lundi 24 novembre 2014

Night Call : des atouts mais...


En salles : Ce mercredi sort Night Call (titre original, Nightcrawler), le premier film de Dan Gilroy, jusqu’ici scénariste et producteur. On y suit la trajectoire de Lou Bloom (Jake Gyllenhaal), qui va tenter de se faire une place dans l’univers ultra concurrentiel des journalistes freelance à LA. Il s’agit d’être le premier sur les lieux de l’évènement, et surtout d’avoir les images les plus fortes, les plus dures, les plus "graphic", comme disent les Américains : celles qui seront achetées au meilleur prix par les médias. 


Night Call traite donc d’une spécificité américaine : les télévisions locales, tout particulièrement à Los Angeles, sont engagées dans une course au spectaculaire qui se fait souvent au détriment des principes élémentaires de la déontologie journalistique. Généralement, les médias français fonctionnent différemment : même si les chaînes d’information en continu se sont fortement développés depuis la naissance de LCI en 1994, elles sont nettement moins engagées dans cette recherche du sensationnalisme à outrance (sang, cris, larmes, explosions et cadavres) qui caractérise les télés locales des grandes villes américaines, notamment parce que le paysage audiovisuel régional est nettement moins concurrentiel. 

Manque d’universalité

Night Call aborde donc un sujet intéressant, mais qui nous est relativement étranger. Et alors, cela peut faire un film passionnant, non ? Peut-être. Mais au même titre qu’un film sur le baseball (Le Stratège, de Bennett Miller, avec Brad Pitt, 110.615 entrées en France) ou le football américain (L’enfer du dimanche, d’Oliver Stone, avec Al Pacino, 474.827 entrées quand même), Night Call manque "d’universalité". On porte donc sur le film un regard un peu distancié, en se disant : "Ils sont quand même graves, ces Ricains". 

Mise en scène efficace

Le film ne manque pourtant pas d’atouts. La photo, d’abord : le film démarre notamment avec de magnifiques images de L.A., toujours autant cinégénique. [ATTENTION SPOILER] On a également droit à quelques scènes d’action filmées avec brio, notamment une fusillade dans un resto chinois, et une poursuite en voitures assez spectaculaire. La meilleure scène du film, l’entrée du Lou dans une maison où une fusillade vient d’éclater, qu’il explore, caméra à l’épaule, pour découvrir plusieurs corps, est redoutablement efficace, de tension et d’intensité dramatique ; le spectateur se retrouve alors partagé entre horreur et fascination malsaine. On comprend mieux, alors, comment de telles images peuvent être achetées à prix d’or par les télés américaines : elles stimulent le côté obscur qui existe en chacun de nous. [FIN DU SPOILER, TU PEUX RECOMMENCER A LIRE]

Casting plutôt réussi

Night Call est également porté par un bon casting : Jake Gyllenhaal, qu’on voit dans presque tous les plans du film, est crédible en Lou Bloom, même si je me demande bien pourquoi il a perdu plus de 15 kilos pour le film. Ce côté hâve, émacié, renforce un peu la dimension pathologique du personnage de Lou, mais franchement, le jeu en valait-il la chandelle ? Cette transformation physique n’apporte finalement pas grand-chose au film. Plutôt bon, donc, Jake a cependant tendance à en faire un peu trop. Un peu comme dans Prisoners, de Denis Villeneuve, où son jeu tout en tic devenait presque agaçant. Joue simple, Jake, joue simple : un contrôle, une passe. 

Mention spéciale en revanche à son partenaire, Riz Ahmed, jeune acteur/rappeur britannique, parfait dans son rôle d’assistant, spectateur sidéré et effrayé de la folie de son boss, n’hésitant pas à aller toujours plus loin pour avoir, le premier, les images les plus fortes, les plus "graphic". René Russo est, dans la première partie du film en tout cas, très convaincante en productrice de la chaîne de télé, prête à tout pour faire de l’audience, et notamment à diffuser les images les plus glauques et les plus sordides. [ATTENTION SPOILER] Dommage que son personnage perde ensuite de sa crédibilité, en cédant trop facilement aux exigences de Lou. Bill Paxton joue lui un rôle mineur. [FIN DU SPOILER, TU PEUX RECOMMENCER A LIRE]

Questions sans réponse

Le film a donc certains atouts. Mais un défaut majeur : le personnage de Lou est une énigme, que le film n’essaye jamais de résoudre. Qu’est ce qui l’anime ? L’argent ? La gloire ? La reconnaissance ? Le sexe ? On ne le saura pas. Comment, et pourquoi est-il devenu totalement imperméable à l’empathie ? Il doit y avoir du lourd, une enfance compliquée, des traumatismes jamais réglés. Comprendre cette psychologie borderline, cette personnalité sans aucuns scrupules, sans aucune morale, ça, ça m’intéresse ! Mais le film n’apporte jamais aucune réponse. Et si je suis gré au réalisateur de nous éviter la traditionnelle rédemption ultra convenue si chère au ciné américain, j’aimerais avoir quand même quelques clés de compréhension.

Musique mielleuse

Par ailleurs, à deux moments particulièrement dramatiques, on nous balance une musique tires-larmes totalement en décalage avec la tonalité générale du film, plutôt sombre et tournant autour de la question de l’amoralité. Pour nous faire comprendre que c’est mal ? Que le comportement de Lou est condamnable ? Ca va, mec, j’avais compris ! C’est totalement inapproprié, et Night Call flirte alors dangereusement avec le mauvais téléfilm. Regrettable. 

Night Call a fait un carton au box-office américain, en remportant près de 11 millions de dollars pendant son premier week-end d’exploitation. S’il bénéficie de certains atouts incontestables, il souffre cependant d’un manque d’universalité (son sujet n’est pas aisément transposable en Europe), et de certaines faiblesses scénaristiques. Un film intéressant, en somme, mais pas inoubliable. 

Fred Fenster

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