En salles (le 2 avril) : Le Nebraska, c'est un Etat du centre des Etats-Unis, coincé entre le Kansas et le Dakota du Sud – autant dire, un no man's land, un terrain vierge, magnifié entre autres par Kevin Costner dans Danse avec les loups. Nebraska, c'est aussi le titre d'un album légendaire de Bruce Springsteen. Il faudra désormais y accoler le nom d'Alexander Payne. Originaire de cet Etat, il y avait tourné ses trois premiers films. Et y revient, le temps d'un road movie, centré sur les relations père-fils, magnifié par le noir et blanc.
Autant le dire tout net : jusqu'ici l'oeuvre d'Alexander Payne ne m'avait jamais convaincue. Surfaite, sur-écrite, comme s'il ne se faisait pas assez confiance pour laisser libre cours à sa narration, sa mise en scène, son histoire. Avec Nebraska, il réalise de très loin son meilleur film. Six bonnes raisons de prendre la route pour Nebraska :
Pour le duo Bruce Dern-Will Forte. Acteur hard boiled des 70's, vu notamment dans Driver, Gatsby le Magnifique, Le Retour, et surtout Silent Running, Bruce Dern revient depuis quelques années sur le devant de la scène, on l'a vu dans Twixt de Coppola et Django Unchained, de Tarantino. Là, dans le rôle de Woody Grant – le nom est tout un programme ! - en vieille baderne, à la fois revenue de tout et entêtée comme pas deux, il trouve le rôle de sa vie. Démarche mal assurée, cheveux ébouriffés, vue, ouïe et dentition défaillante, il tient le rôle d'une vie. Prix d'interprétation à Cannes l'année dernière. Nomination aux Oscars. Le duo qu'il forme avec Will Forte, ancien pilier du Saturday Night Live, dans le rôle de son fils David, devrait devenir une référence. Un duo étonnant, pour lequel ce voyage constitue l'un pour l'autre une dernière chance de se découvrir et de renouer des liens distendus par le temps et les caractères difficiles.
Pour le noir et blanc. Dû à son chef op habituel Phedon Papamichael, son noir et blanc privilégie les contrastes noirs et gris, pour être au plus près de l'âme d'un pays, d'un lieu et de personnages au bord de la dépression, dans tous les sens du terme. Magnifique travail qui rappelle souvent celui d'un Gregg Toland sur Les Raisins de la colère, autre geste sur la Dépression. Et qui n'a rien à voir avec l'exacerbation d'un passé idéalisé, ou d'une profonde nostalgie.
Pour la peinture de l'Amérique profonde. Avec Nebraska, Alexander Payne revient à ses terres d'origine, après le vignoble californien de Sideways et les îles hawaïennes dans The Descendants. Highways, motels, bar à whisky, voies de chemin de fer, rédaction d'une feuille de chou locale, karaoké, commissariat, la force du film tient à sa capacité à dresser, mine de rien, un état des lieux géographiques et sociologiques de l'Amérique en crise. Et qui fait froid dans le dos. En quête d'un hypothétique lot, le père et le fils se heurtent aux impasses d'un modèle de société capitaliste qui exploite les rêves et les malheurs des citoyens pour mieux prospérer. Bref, une lézarde de plus dans le désormais très lointain American dream. Tel est le propos sous-jacent de ce road-movie, sans qu'il ne devienne jamais prédominant.
Pour la scène du dentier. Car plutôt qu'un brûlot à la Michael Moore, Alexander Payne a choisi une tonalité plus casse-gueule. Et plus universelle : celle de l'humour, tendre et amer. Avec une petite dose d'absurde. Entre la perte du dentier de Woody entre 2 voies ferrées, les scènes de bar, les piques assassines de la mère, ou le duo impayable des deux cousins, le film regorge de scènes cultes, qui égayent ce mini road-movie dans l'Amérique de la Dépression.
Pour les seconds rôles. Tous, des plus connus aux moins connus, des acteurs professionnels aux amateurs, tous ont un visage qui raconte une histoire. D'où la sensation de proximité et de familiarité qui se dégage de ces portraits. Cette famille, ces vieux amis, ces premiers flirts, ce sont un peu les nôtres ! Et parmi ces trognes, il faut citer Stacy Keach, massif, le visage éprouvé par les années, la bière et les rixes. Et qui emmène le film vers des contrées hustoniennes. Il faudrait également citer June Squibb, dans le rôle de la mère, malicieuse, forte en tête, un poil langue de vipère, qui campe en quelques scènes un personnage inoubliable.
Pour sa capacité à rebooter avec tout un pan du cinéma américain. La Dernière séance, de Peter Bogdanovitch, bien évidemment, à cause du noir et blanc ou des effets sonores qui privilégient le vent, les feuilles qui tourbillonnent, les silences qui en disent long. David Lynch, pour le côté odyssée du 3ème âge minimaliste et absurde d'Une Histoire vraie. On pense surtout au John Huston de Fat City, qui s'attache aux personnages, à leurs rêves, leurs combats, leurs illusions et leurs désillusions, dans une Amérique qui n'est plus que le tonneau de leurs espoirs évanouis.
Travis Bickle
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