lundi 30 mars 2015

Sea Fog : Le Transperceneige version Titanic


En salles (le 1er avril) : Sim Seong-bo... retenez bien ce nom. Inconnu du grand public, il l'est des cinéphiles, grâce à un des films qu'il a scénarisés : le génial Memories of murder, du Coréen Bong Joon-ho. Lequel produit et scénarise ce Sea Fog Les Clandestins, sorte de survival maritime, entre Titanic et Le Transperceneige. Mais pas que.


Huis clos en milieu maritime

Sea Fog, c'est l'adaptation d'une pièce de théâtre, elle-même inspirée de faits réels. Avec une intrigue qui se concentre sur cinq marins pêcheurs et leur capitaine, à bord de leur navire, confrontés aux clandestins chinois, aux éléments naturels, et à eux-mêmes, leur bestialité et leur sauvagerie instinctive. Huis clos, portrait de groupes et de micro-sociétés, survival dans un milieu hostile, affrontements classe contre classe, rupture de tons, de la comédie sociale au film d'horreur en passant par le suspense, la tentation est grande d'y voir une version du Transperceneige (Snowpiercer), la précédente réalisation de Bong Joon-ho, en milieu maritime. Tous les ingrédients sont bel et bien là. Jusque dans la dimension parabolique que prend l'intrigue.

Capitaine en roi Lear de fortune

Il serait erroné de s'y cantonner. D'abord, en raison de la finesse avec laquelle sont traités les personnages. Notamment le capitaine, d'abord pauvre hère, qui suscite la pitié en raison de ses difficultés financières et conjugales, puis au fur et à mesure que l'intrigue avance, la surprise, le rejet et l'horreur. Personnage d'autant plus impressionnant qu'il est interprété par Kim Yoon-seok, vu dans les non moins impressionnants The Chaser, The Murderer et Monster Boy Hwayi. Son final en roi Lear de fortune, sur son chalutier, devrait marquer les mémoires.

Dénonciation du capitalisme sauvage 

Ensuite, parce que l'arrière-plan permet au réalisateur de dresser le tableau noir d'une Corée du Sud gangrénée par le capitalisme, la corruption, la sexualité débridée, la crauté, le cynisme - bref la déliquescence des rapports humains. Pas un hasard si l'action est précisément datée de 1998, année où la Corée du Sud renégocie sa dette vis-à-vis du Fonds monétaire international. Qui a pour conséquence d'agraver la situation économique des Coréens et d'attirer de nombreux migrants chinois vers le pays. Tableau d'une noirceur désespérée qui rappelle, sur une autre tonalité, les films de son compatriote Im Sang-soo sur la déliquescence morale et sociale d'un pays qui s'est donné à bras ouverts à un capitalisme libéral ravageur (La Servante, L'Ivresse de l'argent).

Romance aux allures de rédemption 

Enfin, en raison de l'optimisme dont fait preuve le cinéaste. Car au milieu de ce chaos maritime – qui fait souvent songer picturalement aux tableaux de Géricault ou Goya – le cinéaste s'attache à décrire une romance entre l'un des marins et l'une des clandestines. Audace payante cinématographiquement qui apporte au film sa dose d'émotion. Et  lui permet d'éviter la noirceur totale pour conférer à cette descente aux enfers des allures de rédemption. Ce qui donne lieu à de magnifiques scènes quasi-sulpiciennes qui s'insèrent très bien dans l'univers réaliste de la cale infernale du bateau de pêche. Et à un épilogue aussi énigmatique que bouleversant. 

Travis Bickle



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