lundi 9 mars 2015

Hacker : digital blues post 11-septembre


En salles (le 18 mars) : Cela faisait six ans qu'on était sans nouvelles de Michael Mann au cinéma, depuis Public Enemies, accueilli plus que tièdement... Et puis déboule Hacker (Blackhat en V.O.), après une expérience TV artistiquement réussie, mais humainement terrible, sur le monde des jeux et du hippisme, Luck. Retour soldé par un injuste four au B.O. américain. Alors qu'il creuse et magnifie son sillon désenchanté entamé il y a plus de 30 ans, avec Le Solitaire. La preuve par six.


Pour l'approfondissement de ses enjeux matriciels : Tout Michael Mann est bien là : fascination pour la jungle urbaine et les ambiances nocturnes, mise en scène virtuose qui laisse la part belle aux effets de lumière et axes de caméra hyperréalistes, précision documentaire du milieu carcéral, des rites des hackers et du FBI, personnages existentialistes et romantiques au cœur d’or et aux poings d’acier, en quête d’idéal et perdus dans ce monde post-11 septembre – on est bien dans l'univers de Michael Mann. Mais ici, point de graisse sentimentale. Point de compromis avec l'industrie hollywoodienne ou avec le genre du film noir : tout est centré sur les enjeux formels et esthétiques. Ce qui explique pourquoi la trame scénaristique n'est pas exempte de petits défauts. Détails somme toute dérisoires à côté des fulgurances visuelles et esthétiques. Qui font de Hacker un pur objet de mise en scène, à la limite de l'abstraction et d'un niveau tellement supérieur à ce qu'on voit régulièrement. Michael Mann est bien là. 

Pour la prodigieuse mise en scène de Michael Mann : entre le sublime plan inaugural quasi-abstrait et expérimental, qui confronte l'infiniment grand – la planète Terre – avec l'infiniment petit – la caméra suit le trajet aller-retour d'un signal électrique à travers fils et connexions entre une centrale nucléaire et un centre de hacking anonyme ; deux scènes de fusillades d'une violence graphique, sonore et visuelle encore plus fortes que le casse de Heat ; les moments de suspension nocturne dans l'espace aérien, un éclat de soleil sur les tarmacs d'aéroports, ou dans un bar surplombant la baie de Hong Kong, Michael Mann fait preuve d'une inventivité et d'une poésie prodigieuses – le seul, avec Wong kar-wai à savoir saisir l'instant et lui donner une saveur d'éternité. Le style Michael Mann, en somme.

Pour son héros-fantôme : à la fois figure tragique et néo-romantique du cavalier solitaire, hacker en quête de rédemption, ange blond exterminateur frondeur et solitaire, Hataway apparaît comme une figure archétypale du cinéma de l'auteur de Révélations. Surnommé The Ghostman, ce repris de justice franchit les frontières comme si le monde lui appartenait – à l'instar des milliards de signaux électriques qui s'échangent entre les continents. Eternel cavalier errant au passé évacué en quelques secondes, il s'inscrit dans la lignée des personnages désenchantés incarnés par James Caan (Le Solitaire), Robert de Niro (Heat) ou Colin Farrell (Deux flics à Miami). Double nouveauté : il est accompagné dans son combat dès le début, par une femme, Lien, la sœur de son seul ami, Dawai, un agent chinois chargé des questions numériques. Et parce que son terrain de jeu dépasse les frontières, il affronte des hackers de multiples nationalités (libanais, néerlandais, indonésiens...). Mais il ne faut pas s'y tromper : le vrai blackhat du film, c'est Hataway, celui qui passe entre les mailles de tous les filets, tendus aussi bien par le FBI, ses ennemis, et son passé. Il vit dans l'instant présent sans autre motivation que celle de survivre : "Tu pleureras après, il faut d'abord survivre !", enjoint-il sa compagne après l'une des deux terribles fusillades.

Pour Chris Hemsworth : plus connu pour ses incursions dans les univers Marvel et Disney, l'acteur australien semble enfin décidé à montrer une autre facette de son talent depuis Rush, de Ron Howard. Là, il est l'acteur parfait : lisse et sculptural, à la fois geek et Robocop, solitaire et romantique, il incarne la quintessence du héros mannien dans notre monde post-11 septembre. Appréhendé de manière comportementaliste, son corps est constamment mis à l'épreuve, que ce soit à travers la violence – comme objet d'attaques physiques au couteau, au fusil à pompe ou au Taser –, le sexe – on le voit s'éprendre rapidement et sans ambiguité de sa comparse Lien –, ou le quotidien – on le voit manger, boire ou transpirer. Prodigieux parti-pris de la part de Michael Mann que de vouloir rendre physique cet univers dominé par le digital et le virtuel. Et d'avoir fait appel à la carrure bodybuildée de Chris Hemsworth, pour incarner ce fantôme post-11 septembre.

Pour sa géographie sans frontières : jamais l'Asie n'avait été filmée de la sorte : multiple, grouillante, citadine, multi-culturelle. Au point de ressembler plus d'une fois au L.A. que Michael Mann avait magnifiée dans Collateral. Comme si Hong Kong, Jakarta ou la Malaisie constituaient des extensions territoriales des enjeux fictionnels qui se contentaient, autrefois, du seul territoire américain. Comme si désormais le terrain de jeu des gendarmes et voleurs s'était étendu à l'ensemble de la planète – ce qui était déjà en germe dans Deux Flics à Miami. A quoi s'ajoute la maestria d'une mise en scène  et d'un montage qui abolissent les frontières géographiques et physiques. Michael Mann n'est jamais à son meilleur que lorsqu'il s'agit de concrétiser l'invisible.

Pour sa musique vibrante et pulsionnelle : en s'emparant d'Atticus Ross, le compositeur des derniers films de David Fincher, Michael Mann a eu le nez creux. Ses compositions viennent littéralement épouser les pulsations rythmiques de ces corps plongés dans un univers électrique et très peu sensoriel, marqué par des soubresauts pulsionnels d'éclats de violence métallique et sonore.  Elle vibre à l'unisson de ces êtres en manque d'attaches et en perpétuelle quête de repères. Et contribue à la mélancolie qui jaillit plus d'une fois face à l'impossibilité qu'ont les personnages manniens de trouver leur place dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Gros frissons garantis....

Travis Bickle


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