jeudi 27 novembre 2014

John Boorman : le façonneur de mythes - VIDEOS


Artistes : A 81 ans, le cinéaste britannique John Boorman jouit d'une aura XXXL, bien que ses films soient de moins en moins visibles – en France, en tout cas : alors que Queen and Country sort le 7 janvier 2015, près de neuf mois après sa présentation au Festival de Cannes, ses deux précédents films, In my country (2003) et The Tiger's tail (2006) sont restés inédits en salles. Injuste sort pour celui qui a façonné nos mythologies de cinéphile, du Point de non-retour à The General, en passant par Delivrance et Excalibur. Il revient pour la seconde fois au Forum des images vendredi 28 novembre pour une masterclass dont on espère qu'elle aura le retentissement qu'elle mérite. 

John Boorman, ce sont donc 17 films, difficiles à classer, tant son amour de l'éclectisme a prévalu dans les choix de ses sujets. A l'instar d'un Stanley Kubrick, auquel on l'a parfois un peu trop comparé, il reprend les genres pour en redéfinir les codes de manière très personnelle : films de gangsters, de guerre, d'horreur, de SF, d'heroic fantasy ou d'espionnage. Et même de chronique autobiographique. Tout Britannique qu'il soit, rien ne le rapproche du style naturaliste d'un Ken Loach ou du style dramaturgique d'un Mike Leigh. Non : son goût pour les grands espaces, l'onirisme, les quêtes héroïques, l'imaginaire, son humanisme teinté de pessimisme, sa passion pour DW. Griffith le rapprochent bien plutôt d'un David Lean ou d'un Michael Powell. 

Alors, partons à la découverte de sa filmographie en évoquant 13 de ses 17 films, avec pour ligne directrice les propos de Michel Ciment que ce dernier a tenus dans la monographie qu'il a consacrée au cinéaste : "Tout film de Boorman est la confrontation de deux espaces, de deux territoires, l'histoire d'une conquête et d'une agression". 



Le Point de non-retour (Point Blank, 1967)
Lee Marvin, Alcatraz, Los Angeles, les split-screens, le montage, l'explosion de la violence, la maîtrise du cadre, son audace narrative : dès son second film, John Boorman frappe fort, et renouvelle le polar. Carrément. Considéré à juste titre par Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon comme le Kiss me deadly des années 60. C'est dire son impact durable dans les rétines de ceux qui l'ont vu !


Duel dans le Pacifique (Hell In The Pacific, 1968)
Un pari fou : seulement deux acteurs – Lee Marvin et Toshiro Mifune ; quasiment muet à 50% ; tourné en décors naturels au large des Philippines, sublimé par la photo de Conrad Hall. Résultat ? Une fable unique à mi-chemin du film d'aventures historiques et de l'essai expérimental et philosophique à la Robinson Crusoë. Et dont les producteurs, devant l'ambiguité de la fin initiale envisagée par Boorman, préférèrent une fin encore plus radicale...


Leo the last (1970)
Une fable méconnue pour laquelle John Boorman décroche le 1er de ses Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. L'argument ? Un roi sans royaume revient à Londres pour y découvrir que sa demeure est désormais dans un quartier habité par des Noirs. Peut-être le film qui illustre le mieux la citation de Michel Ciment, dans une tonalité sardonique inattendue. Revoyons la fameuse scène du sermon.


Délivrance (Deliverance, 1972)
A juste titre, son film le plus célèbre. Et son plus pessimiste. Sur la nature humaine, les relations qu'entretient l'homme à la nature, sa perception idéaliste à son égard. Le voir une seule fois, c'est ne jamais pouvoir l'oublier. Outre la force du scénario, tiré du best seller de James Dickey, l'implication physique des comédiens et du chef op Vilmos Zsigmond, ce cauchemar éveillé fixe définitivement les motifs visuels de John Boorman : la présence d'une nature vivante ; les cours d'eau, marqueurs de régénérescence et d'angoisse ; la quête utopique et brutale d'un petit groupe d'hommes. A déconseiller aux amateurs de banjo.


Zardoz (1974)
LA bizarrerie de sa filmographie. A partir d'un récit complètement original, John Boorman délivre une fable mythologique et futuriste qui s'appuie sur des légendes bien vivaces – la quête du Graal, Le Magicien d'Oz – et des éléments visuels empruntés tant à l'antiquité égyptienne qu'à des tableaux de Magritte (la fameuse tête volante).... Aussi mystérieux et intriguant que put l'être Quintet pour Robert Altman. Jamais revu depuis une première vision qui m'avait laissé perplexe, entre ricanements et stupéfaction.


L'Hérétique (Exorcist II The Heretic, 1977)
Cette suite de L'Exorciste n'en finit pas de compter ses admirateurs et ses détracteurs : méga nanar pour les uns, vrai blockbuster d'auteur pour les autres. Quel que soit le camp auquel on appartienne, on ne peut qu'être bluffé par l'audace et la maîtrise visuelles d'un cinéaste qui reconstitue l'intégralité de ses décors en studio – appartement new-yorkais tout en miroitements, chambre d'hôpital dominée par la pénombre, reconstitution d'une Afrique des temps primitifs, ascension d'une falaise escarpée. Contribution majeure du production designer Richard McDonald, longtemps complice de Joseph Losey, Toujours est-il qu'en nimbant son film d'un mysticisme new age, John Boorman prend le contre-pied de William Friedkin et déroute tous les fans de L'Exorciste. Flop commercial. Dont il dira : "Si vous faites un flop, faites en sorte qu'il soit le plus discret possible !"


Excalibur (1981)
Tout grand cinéaste réalise un jour son film-matrice. Excalibur est incontestablement celui de John Boorman : son univers visuel et thématique s'y trouve condensé au travers d'un mythe qui a forgé son inconscient depuis son plus jeune âge, la légende arthurienne. Mieux : en la portant au cinéma, en y insufflant sa patte visuelle - fortement imprégnée de Klimt - et musicale – Carl Orf, Richard Wagner – John Boorman pose Excalibur comme le jalon ultime de l'heroic fantasy. Un peu comme Kubrick l'avait fait avec 2001 pour la science-fiction. Repart bredouille de Cannes 1981, tout juste auréolé d'un prix pour la meilleure contribution artistique...


La Forêt d'émeraude (The Emerald Forest, 1985)
A partir d'un sujet a priori naïvement rousseauiste, John Boorman oriente son film sur une autre piste, plus intime, et qui irriguera le reste de son œuvre : les rapports entre générations, notamment les relations père-fils – thème qui aparaissait en filigrane dans Excalibur. Symboliquement, c'est son fils Charley qui incarne le rôle principal de cet enfant américain, kidnappé à l'âge de 5 ans et élevé par une tribu d'Amazonie. Magnifique photo de Philippe Rousselot, qui donne une présence à la forêt.


Hope and glory (1987)
Changement de registre pour le cinéaste britannique qui aborde la chronique pour évoquer ses souvenirs d'enfance, dans Londres sous les bombardements allemands, de 1939 à 1945, vus à travers les yeux d'un enfant, évoluant dans un monde uniquement féminin – autre nouveauté ! Manière pour lui de livrer les clés de son univers : l'eau de Délivrance, la jungle de La Forêt d'émeraude ou la geste arthurienne de Excalibur. Sorti en France le même jour que Le Dernier empereur, il est boudé commercialement et reste injustement méconnu.


Tout pour réussir (Where The Art Is, 1990). 
A la fois variation sur Le Roi Lear de Shakespeare, satire sur les faux semblants de la réussite sociale et financière à New York, et post-scriptum à Léo le dernier dont il reprend quelques motifs et le ton sardonique, Tout pour réussir est une œuvre extrêmement personnelle, co-écrite avec sa fille Telsche. Et qui n'a malheureusement rien eu pour réussir au box-office, aux yeux du public. 



The General (1998)
Retour au premier plan du cinéaste, avec ce portrait de Martin Cahill, héros mythique et contemporain de la cause irlandaise, sorte de Robin des Bois des villes, et dont John Boorman se plaît à débusquer les failles et les zones d'ombre. Dans un noir et blanc majestueux, Brendan Gleeson compose un personnage truculent, opposé à un policier coriace, incarné par Jon Voight, que le cinéaste retrouve 25 ans après Délivrance. Et qui permet à John Boorman de décrocher son second Prix de la Mise en scène à Cannes en 1998.


Le Tailleur de Panama (The Tailor of Panama, 2001) 
Adapté du roman de John Le Carre, ce Tailleur de Panama permet à John Boorman d'aborder le genre du film d'espionnage, sous l'angle de la satire et de la comédie. Bien lui en a pris, car on prend énormément de plaisir à voir évoluer ces manipulations dans cette petite "république" d'Amérique centrale ! Pierce Brosnan déboulonne sa statue de James Bond, tandis que le dramaturge Harold Pinter y livre une savoureuse composition de conseiller diplomatique. Sans parler de Geoffrey Rush, grandiose. 


Queen and country (2014) 
Petite merveille présentée à la Quinzaine des Réalisateurs en 2014, Queen and Country est la suite directe de Hope and Glory. John Boorman se centre sur ses années d'adolescence passées au régiment et dans sa maison familiale sur les abords de la Tamise pour livrer une chronique élégiaque sur le temps qui passe, la naissance de l'amour, et la révélation d'une vocation : celle du cinéma. Dans une tonalité tchekovienne, Queen and country apparaît comme une leçon de vie pleine de vigueur d'un cinéaste en pleine possession de ses moyens.


Bien sûr, pour être tout à fait complet, il faudrait aborder les très nombreux projets inaboutis de John Boorman. J'en évoquerais deux, qui reflètent sa quête existentielle, sa passion pour les univers à forte présence de l'imaginaire : Le Seigneur des Anneaux, dont Excalibur est l'un des héritiers les plus manifestes (lire notre article La Terre du Milieu au cinéma : You Tolkien To Me ?) ; Les Mémoires d'Hadrien, l'adaptation du roman de Marguerite Yourcenar dont on espère pouvoir lire un jour le scénario qu'il s'apprêtait à tourner en 2009, avec Daniel Craig. 

Travis Bickle

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