vendredi 2 décembre 2016

Eastwood par Rissient (2/2) : Trump, Leone, Cimino et les autres


Artistes : Dans le cadre du Festival TCM Cinéma, qui s’est tenu aux Fauvettes le week-end dernier, Pierre Rissient est venu rendre hommage à Clint Eastwood. Le "Bouddha du cinéma français", qui a contribué à la reconnaissance du cinéaste et qui en est devenu l'ami, a évoqué l'artiste, son oeuvre, ses engagements, ses rapports avec les metteurs en scène qui l'ont dirigé... 





Clint Eastwood et Sergio Leone
"Clint était beaucoup plus proche et complice de Don Siegel que de Sergio Leone. Ceci dit, on a beaucoup exagéré la distance qu’il avait pu y avoir entre les deux. Par exemple, la dernière fois que j’ai vu Sergio, c’est avec Clint à Rome, pendant la promotion de Bird. On a eu un déjeuner formidable tous les trois. Il y avait une grande compréhension entre Sergio et Clint. Leone lui avait proposé de jouer dans Il était une fois dans l’Ouest. Mais il voulait stopper les westerns spaghetti. Sergio en a été déçu. Pour une poignée de dollars n’est pas un si grand film que ça. Et pour quelques dollars de plus marque la mutation de Sergio. Il devient avec ce film un très grand metteur en scène. Mais ceci dit, la gloire de Charles Bronson, après Il était une fois dans l’Ouest, n’a pas été du même niveau que celle de Clint… !"

Clint Eastwood et Michael Cimino
"Le Canardeur, qu’ils ont fait ensemble, est un film très valable. Deer Hunter est très bien. Mais pour moi, Heaven’s Gate est une merde ! Les dialogues sont d’une bêtise incroyable. C’est pompeux, c’est grotesque. Cela dit, les rapports entre Clint et Cimino étaient très bons, notamment pendant Le Canardeur. J’ai entendu beaucoup de choses de Cimino sur son chef opérateur Vilmos Zsigmond, à qui il doit beaucoup. Sans Vilmos Zsigmond, je ne suis pas sûr que Voyage au bout de l’enfer eût été aussi bon."

Clint Eastwood et Pierre Rissient : amitié et méthode de travail
"J’ai connu Clint après le tournage des Proies, qui, après son échec aux Etats-Unis, a été un gros succès critique en France, même s’il n’a pas très bien marché. Cela a cimenté notre amitié. Depuis, je lis certains de ses scripts à propos desquels je fais des commentaires. Je visionne aussi des copies de travail et je lui fais des suggestions. La plus grande influence que j’ai eue, c’est dans le cas de Lettres d’Imo Jiwa. Pendant le tournage de Mémoires de nos pères, il me demande quel est, selon moi, le nouveau Kurosawa. Je lui réponds que je n’en connais pas. Il m’a quasiment persécuté toutes les semaines pour lui trouver un nouveau Kurosawa ! Jusqu’à ce qu’il m’annonce qu’il veut faire Mémoires de nos pères du point de vue des Japonais et qu’il lui faut un cinéaste japonais, un nouveau Kurosawa. Et je lui dis alors : 'Mais puisque tu crois autant à ce projet, pourquoi ne le réalises-tu pas ?'. Je ne dis pas qu’il n’avait pas pensé à le faire avant, mais je le lui ai conseillé de le faire, et il l’a fait. Voilà. Et c’est l’un de ses meilleurs films."

Son film le plus surprenant ?
"Lettres d’Iwo Jima. En même temps que je l’encourageais, j’avais l’appréhension de voir comment il allait s’y prendre avec les acteurs japonais. Il est très difficile pour un metteur en scène de travailler dans une langue différente. Or il a montré une aisance avec les comédiens. De ce point de vue, c’est ce qui m’a le plus étonné. Sinon, il y a Bird : c’est un des rares films tourné par un Blanc dans lequel il n’y ait aucune condescendance à l’égard des Noirs. C’est très rare."

Clint Eastwood : quelle place dans le cinéma américain ?
"C’est l’héritier du grand cinéma américain. Il fait un cinéma classique, sans effets, mais qui a le sens de l’espace, de l’aire dans l’espace, comme les grands pionniers. C’est lié à sa date de naissance. La plupart des metteurs en scène tournent de manière claustrophobique. Clint ne le fait jamais, y compris dans les scènes d’intérieur. Ce sont des choses instinctives. C’est sa manière de respirer la scène. Il n’a pas d’héritier dans le cinéma américain. Néanmoins, Denis Villeneuve a le même sens de l’espace, notamment dans Prisonners - un film remarquable." 

Clint Eastwood et la longévité de sa carrière 
"Il peut faire avancer les projets qu’il veut ! A part son remake d’Une étoile est née qui ne s’est pas fait. Clint est totalement libre : il ne se soucie pas du succès commercial. Quand il décide de faire un film, il n’y pense pas. J’avais des hésitations sur un film qui est très inégal et imparfait, Chasseur blanc, cœur noir. Je n’étais pas sûr qu’il dût faire le film en l’état du script. Il m’a dit : 'Pierre, tu as peut-être raison, mais j’ai envie de le faire tel qu’il est'. Donc, il peut faire ce qu’il veut."

Clint Eastwood : ses projets
"Clint m’a appelé il y a 15 jours. Il m’a parlé d’un film auquel est lié Dennis Lehane, l’auteur de Mystic River. Ce pourrait être le prochain Clint – mais avec lui, on ne sait jamais ! Il en abandonne certains, il s’obstine sur d’autres comme Impitoyable, qu’il a mis 10 ans à monter. Il prend son temps, mais je l’ai senti accroché à l’idée de travailler sur Dennis Lehane. J’ai aussi entendu parler d’un biopic sur une humanitaire américaine en Somalie. On lui prête beaucoup de sujets, mais j’ai des doutes, car il y a des choses en commun avec American Sniper. Or Clint essaie toujours de varier. En outre, il déteste de plus en plus voyager. Il était très malheureux de tourner American Sniper au Maroc, ce qu’il a quand même fait. Beaucoup de choses ont été tournées en Californie."

Clint Eastwood : un affreux Républicain ?
"Un critique français a écrit que Clint aurait voté républicain cette année. Permettez-moi d’avoir un doute... Sans doute ce critique s’est-il référé à une interview que Clint a donnée à Esquire dans laquelle à la question 'Entre Trump et Clinton, pour qui voteriez-vous ?', il a répondu Trump. Mais cette interview date d’il y a 4 ou 5 mois, avant que Trump ne fasse ses plus grosses bourdes. Entre temps, John McCain, un républicain modéré, s’est désolidarisé de Donald Trump. Et s’il y a un homme politique que Clint respecte, c’est John McCain. Il me paraît donc plausible qu’il n’ait pas voté Trump. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas voté Clinton. Il faut dire aussi qu’il avait dénoncé l’entrée en guerre des Etats-Unis contre l’Irak, ce qui était peu républicain à l’époque. Autre point : depuis plusieurs années, Clint se réfère comme libertarian. Mais le candidat libertarian, Gary Johnson, est un vrai corniaud qui ne connaissait même pas le nom d’Alep. Il est également plausible que Clint ait voté écologiste. Il est devenu un immense propriétaire terrien à Carmel, pour éviter que les terres qui entourent sa ville dont il a été le maire, ne tombent aux mains des promoteurs immobiliers. En tout cas, parler de Clint comme d’un affreux républicain est bien simpliste et ne correspond pas à la réalité. Dès les années 70, il y avait beaucoup plus de Noirs et de Chicanos dans ses équipes techniques qu’ailleurs."


Travis Bickle

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