, comme plusieurs Lelouch de cette époque – L’Aventure, c’est l’aventure, Le Voyou notamment – sont des films qui ont apporté beaucoup au cinéma français. Ayant consacré ma passion au cinéma, j’ai donc été amené à le revoir plusieurs fois à ce titre. Autre composante : ma passion pour les voitures de course m’a permis de m’intéresser de près au sujet. J’ai écrit un gros article sur les voitures de course au cinéma.
Quand Claude Lelouch vous appelle pour Un Homme et une femme 20 ans après, quelle est votre réaction ?
J’accepte la proposition de Lelouch très volontiers, mais comme une expérience unique, une parenthèse dans ma vie professionnelle. Mon père est mort en 1977. J’avais donc 16 ans. A l’époque, je faisais aussi des courses de hors-bord. J’ai été champion de France dans ce sport. Et ça se retrouve dans le film ! Dans Un Homme et une femme 20 ans après, il y a des scènes de courses de hors-bord sur la Seine, car Lelouch s’est adapté à un sport que je pratiquais réellement.
Une partie du tournage s’est effectuée dans le désert du Ténéré, avec Thierry Sabine, que je connaissais parce qu’il organisait aussi des courses de hors-bord. De cette expérience, je garde le fait d’avoir partagé avec Thierry Sabine ses derniers instants dans le désert avant son fatal Paris-Dakar. Nous sommes alors en novembre 1985, et il meurt deux mois plus tard. Et Sabine m’a fait écouter dans sa voiture la maquette de L’Aziza de Balavoine qui n’était pas encore sortie et que Balavoine lui avait donnée. Et découvrir la dépêche AFP annonçant la mort de Balavoine et Sabine a constitué l’un des plus gros chocs de ma vie...
Vous êtes resté en contact avec Lelouch ?
Oui. J’ai vu son dernier film, que je trouve très bien, dans lequel il se régénère. Il est désormais essentiel dans l’histoire du cinéma français. On ne peut plus faire une histoire du cinéma français sans comprendre à quel point Lelouch a été très important. Evidemment, à l’époque, il y avait une forte mise en avant de la Nouvelle Vague. Lelouch était parallèle à ce mouvement. Avec ses premiers films, Lelouch avait du mal à trouver des distributeurs. Même s’il avait été repéré par quelques critiques. Un Homme et une femme est son premier film correctement distribué. Et qui a sauvé sa carrière.
Il est étonnant qu’i n’ait pas déclenché chez vous de vocation d’acteur...
Parce que mon chemin, c’est l’écriture ! Ma capacité à écrire a toujours été une de mes forces. Toutes les semaines, j'écris un article dans Paris fait son cinéma, sur un classique du cinéma tourné à Paris. Et puis, je publie en octobre chez Actes Sud-Institut Lumière, Hollywood, la cité des femmes. Qui raconte comment les femmes ont pris le pouvoir dans le cinéma hollywoodien, alors que les studios étaient dominés par des hommes, à la production et à la réalisation. J’ai quitté la direction de la communication de la BNP il y a trois ans pour me consacrer à temps plein à ce travail : 1200 films visionnés, pour 1000 pages !
Suivez Antoine Sire sur Twitter : @antoinesire
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