mercredi 11 décembre 2013

All is Lost : le vieil acteur et la mer


En salles : Une voix off, un container orange, et l'immensité de l'océan. Avec une telle entrée en matière, intrigante, radicale, expérimentale, le réalisateur J.C. Chandor met la barre très haut tant côté spectateur que prouesse de mise en scène. Surtout, il parvient à une sorte de miracle : redorer le lustre de la carrière d'une vieille gloire hollywoodienne, davantage préoccupée ces derniers temps par son business et son engagement militant que par sa carrière d'acteur, Robert Redford, 78 ans au compteur. Qui fait là un come-back inattendu. 5 bonnes raisons pour embarquer dans ce All is Lost.

Pour J.C. Chandor. Avec son second film, il prend l'exact contre-pied de son premier, le fulgurant Margin Call. Là où il s'appuyait sur un casting très étoffé – Kevin Spacey, Jeremy Irons, Zach Quinto, Demi Moore, entre autres ! - des dialogues ciselés et le décor urbain de Wall Street et ses yuppies, il s'appuie ici sur un seul acteur, qui hormis deux lignes de voix off, ne prononce en tout et pour tout que deux mots, le tout dans le cadre immense et sauvage de l'Océan indien. Pour une remise en cause, pas mal ! Il faut dire que c'est le tout 1er projet du cinéaste, et dont le scénario ne tient que sur 30 feuillets.

Pour le côté expérimental du sujet. Un homme, un voilier puis un radeau de survie, l'Océan indien, et basta ! Radical, expérimental, All is lost tient de l'épure cinématographique. Outre la limpidité du pitch, le film revient à l'essentiel du jeu d'acteur et de la réalisation. Pas d'explication psychologique, juste le suivi behaviouriste d'un homme confronté aux éléments, à son voilier. Et à lui-même. Du coup, au spectateur de mettre derrière cette intrigue le sens qu'il veut : une ode à la résilience, une parabole sur le naufrage du capitalisme, une valorisation de l'héroïsme individuel, ou une allégorie existentialiste sur la condition humaine. Ce qui en fait un véritable OVNI dans le paysage américain actuel. S'il n'a en fait qu'un seul défaut, c'est de venir tout juste après Gravity, qui s'appuyait sur les mêmes ressorts radicaux et expérimentaux – un couple perdu dans l'espace – avec le succès que l'on sait.

Pour la prouesse de la mise en scène. Rares sont finalement les films à avoir pour cadre la voile – Les 40èmes rugissants ou plus récemment En solitaire. Et aucun n'avait atteint ce degré de vérisme. Attention : il ne s'agit pas là du manuel des Glénans illustré ! La dimension physique, l'environnement aqueux n'avaient jamais été rendus avec autant de précision : écoper, faire le point avec un sextant, lancer un radeau de survie, manoeuvrer autour d'un obstacle, se hisser en tête de mât...Avec un accent particulier mis sur le son. Avec All is Lost, on se rend compte à quel point le milieu maritime est paradoxalement bruyant : le vent, la tempête, le flot de la vague contre la coque, le clapotis des vagues contre la matière artificielle du radeau de survie...Et le tout sans effets numériques et sans gros studio aux manettes. Mention également à la musique d'Alex Ebert qui parvient à insuffler la dimension mythologique nécessaire à cette aventure individuelle.

Pour Robert Redford. Pour les moins de 25 ans, le nom de cet acteur ne doit pratiquement rien évoquer. Car depuis Spy Game (2001), il faut bien reconnaître que la carrière d'acteur et de réalisateur de la star des années 70 s'était égarée. Entre panouilles pseudo-romantiques – Une vie inachevée - , et pamphlets politiques verbeux à la papa – Lions et Agneaux – celui qui incarnait à lui seul l'engagement citoyen (écologiste et libéral) à Hollywood avait perdu de sa superbe. Là, il remet tout sur le tapis : constamment présent à l'écran, seul face aux éléments, il sculpte enfin le rôle qui manquait à sa carrière pour que celle-ci parle aux générations actuelles. Alors, certes, son côté vieux beau peut parfois agacer. Mais son engagement physique, sa volonté de ne pas tricher avec son âge font le reste. On doute avec lui, on rage avec lui, on espère avec lui. Du très grand art.

Pour son côté plus revival que survival. Car avec un rôle pareil, c'est le mythe Redford qui se trouve réactivé. Durant 1h40, impossible de ne pas voir défiler toute sa filmographie, de Sydney Pollack à Michael Ritchie, en passant par Norman Jewison ou Jack Clayton. Mieux qu'un survival, c'est à un véritable revival qu'on assiste : celui d'une vieille gloire des années 70 qui dans un ultime sursaut d'orgueil vient faire un tour de piste pour nous montrer qu'il est toujours là. Debout. Face au vent. Et dans le vent du cinéma de demain, en mettant à disposition sa légende au profit d'un des espoirs les plus sûrs du cinéma américain. Bel exemple d'abnégation. Bel exemple d'héroïsme et de remise en question.

Travis Bickle

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