lundi 15 avril 2013

L’Ecume des jours : l’écume d’un chef-d’oeuvre


En salles : Ah, que c’est agaçant… ! Sur le papier, il n’y a bien que Michel Gondry pour adapter une telle œuvre réputée inadaptable. Même si un certain Charles Belmont s'y était attaqué en 1968, avec un casting très germanopratin post-Nouvelle vague : Jacques Perrin, Marie-France Pisier et Sami Frey. Une rareté à redécouvrir ? En tout cas, le réalisateur fantasque et artisanal qu'est Michel Gondry est le plus approprié pour adapter le célèbre roman de Boris Vian : son imaginaire débordant, son sens plastique, son goût pour les univers surréalistes et incongrus, sa proximité avec les acteurs, et surtout, son miraculeux précédent que constitue Eternal sunshine on the spotless mind, son pedigree colle parfaitement avec ce projet d'adaptation.

 
Un univers parfaitement bricolé et réinventé

Est-ce à dire que Michel Gondry a raté L'Ecume des jours ? Loin de moi cette affirmation. Au rayon des grandes réussites, son adaptation fait la part belle aux aspects sociétaux du roman fou de Boris Vian. Dans un univers progressivement désincarné et déshumanisé, le film reprend fidèlement la critique du travail à la chaîne – scènes visionnaires d'une série de dactylos saisissant leurs documents à la chaîne dans l'univers ringardement moderne du siège de PCF élaboré par Oscar Niemeyer – ou bien les 1ers signes de la starification des vaches sacrées, via un Jean-Sol Partre filmé comme une rock star ! Pêle-mêle, on y retrouve également la critique de la religion, de la médecine savante, et de la réification progressive du monde – des thématiques proches de Pérec, et qu'on retrouve aussi bien dans La Science des rêves que dans Soyez sympas, rembobinez. 

Autre point fort à l'actif du film : plutôt que de situer son action datée historiquement, le cinéaste a préféré reconstituer un Paris imaginaire, qui mêle aussi bien les allusions aux années 50, 60 et 70, ou futuristes : Duke Ellington, des navettes spatiales, la dactylographie, la patinoire Molitor, l’actuel Trou des Halles. D'où une étonnante proximité qui se crée avec le spectateur, qu'il ait lu ou non l'ouvrage de Vian, qu'il ait vécu ou non les années Vian.

Jusqu'ici, tout va bien. D'autant qu'à l'heure des effets spéciaux numériques ou de la 3D utilisée à tout va, le cinéaste continue de bricoler à sa manière : il recrée et invente de véritables voitures fantastiques ; il fait voyager ses comédiens dans un engin volant porté par une grue ; ou bien donne vie aux objets les plus incongrus (sonnette, souris, etc...). Pas une scène qui ne regorge d'une invention visuelle !

Le cœur palpitant de l’intrigue oublié

Mais à multiplier les trouvailles scénaristiques et visuelles, Gondry en oublie le cœur palpitant de son intrigue principale. Car L'Ecume des jours, c'est avant tout une déchirante histoire d'amour, c'est l'amour fou porté à incandescence, avec pour toile de fond un univers déshumanisé. Et là, le compte n'y est pas du tout. Outre le lourd focus que met Gondry sur les signes et les choses, la faute en revient partiellement à un casting à côté de la plaque : Audrey Tautou, dans le rôle de Cholé, ne trouve jamais ses marques, nous rejoue le coup de la frêle, fragile, mais volontaire jeune fille, tout près d'Amélie Poulain ; Romain Duris, quand il n'est pas dirigé, redéploie son personnage issu de Klapisch, le jeune homme sympa, un peu dépassé par ce qui lui arrive. Là où il aurait fallu charme, ambiguïté et folie, on n'a qu'une amourette de passage. Quant à Omar Sy et Gad Elmaleh, comment dire....

Dommage pour l’audace et l’inventivité

Heureusement, les excellents Alain Chabat et Sacha Bourdos dans des personnages secondaires, mais récurrents, tirent vers la folie cet univers un peu trop sage. Et même si la fin est bien plus réussie – son aspect mortifère et morbide, l’appartement qui se rétracte, le nénuphar qui gangrène le cœur de Chloé – le film n’émeut plus, davantage concentré à satisfaire l’œil du spectateur que son coeur. Comme si l’inventivité visuelle de Gondry s’était heurtée aux affres du cœur et de l’amour, de l’empathie et de l’émotion – alors qu’il était parvenu à l’équilibre parfait dans Eternal sunshine.

Reste une oeuvre suffisamment originale et ambitieuse, inventive et surprenante, suffisamment rare dans le cinéma français pour ne pas être saluée, visionnée. Et regrettée...

Travis Bickle


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