mardi 17 décembre 2013

Cinéma, ville ouverte


Buzz : Dans le monde du cinéma, les projets de libre participation du public se multiplient. Réaction aux polémiques sur le milieu fermé du cinéma ou communication démago ? Zoom sur quelques projets.

Le crowdfunding, victime de son succès

Le nouveau film de Michèle Laroque sera financé à hauteur de 10% par le principe du crowdfunding : un appel à la générosité de fans ou de passionnés du cinéma, en but de financer un projet. Le cinéaste chilien Jodorowsky avait commencé par le même biais la production de son dernier film, La Danza de la Realidad. La réussite de cette entreprise (50 000 euros) l’avait encouragé à démarcher les sociétés de production. 

Plus ambitieux, le pari de Laroque pour Jeux Dangereux s’élève à 400 000 euros : si les caisses ne sont pas pleines le 30 juin 2014, les dons ne seront pas débités. Le film sera réalisé par Laurence Katrian et le titre n’est pas encore définitif, il sera soumis aux votes des contributeurs. Mais quelle œuvre commune ! Surtout quand on apprend que sur les 370 000 euros récoltés, deux donateurs ont respectivement investis 50 000 et 75 000 euros, comme l’a publié le site Arrêt sur Image en mai dernier. Mais qui peut bien implorer à ce point Michèle Laroque de faire un film ? "Une société américaine de catering qui veut se développer en France et une compagnie financière..." comme elle l’explique sur Twitter. De quoi ternir la couverture satinée de ce projet collectif, où Laroque nous ravit de son plus beau sourire, sous le slogan écrit "à la main", "Si on faisait un film ensemble !". Tentative pour populariser le crowdfunding, ou moyen de financer 10% de son film sans aucune contrepartie financière ?

C’est également ce que l’on se demande, au vue du projet de l’acteur James Franco : réaliser trois nouvelles écrites de sa main (Memoria, Killing Animals et Yosemite) et tiré du recueil Palo Alto (du nom de sa ville natale) paru en 2011. Les trois longs métrages seraient réalisés par des étudiants de la New York City University et les recettes envoyées à l’association The Art of Elysium, organisant des rencontres et des ateliers artistiques pour des enfants malades. Que de bonnes intentions. Un projet financé par le public, dont les recettes serviraient à leurs propres enfants... Mais la somme demandée s’élève à 500 000 dollars, ce qui n’est pas la mer à boire pour l’acteur millionnaire. Cette opinion semble bien répandue, et le projet n’a pour l’instant récolté que le tiers de la somme espérée, la campagne se terminant en juillet. C’est comme si l’aval du public servait de promesse de réussite et couverture médiatique à la fois. Mais pas d’inquiétude, James a tout prévu ! Pour les plus sceptiques, il s’engage à enregistrer lui-même la messagerie vocale des contributeurs (pour 450 dollars), et exercer ses talents de peintre en vous signant un tableau (pour 700 dollars)... de quoi allonger un salaire ! 

Le crowdfunding s’est fait connaître pour son aide apporté aux films indépendants de jeunes talents, aux projets en-dessous du million d’euros, qui peinent à trouver des fonds. Beaucoup de projets très intéressants qui circulent aujourd’hui en festivals ou à la télévision ont ainsi pu voir le jour, dont certains jouissent maintenant d’un grand succès (la série américaine Veronica Mars produite par KickStarter). Ce moyen de production permet de mesurer l’enthousiasme du public, comme l’a prouvé le projet de film inspiré de la web-série Noob, qui a récolté plus de 115 000 euros en trois jours, sur un objectif de 35 000 ! Dommage qu’on l’utilise comme un baromètre de popularité, surtout pour des projets qui jouissent de réseaux de production classique. Entre le nouveau film de Michèle Laroque et celui de l’inconnu Mr Dupont, lequel des deux récoltera le plus ? Les paris sont ouverts.

La  Règle du Jeu lance les dés

Autre avatar de la libre participation au cinéma, la revue intellectuelle lancée par Bernard-Henri Lévy, La Règle du Jeu, concurrence le crowdfunding, en accueillant les internautes... dans le bureau des créateurs ! La revue annonce le 1er décembre dernier la création du "premier film participatif entièrement écrit par les internautes". Baptisé Cadavre Exquis, le projet s’étalera sur un an, et recueillera chaque semaine les idées du public, des plus sages au plus farfelues. Un jury de professionnels et le comité rédactionnel de la revue sélectionneront les plus intéressantes, et puis direction les studios ! Un épisode par semaine, et le reste à suivre... grâce à notre imagination. La première course contre la montre est lancée : les idées de personnages seront lues jusqu’au 20 décembre prochain (redaction@laregledujeu.org). Le public pourra également suivre les coulisses du tournage, grâce à des vidéos en ligne.

Création, production… ces projets annoncent-ils une ouverture du monde du cinéma, ou au contraire marquent-ils d’autant plus la séparation entre professionnels et amateurs, en faisant mine d’ouvrir les portes des studios ? Il faut séparer vraie ressource de production et effet de mode. La Règle du Jeu présente Cadavre Exquis comme un projet avant-gardiste, alors qu’à terme, les enjeux de droits d’auteurs peuvent devenir un véritable sujet, au mieux ; au pire, la série sera une expérience amusante qui ressemble davantage au phénomène de mode. Les contributeurs voulant faire un pas supplémentaire s’essayeront aux studios de 600 mètres carré que Dailymotion a investi à Paris dans le quartier de Saint-Germain, en location depuis le 4 décembre, où les possibilités de diffusion et de reconnaissance sont réels.  

En revanche, le crowdfunding est une véritable ressource de production pour des projets considérés comme mineurs ou trop audacieux par les maisons de production. Il serait bon qu’il ne devienne pas lui aussi une phénomène de mode, empruntés par les plus grands pour créer autour de leur film un peu d’électricité médiatique. 

Anouk

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