En salles : Cinq ans qu’on est sans nouvelles de Michael Mann… En tout cas, sans nouveau film. Pour patienter, de manière toute subreptice, revient sur les écrans en ce moment Le Solitaire (Thief, 1981), premier film du réalisateur tourné pour le cinéma. Immanquable. La preuve par 9 :
Pour son impact matriciel : eh oui, comme d’aucuns l’ont fort bien relevé, tout Michael Mann est déjà là : fascination pour la jungle urbaine et les ambiances nocturnes, mise en scène virtuose qui laisse la part belle aux effets de lumière et axes de caméra hyperréalistes, précision documentaire du milieu et de ses rites, héros existentialiste au cœur d’or et aux poings d’acier en quête d’idéal….Pas un de ses films n’échappe à cette matrice mise en place ici.
Pour la prodigieuse mise en scène de Michael Mann : entre le sublime quasi plan séquence central dans un diner entre Franck et Jessie, celle avec laquelle il aspire à construire sa vie – Mann, le roi du face à face, remember le final de Niro-Pacino dans Heat – le casse inaugural – une leçon de maîtrise technique – ou bien la tuerie finale entre Peckinpah et Pollock, le futur réalisateur de Public Ennemies y déploie une inventivité prodigieuse.
Pour son héros : à la fois figure tragique et néo-romantique du cavalier solitaire, Robin des bois en quête de rédemption, ange exterminateur autiste et suicidaire, Franck apparaît comme une figure archétypale du cinéma noir contemporain. Au même titre que Travis Bickle pour Scorsese. Ou bien l’homme sans nom d’Eastwood. A la revoyure, on s’étonne vraiment que les chemins de ces deux-là ne se soient jamais croisés – du moins pas encore… Et s’inscrit dans le prolongement direct du héros de son téléfilm précédent, sorti en salles quelques mois avant ce Solitaire : Comme un homme libre. Qu’on aimerait bien revoir aussi !
Pour James Caan : star depuis Le Parrain et Rollerball, l’acteur y trouve son meilleur rôle avec Le Flambeur de Karel Reisz. Un rôle comportementaliste, qu’il habite de manière physique et fiévreuse. A ses côtés, une actrice bien oubliée, Tuesday Weld, mi Faye Dunaway, mi Lauren Hutton, pourtant à la solide filmo – A la recherche de Mr Goodbar, Les Guerriers de l’Enfer, Il était une fois en Amérique. Autre madeleine : apercevoir dans de petits rôles William Petersen (To live and die in LA) ; Robert Prosky, dans un rôle à la Louis Calhern dans Quand la ville dort, de John Huston : paternaliste et psychotique à la fois. Et bien sûr, le grand country singer Willie Nelson, dans le rôle décisif du père adoptif de James Caan.
Pour son ambiance nocturne et citadine : jamais Chicago n’avait été filmé de la sorte, au point de ressembler au LA de Collateral – on s’attend plus d’une fois à voir un loup errant traverser le champ de la caméra.
Pour la musique de Tangerine Dream : là, sur le papier, les papys teutons du rock psyché, très peu pour vous. Oubliez vos a priori : les nappes de synthé viennent littéralement épouser les pulsations rythmiques des corps plongés dans un univers d’acier en fusion, dans les vagues régénératrices du Pacifique ou dans les soubresauts pulsionnels des éclats de violence. Magique ! Michael Mann reprendra le groupe pour la BO de son film suivant, le méconnu et très étrange Forteresse noire.
Pour retrouver les 80’s dans leur splendeur. Déjà produit par Jerry Bruckheimer, futur auteur de 2 hits des 80’s, Top Gun et du Flic à Beverly Hills, Le Solitaire n’apparaît jamais vieilli ou ringard : juste de plain pied dans son époque. La marque d’un grand cinéaste.
Pour son impact séminal : Drive de Nicolas Winding Refn demeure la plus éclatante preuve de l’influence qu’il a eue, malgré son échec commercial et critique (présenté à Cannes en sélection officielle en 1981, il revient bredouille ! On se pincerait de voir un prochain Michael Mann sélectionné cannois à l’avenir)…
Parce qu’avec le recul, Le Solitaire s’avère le polar pivot entre le nihilisme d’un Sam Peckinpah et le formalisme naissant des 80’s. Entre éclats de violence du gunfight final et la stylisation quasi-expérimentale du casse inaugural, Le Solitaire marque une date dans l’histoire du polar. Donc du cinéma. Tout court.
Alors, Michael, tu nous reviens quand ?
Travis Bickle
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