En salles (le 11 mars) : Avec Le Dernier coup de marteau, son second long métrage, la réalisatrice Alix Delaporte (découvrez notre interview) fait plus que confirmer tout ce qu'on avait décelé dans Angèle et Tony, lauréat de deux Césars - meilleur espoir féminin et masculin pour Clotilde Hesme et Grégory Gadebois. Non content de confirmer un sens inouï de l'espace et de la lumière dans le cinéma français, elle fait preuve d'une sensibilité et d'un regard tout aussi rares et émouvants, dignes d'un Jacques Doillon, Sidney Lumet ou Luigi Comencini. Le tout au service d'un récit et d'un casting absolument prodigieux. Décryptage.
Confiance dans le spectateur
Rarement l'espace aura été mis en valeur avec autant de sensibilité. En situant son intrigue aux confins maritimes de la Camargue, Alix Delaporte offre à ses personnages le cadre idéal pour exprimer leurs émotions. A la fois celui d'un aboutissement, voire d'une marginalisation, mais aussi celui d'une potentielle renaissance. A l'instar de la scène où le héros, Victor, essaie un scooter à marée basse, pour le noyer et l'abandonner à la marée montante.
Pour raconter comment Victor, cet ado de 13 ans, va tenter de réunir un père qui ne l'a jamais reconnu et une mère entre la vie et la mort, tout en cherchant à s'extirper de son milieu, Alix Delaporte fait table rase de tout psychologisme pour faire uniquement confiance à sa caméra et à la sensibilité des spectateurs. Sans jamais énoncer quoi que ce soit de psychologique, le film avance en pointant les actions les plus significatives par rapport au destin de ses personnages pour s'appuyer uniquement sur le cadre, la lumière – magnifique travail de Claire Mathon (L'Inconnu du lac, Polisse) - ou le jeu des comédiens.
Entre Lumet en Comencini
C'est toute la beauté et la force du film que laisser au spectateur le sens de ce qu'il voit et ressent, sans qu'aucun dialogue appuyé ou psychologique ne vienne souligner un sens pré-établi. Ainsi des cheveux rasés qui rassemblent mère et fils, ou du fabuleux plan solaire final qui laisse Victor face à son destin. Une approche rare dans le cinéma français qui rappelle aussi bien le Sidney Lumet d'A bout de course ou le Luigi Comencini d'Eugenio. A quoi s'ajoute un vrai talent à inscrire des corps dans un paysage, qu'il soit celui de la Camargue des mobile homes bout du monde de Beauduc, d'un terrain de football ou des couloirs d'un opéra – en l'occurrence, celui où se produit l'Orchestre philharmonique de Montpellier.
La force du destin
Mais au fait, c'est quoi, ce dernier coup de marteau ? Il provient de la VIe Symphonie de Malher, que répète le chef d'orchestre interprété par Grégory Gadois. A l'issue de cette symphonie, le compositeur y lâche trois coups de marteau, comme trois coups du destin, correspondant à trois moments-clés de son existence : la mort de sa fille, son éviction de l'opéra de Vienne, la maladie qu'on lui a diagnostiquée au cœur. Trois moments clés, trois moments de lâcher prise, qui correspondent à ce moment où adolescent, Victor doit faire des choix. Mais nul besoin de connaître l'histoire de la musique classique pour apprécier ces moments où, musicalement, se ressent la force du destin.
Lâcher prise
Pour réussir cela, il fallait disposer de comédiens prêts à tout. Notamment prêts à se lâcher pour donner le meilleur d'eux-mêmes. Tout d'abord, Romain Paul, la révélation du film. Filmé tel River Phoenix, il laisse passer une palette de sensations incroyables : la ténacité, la curiosité, le mépris, le rejet, le déni, mais aussi un amour immense pour sa mère, une forme de pardon pour son père, et une volonté à toute épreuve, quitte à endosser un fardeau trop lourd pour lui. Magnifique prestation déjà couronnée d'un prix à Venise, celui du Meilleur jeune acteur Marcello Mastroianni. A ses côtés, le couple formé par Grégory Gadebois et Clotilde Hesme (également au générique de la série Les Revenants) approfondit le sillon d'Angèle et Tony : inattendu, et tellement évident qu'en fin de projection, on n'imagine nul autre comédien pour incarner ce père chef d'orchestre passionné par son art et déstabilisé par l'arrivée de cet adolescent qui se présente comme son fils, cette mère débordante d'amour mais qui s'apprête à lâcher prise dans son combat contre la maladie.
Tous les écueils du misérabilisme évités
Là où on aurait pu attendre une chronique naturaliste ou misérabiliste sur le sort des déclassés de la République, un peu à la manière des Dardenne, Alix Delaporte évite tous ces écueils pour livrer un récit d'initiation : celui d'un ado à la croisée de son destin. Et mieux : la chronique d'une famille qui essaie de se rapprocher – un peu à la manière de Luigi Comencini, quand il filmait dans Eugenio la force de cet enfant chargé d'un fardeau trop lourd : essayer de réconcilier les morceaux entre ses parents. Chronique d'une grande sensibilité et justesse, Le Dernier coup de marteau fait preuve d'une singularité et d'une sensibilité uniques dans le cinéma français – preuve supplémentaire de l'éclosion d'une réalisatrice à suivre !
Travis Bickle
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