lundi 12 décembre 2016

Richard Fleischer (1/4), "une aubaine, un cadeau pour cinéphiles" - INTERVIEW

Artistes : Alors que nous venons de commémorer le centenaire de Richard Fleischer, né un jour seulement avant Kirk Douglas, qu’il dirigea deux fois dans 20.000 Lieues sous les mers et Les Vikings, le réalisateur bénéficie actuellement d’une forte actualité vidéo, avec notamment un formidable coffret de trois titres chez Carlotta, Mister Majestyk chez Wild Side et Barrabas chez ECS. Pourtant, force est de constater qu’il reste mésestimé, à défaut d’être méconnu. Frédéric Mercier, journaliste et critique cinéma de Transfuge, anciennement TCM Cinéma, revient pour nous sur le mystère Fleischer et les 3 films du coffret Carlotta. Interview décryptage.



Cineblogywood : Comment as-tu découvert Richard Fleischer ?
Frédéric Mercier : J’ai découvert son œuvre comme pas mal de gens, par une énième diffusion de Soleil Vert à la TV alors que j’étais gamin. C’est un film qui est resté ancré dans ma tête. Parce que Charlton Heston. Parce Edward G. Robinson. Parce que la scène de la mort de Edward G. Robinson sur fond de Beethoven. Parce que la révélation finale. Donc, il y a d’abord l’image matricielle d’Edward G. Robinson en fin de film. Soleil Vert est un film que tu adores immédiatement, car il est un peu plus que ce qu’il offre au premier abord. Il te met face à des questions de surpopulation, d’écologie, qui en font un peu plus qu’un simple film de science-fiction. Mais parce que j’étais enfant, je ne m’étais pas encore intéressé au cinéaste. 


C’est lorsque j’ai découvert Les Vikings, alors que j’étais adolescent, que j’ai fait le rapprochement. J’avais l’impression de découvrir le film d’aventures que j’avais toujours voulu voir. Tout ce que la BD, une certaine culture populaire, tout ce que cet univers pouvait promettre, le film le réalisait complètement : son aspect solaire ; Kirk Douglas ; la fin du film au fort La Latte, qui me donnait enfin l’impression de voir enfin un grand film se déroulant dans un château – même si on sait qu’il s’agit d’un anachronisme. Il faut également citer la lumière de Jack Cardiff, lumineuse et stylisée. La musique, également très importante. 


Là, tu réalises qu’un certain Richard Fleischer a réalisé un des meilleurs films de SF et un des meilleurs films d’aventures. C’est qui, ce réalisateur ? Pourquoi n’en ai-je jamais entendu parler ? Quand tu commences à parfaire ta cinéphilie, tu le fais par accumulation, en voyant des films et en les associant peu à peu à un cinéaste. La question de l’auteur a été très vite attribuée à un Kubrick, et longtemps refusée à Fleischer. Or très vite, il m’est apparu que Fleischer était un auteur. Sans qu’il y ait de résurgences thématiques ou de mises en scène. Mais il y avait un réalisateur qui signait là deux films imparables. 

C’était quoi, pour toi, la marque de fabrique de Fleischer ?
Un travail reste à faire sur Fleischer. Mais pour nous, cinéphiles, Fleischer, c’est une aubaine, c’est un cadeau. Aujourd’hui, à l’aune du DVD, du BR, de la VOD, il y a peu d’auteurs qui nous fassent autant de cadeaux que Fleischer ! De grandes histoires, de grands acteurs, une réelle dynamique, mais surtout de films qui sont un peu plus que les blockbusters de leur époque - sans que je sois réellement capable de l’identifier. Sur Les Vikings, ce qui m’avait frappé, c’est la lumière extraordinaire, le fait que le film travaillait quelque chose de douloureux et torturé derrière des personnages archétypaux. Ce qui m’interpellait dans le personnage de Kirk Douglas, c’est qu’il n’était ni noir ni blanc, ni un méchant ni un gentil. On espère presque qu’il l’emporte sur Tony Curtis, qui est un peu plus falot. Et il y avait ce fameux générique qui te saisit dès le début, avec les tapisseries de Bayeux. 

Quels sont les films que tu as découverts dans la foulée des Vikings ?
Dans le tropisme Kirk Douglas, je suis immédiatement tombé sur 20.000 Lieues sous les mers. Pour des raisons familiales. Parce que j’aimais Jules Verne. Et là, énorme choc : c’est un film qu’on met souvent à part dans la filmo de Fleischer parce que c’est un Walt Disney. Il faut lire la notule de Jacques Lourcelles sur 20.000 Lieues sous les mers : un immense spectacle, avec un dynamisme fou, et en même temps, un film d’intérieurs, où on explorait la psyché de Nemo à travers les décors extérieurs et intérieurs. Le Nemo de Fleischer, c’est en fait le capitaine Achab de Moby Dick20.000 Lieues sous les mers est un spectacle hallucinant. Dans le film, il y a mes deux acteurs préférés, James Mason et Kirk Douglas. Peter Lorre est également là, en transfuge de M. Le maudit. En même temps, Fleischer joue la carte du grand spectacle de l’époque, avec des numéros musicaux. Un des moments les plus euphorisants de Hollywood, c’est quand il chante avec sa guitare pour les marins. Avec un truc vaguement gay dans cette scène qui a dû régaler les gender studies



Quand tu découvres ces films-là, tu découvres des blockbusters à grand spectacle et profonds. En même temps, il n’y a pas de surmoi chez Fleischer, ce qui fait que tu n’es pas intimidé par son cinéma et qu’il n’y a pas quelque chose de plus complexe ou viscéral derrière, comme Hitchcock. C’est ce qui participe de l’euphorie à redécouvrir les films de Fleischer. C’est pour cela que c’est un cadeau : comme Fleischer n’a pas été identifié comme un auteur pendant des années, on est face à quelqu’un qui ne nous a pas intimidés, dont on a tous aimé quelques films, et dont on voit surgir constamment des films comme de nouvelles redécouvertes ! C’est comme si on était passé à côté d’un très grand auteur et qu’on est tous dans un mouvement commun réconciliateur, de découvreur et de défricheur d’une oeuvre à côté de laquelle nos aînés sont passés, sans avoir fait le travail sur Fleischer. A nous de le faire. Et regardez l’incroyable éditorialisation actuelle sur Fleischer – Mister Majestyk chez WildSide, Les Inconnus dans la ville et le coffret actuel chez Carlotta, Le Génie du mal chez Rimini, Barrabas chez ESC...

Si tu devais recommander quelques films de Fleischer, sur lesquels se porterait ton choix ?
Sa trilogie criminelle – Génie du mal, Boston, Rillington Place – est exemplaire. Mandingo m’a beaucoup marqué, mais son rapport à la violence est complexe : c’est un film sur le sadisme, mais sans complaisance. Tarantino s’en est souvenu pour Django. Les Inconnus dans la ville est un film qui ne tient quasiment que par la mise en scène – c’est un bonheur total ! Et Mister Majestyk, malgré sa réputation, est très bien. Cela tient beaucoup à Bronson et au rapport à l’espace. Fleischer s’est toujours intéressé aux espaces, à la dynamique de mise en scène qu’il met dans les intérieurs. Et impossible de se lasser des Vikings ! Peu de films m’ont déçu, peut-être Le Voyage fantastique, car on a eu L’Aventure intérieure depuis, qui est tellement génial ! 



Ce que j’adore, c’est que je suis excité par ce qu’on va nous proposer de redécouvrir chez Fleischer. Jamais vu Duel dans la boue. Envie de revoir son film de guerre avec Robert Wagner, Le Temps de la colère. Evidemment, L’Etrangleur de Boston reste admirable : c’est un film sidérant visuellement, une véritable expérience sur les split-screens, bien différente de ce qu’en fera De Palma. Et cette façon d’aller vers le blanc, l’épure, le mystère absolu... Fleischer prend position, mais il n’a pas de vérités toutes faites. C’est en cela que s’il doit y avoir une reconsidération de la notion d’auteur à travers Richard Fleischer, elle peut s’articuler sur ce point, et pas seulement sur des considérations techniques de réalisation, car ce serait laisser dire que ce n’est qu’un grand artisan. Ce qu’il n’est pas seulement.

Travis Brickle

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