A lire : Pierre Rissient, l’inconnu le plus célèbre du cinéma, qu’il soit français, américain, philippin, coréen, néo-zélandais. Attaché presse, conseiller, cinéaste, programmateur, distributeur, il est partout. Car c’est avant tout un curieux, un découvreur, un passeur. Souvent portraituré sous les traits d’un Bouddha de l’ombre, il se livre enfin à Samuel Blumenfeld, dans un ouvrage dense, précis, généreux, sans langue de bois, libre : Mister Everywhere. 300 pages de bonheur, 50 ans de cinéphilie tous azimuts en 8 thèmes clés.
Carré d’as
Né en 1937, Pierre Rissient n’a connu que le cinéma en salles, au lycée Carnot, puis à la Cinémathèque. Il devient naturellement animateur de ciné-club et de salles, notamment le Mac Mahon. Après le choc que constitue la découverte des Forbans de la nuit (1950) de Jules Dassin, il y fait projeter principalement des films noirs américains, tout en affichant dans la salle le portrait de ses 4 réalisateurs majeurs : Fritz Lang, Otto Preminger, Raoul Walsh et Joseph Losey – le fameux carré d’as. Carré d’as à l’origine de la polémique que lance alors la rédaction des Cahiers du Cinéma, froissée que Pierre Rissient n’adhère pas à ses choix et la politique des auteurs. Le livre permet de revenir précisément sur cette époque bénie, où le cinéma constituait le cœur réacteur de la vie intellectuelle. Et sur toute une ribambelle de cinéastes oubliés auxquels l’appétit de cinéma de Pierre Rissient a rendu vie : Hanns Schwarz, très grand cinéaste allemand dans la ligné de Max Ophuls ; le Hongrois Gustav Machaty, auteur d’un très gros succès public en 1933, Extase, encensé par Henry Miller ; ou bien Abbadie d’Arrast, un Français exilé à Hollywood, devenu assistant, puis mystérieusement tombé dans l’oubli après la Seconde guerre mondiale.
Assistant, attaché de presse, distributeur
Interrompue par le service militaire, sa carrière d’assistant lui permet de côtoyer Henri Decoin, Michel Deville ou Jean-Luc Godard sur le tournage de A bout de souffle. En tant qu’attaché de presse, avec Bertrand Tavernier qui le rejoint en 1965, on le trouve soutenir Le Caporal épinglé de Renoir, The Servant de Losey et des rééditions de La Règle du jeu ou de King-Kong. En tant que distributeur, on lui doit la sortie de plus de 70 films, comme Shock Corridor (1963), de Samuel Fuller, Willie Boy (1968), d’Abraham Polonsky ou de L’Epouvantail (1973), de Jerry Schatzberg. Ou de très nombreuses rééditions, cinéphilie oblige, consacrées à von Sternberg, McCarey ou Walsh. Beau palmarès !
Producteur/Réalisateur
C’est l’aspect le moins connu de sa personnalité et paradoxalement, le plus public. Beaucoup de projets avortés, certes - La Truite, de Jospeh Losey, avec Bardot ; une adaptation des Seins de Glace, avec Catherine Deneuve ; un film noir pour Fritz Lang, Et demain : meurtre ! avec Michel Piccoli – mais surtout La Leçon de piano, Secrets and lies, Le Goût de la cerise ou Ivre de femmes et de peintures, c’est lui, via Ciby 2000 ou Pathé. Il réalise deux films, restés confidentiels, un peu arty : One night stand, tourné à Hong Kong en 1973 ; Cinq et la peau, tourné en 1982 à Manille. Une carrière mitigée, voire décevante, pour un tel ogre de cinéma.
Asie
A partir de 1969, Pierre Rissient part en Asie, et y découvre de nombreux cinéastes qu’il contribue à faire connaître en Europe - parmi les plus connus, Abbas Kiarostami en Iran, Lino Brocka aux Philippines, King Hu à Hong Kong – mais aussi Sin Sang ok en Corée du Sud, Ritwik Gathak en Inde, Lester James Peries au Sri Lanka, U-Wei en Malaisie, autant de cinéastes qu’il a contribué à sortir de l’ombre... Signe d’une inépuisable curiosité dont il regrette que les festivaliers et critiques ne soient pas davantage pourvus.
Amitiés
Pierre Rissient, ce sont également des compagnonnages avec des cinéastes : Fritz Lang, bien sûr, qu’il côtoya jusqu’à sa mort mais aussi de nombreux cinéastes américains bannis par le maccarthysme (John Berry, Cy Endfiled, Joseph Losey, Jules Dassin) ; Raoul Walsh, dont il dit apprécier "l’épaisseur de toute une vie vécue et rêvée" ; l’actrice et cinéaste Ida Lupino ; le cinéaste philippin Lino Brocka qu’il aida face aux persécutions du régime Marcos ; John Huston, qu’il n’a jamais bien compris, même s’il l’appréciait. Au-delà du cinéma, ses amitiés l’ont conduit vers l’auteur de polars Jim Thompson ou le producteur Jerry Bick. Surtout, le nom de Pierre Rissient reste attaché à celui de Clint Eastwood : sans lui, jamais l’acteur n’aurait et la reconnaissance qu’il acquit en tant que cinéaste : "Clint appréciait qu’à une époque où il était peu considéré, je ne le regarde pas comme un crétin". D’où une très belle préface que le réalisateur américain lui consacre, en le surnommant Mister Everywhere, "avec toujours en lui, et il ne la perdra jamais, cette petite magie du cinéma".
Cannes
Au début des années 70, il devient conseiller officieux pour sélectionner au Festival de Cannes un certain nombre de films – Panique à NeedlePark, Jeremiah Johnson, L’Epouvantail, Conversation secrète, Apocalypse Now, mais aussi The Touch of zen de King Hu, L’Empire des sens ou Johnny s’en va-t-en guerre, Reservoir Dogs, c’est grâce à lui qu’ils ont été sélectionnés. Et pour certains, primés, et de quelle manière ! En devenant conseiller pour Ciby 2000, la société de production de Francis Bouygues, il permet à celui-ci de décrocher deux Palmes d’Or – La Leçon de piano et Le Goût de la cerise. Sûreté d’un flair sans pareil.
Cinéma
Quelques très belles pages concluent l’ouvrage, à propos de ses goûts, partis pris, envies, déclarations d’amour : Michael Curtiz, qu’il estime sous-évalué de nos jours ; Olivier Assayas, Benoît Jacquot, Bertrand Tavernier, dont il apprécie l’audace et la fluidité ; Les Nouveaux Sauvages, pour son humour et sa férocité ; James Gray, Alexander Payne, Lee Chan Dong, auxquels il déclare sa flamme.
Oeil
"Quitte à être prétentieux, je crois que ce qui me distingue, c’est mon œil qui est et a été toujours, je crois, perçant. Mais j’imagine que très peu de gens ont eu une carrière aussi dispersée que la mienne."
Vous pourrez retrouver Pierre Rissient lors du Festival TCM Cinéma aux Fauvettes (lire notre article) le dimanche 27 novembre, après la projection de Inspecteur Harry.
Mister Everywhere – entretiens avec Samuel Blumenfeld – éditions Institut Lumière/Actes Sud
Travis Bickle
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